(arrêt du 13 mai 2020, Cour d’appel d’Agen, n° 130-20)
Nouvel arrêt jugeant qu’un radiologue a commis une faute médicale dans l’interprétation d’une mammographie et échographie révélant une opacité mamellaire gauche due à une masse hypoéchogène de 11 mm. Une biopsie met en évidence un carcinome globulaire infiltrant du sein gauche de grade 2. La patiente subira une mastectomie gauche avec curage axillaire, traitement par chimiothérapie et radiothérapie. Elle soutient avoir perdu une année, avec ensuite un préjudice d’anxiété. Elle est déboutée d’abord par le tribunal de grande instance d’Auch par jugement rendu le 9 janvier 2019, confirmé par l’arrêt ci-après prononcé le 13 mai 2020 par la Cour d’appel d’Agen (chambre civile) :
« FAITS :
H P épouse C, née le 9 juillet 1971, s'est installée dans le Gers en 2012.
Le 4 février 2014, elle a consulté le docteur L I, radiologue à Auch, qui a réalisé une mammographie et une échographie de contrôle de sa poitrine, Mme C faisant l'objet d'une surveillance régulière compte tenu que sa mère avait souffert d'un cancer du sein.
M. I n'a pas détecté d'anomalie lors de ces examens.
Le 31 mars 2015, Mme C a consulté le docteur E O, radiologue associé de L I, qui a réalisé une nouvelle mammographie et une nouvelle échographie de contrôle de sa poitrine.
Les examens du 31 mars 2015 ont révélé une opacité mamellaire gauche due à une masse hypo échogène de 11 mm.
M. I a pratiqué une biopsie dont le compte rendu du 14 avril 2015 a mis en évidence un carcinome globulaire infiltrant du sein gauche de grade 2.
Mme C a alors fait l'objet d'un suivi à l'Oncopôle de Toulouse où un examen par F réalisé le 27 avril 2015 a confirmé la présence de l'adénocarcinome et de plusieurs micro nodules.
Suite à une nouvelle biopsie pratiquée le 29 avril 2015, une analyse anatomopathologique dont les résultats ont été connus le 5 mai 2015 a confirmé l'existence du carcinome infiltrant de grade 2.
Le 22 mai 2015, Mme C a subi une mastectomie gauche avec curage axilaire (= ablation du sein gauche avec retrait des ganglions).
Elle a ensuite été admise à des soins de chimiothérapie et radiothérapie.
Estimant, au vu d'un avis médical du Dr Z que l'affection pouvait être détectée dès le 4 février 2014 par M. I et qu'elle avait perdu une année dans le traitement à suivre, par acte délivré le 29 avril 2016, Mme C a fait assigner L I et son assureur de responsabilité civile, la SA Médicale de France, devant le juge des référés du tribunal de grande instance d'Auch qui, par ordonnance du 31 mai 2016, a ordonné une expertise médicale de Mme C confiée au Dr Y, oncologue.
Le Dr Y a établi son rapport après avoir tenu deux réunions d'expertise les 10 février et 5 mai
2017.
Par acte délivré les 7 et 16 février 2018, Mme C a fait assigner M. I et la SA Médicale de France devant le tribunal de grande instance d'Auch afin d'être indemnisée à hauteur de 23 322,94 Euros des conséquences du retard de diagnostic de la pathologie du sein gauche dont elle a été atteinte, consistant en un préjudice d'anxiété et un différentiel d'indemnités journalières.
La caisse primaire d'assurance maladie du Gers (CPAM), régulièrement appelée en cause, n'a pas comparu.
Par jugement rendu le 9 janvier 2019, le tribunal de grande instance d'Auch a :
- dit que J B I a commis une faute médicale dans l'interprétation des images médicales de mammographie du 4 février 2014 en ne décelant pas de lésions sur la personne de Mme H P épouse C,
- dit qu'il n'y a pas de lien causal entre la faute médicale précitée et les préjudices dont fait état Mme H P épouse C,
- débouté Mme H P épouse C de ses demandes indemnitaires,
- débouté J B I et la SA Médicale de France de leurs demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné J B I et la SA Médicale de France à payer chacun à Mme H P épouse C la somme de 1 500 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné J B I et la SA Médicale de France aux dépens y compris ceux du référé et de l'expertise judiciaire,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- déclaré la décision opposable à la CPAM du Gers.
Le tribunal a estimé que si le retard de diagnostic était établi, il n'avait pas eu d'incidence démontrée sur la situation de Mme D
Par acte du 5 juillet 2019, Mme C a régulièrement déclaré former appel du jugement en désignant M. I, la SA Médicale de France et la CPAM du Gers en qualité de parties intimées, et en indiquant que l'appel porte sur les dispositions du jugement qui ont :
- dit qu'il n'y a pas de lien causal entre la faute médicale précitée et les préjudices dont fait état Mme H P épouse C,
- débouté Mme H P épouse C de ses demandes indemnitaires.
Par acte délivré le 24 octobre 2019, M. I et la SA Médicale de France ont également appelé la CPAM du Gers en intervention forcée.
La clôture a été prononcée le 13 février 2020 et l'affaire fixée à l'audience de la Cour du 9 mars 2020.
PRETENTIONS ET MOYENS :
Par conclusions d'appelante notifiées le 30 septembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, H P épouse C présente l'argumentation suivante :
- Le radiologue a commis une faute :
* l'expertise a démontré que la lésion détectée en mars 2015 était déjà présente sur les clichés de février 2014.
* le radiologue est d'autant plus fautif qu'elle présentait des antécédents familiaux.
* il y a faute médicale au sens de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.
- Cette faute a causé des préjudices :
* si le parcours de soins aurait été identique en 2014, elle a néanmoins subi un préjudice d'anxiété correspondant à la situation d'inquiétude dans laquelle elle se trouve depuis 2015 compte tenu que sa prise en charge a été décalée dans le temps, ce qui lui génère un préjudice pouvant être chiffré à 12 000 Euros.
* la CPAM l'a admise au bénéfice d'une affection de longue durée du 23 mai 2015 au 30 juin 2016 sur la base d'une indemnité journalière de 20,38 Euros, et du 1er juillet 2016 au 31 juillet 2016, sur la base d'une indemnité journalière de 20 Euros, soit un total versé de 8 593,90 Euros, à partir de ses salaires à temps partiels de février, mars et avril 2015.
* si le diagnostic avait été porté dès le 4 février 2014, ce sont ses salaires de juin à août 2012 qui auraient servi de base au calcul, ce qui représente un différentiel de 9 222,94 Euros.
* elle aurait également bénéficié du versement d'allocations chômage à compter du 2 avril 2015, soit un complément de 14 100 Euros non perçu.
Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :
- confirmer le jugement sur la faute imputée à M. I et en ce qu'il l'a condamné, avec son assureur, à lui payer une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. I et la SA Médicale de France à lui payer la somme de 23 322,94 Euros à titre de dommages et intérêts, et chacun, à lui payer la somme de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 21 octobre 2019, conformes aux articles 910-4 et 954 du code de procédure civile, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, M. I et la SA Médicale de France présentent l'argumentation suivante :
- Le radiologue n'a commis aucune faute :
* ni l'indication des examens réalisés en février 2014, ni leur technique de réalisation, n'ont été mises en cause par l'expert.
* une erreur d'interprétation d'un cliché relu a posteriori ne signe pas nécessairement une faute.
* l'expert n'a pas conclu que le radiologue aurait dû détecter l'anomalie dès février 2014 et seule l'F a permis le diagnostic et mis en évidence la nécessité de la mastectomie.
* c'est seulement au cours de l'ablation que le chirurgien a constaté la nécessité d'un curetage axilaire.
* si le diagnostic avait été posé dès 2014, le traitement aurait été le même.
- Les préjudices invoqués ne sont pas justifiés :
* l'inquiétude alléguée n'est liée qu'à la pathologie elle même.
* il n'est pas établi que l'identification de la lésion dès 2014 aurait donné lieu à un arrêt de travail et si la base de calcul a été modifiée, c'est du fait que Mme C a retrouvé un emploi en février 2015.
* Mme C fait l'impasse sur les revenus qu'elle a perçus jusqu'au début de l'année 2015, d'un montant de 23 602,85 Euros, soit une somme supérieure aux indemnités réclamées.
Au terme de leurs conclusions, ils demandent à la Cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il a retenu une faute du Dr I et l'a condamné à payer une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement en ce qu'il a exclu tout lien de causalité,
- rejeter toutes les demandes présentées par Mme C,
- la condamner à leur payer, chacun, la somme de 4 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La CPAM du Gers n'a pas constitué avocat.
Mme C lui a fait signifier sa déclaration d'appel dans le délai de l'article 902 du code de procédure civile par acte remis à une personne se déclarant habilitée à la recevoir.
Elle lui a fait signifier ses premières conclusions par acte délivré le 7 octobre 2019.
M. I et la SA Médicale de France lui ont fait signifier leurs premières et leurs dernières conclusions par acte délivré le 24 octobre 2019.
Par lettre du 26 novembre 2019, la CPAM a indiqué que Mme P a été prise en charge au titre du risque maladie et qu'elle n'a pas de créance à faire valoir.
MOTIFS :
(1) Sur la faute imputée à M. I :
Selon l'article L. 1142-1 I du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins en cas de faute.
En l'espèce, l'expert judiciaire a constaté que la mammographie réalisée en mars 2015 'met en évidence une lésion tumorale au niveau du sein gauche dont la biopsie confirme la malignité'.
Il s'agissait d'une image suspecte de 11 mm de diamètre à l'échographie, constitutive d'une anomalie.
L'expert a précisé que 'la relecture des mammographies de 2014 montre l'existence d'une lésion peu différente de celle de 2015" ce qui implique que l'image suspecte détectée en 2015 apparaissait déjà lors des examens réalisés le 4 février 2014.
Il a admis une 'erreur de diagnostic lors de la réalisation de la mammographie de 2014" comme l'a fait remarquer Mme C, et un 'fait dommageable' consistant en une 'absence de diagnostic d'une pathologie néoplasique lors de la mammographie de 2014.'
Cette conclusion avait déjà été celle du docteur Z, consulté par Mme C en 2015, qui avait indiqué que les clichés du 4 février 2014 permettaient de constater : 'du côté gauche, présence d'une image rétro mamelonnée air hyper dense avec aspect spéculé en périphérie d'allure suspecte.'
Il en résulte que M. I a commis une faute en n'identifiant pas, sur les clichés qu'il a réalisés le 4 février 2014, une image suspecte qui y apparaissait suffisamment clairement pour être détectée, et qui devait donner lieu à des examens complémentaires.
Le jugement doit être confirmé sur ce point.
(2) Sur le préjudice d'anxiété invoqué :
Le préjudice d'anxiété est caractérisé lorsqu'une personne est exposée à une substance nocive générant un risque élevé de développer une pathologie grave.
Telle n'est pas la situation de Mme C qui le reconnaît.
Elle fonde sa demande, au titre du préjudice d'anxiété, sur le fait qu'elle est inquiète des conséquences, sur sa maladie, du retard de prise en charge.
Mais l'expert judiciaire a expliqué, s'agissant du retard de diagnostic : 'il est probable que cela a reporté le diagnostic à l'examen de 2015, précisant que si le diagnostic avait été porté dès 2014, il aurait néanmoins fallu procéder 'à une mastectomie du fait de l'importance de la maladie.'
Il a indiqué 'les lésions constatées sont indépendantes du fait dommageable'.
Le docteur K, consulté par Mme C début 2019, a relevé 'l'expert convient que l'erreur de diagnostic est bien un accident médical fautif, mais sans conséquence dans l'évolution de la maladie. En effet, si l'on compare les conséquences d'une prise en charge en 2014 avec une en 2015, il apparaît qu'il n'y aurait pas eu de différence de traitement', la tumeur détectée ayant 'un faible degré d'agressivité, la tumeur de 2014 est très semblable à celle de 2015, date du diagnostic.'
Ce médecin précise 'si J B I avait vu l'image du cancer dans les mammographies du 04/02/2014, Mme C aurait réalisé exactement le même parcours sanitaire, mais un an plus tôt.'
Il en résulte clairement que si la maladie avait été diagnostiquée dès 2014, les soins apportés à Mme C auraient été identiques à ceux prodigués en 2015.
Il n'existe donc aucun élément médical objectif tangible de nature à laisser entendre que le retard de diagnostic peut avoir une incidence quelconque sur l'évolution de la maladie, ce qui exclut, a fortiori, un risque élevé d'évolution défavorable.
D'ailleurs, cinq années après l'intervention chirurgicale, Mme C ne prétend pas que la maladie traitée aurait évolué.
Dans ces conditions, il n'existe pas de préjudice d'anxiété.
(3) Sur le préjudice économique invoqué :
Mme C invoque un différentiel d'indemnités journalières et d'indemnité de chômage.
En premier lieu, les prestations en espèces versées par l'assurance maladie constituent un revenu de remplacement versé sous forme d'indemnités journalières destinées à compenser la perte de revenus professionnels que subit le travailleur se trouvant dans l'incapacité physique médicale de poursuivre son activité en raison d'une maladie.
Le versement d'indemnités journalières, pour une première période de 6 mois, est subordonné au versement d'un minimum de cotisations ou à la réalisation d'au moins 200 heures de travail.
Le calcul des indemnités journalières est effectué à partir de 50 % d'un gain journalier de base en fonction des salaires perçus au cours d'une période de référence précédant l'arrêt de travail, avec application de divers correctifs.
Plus précisément, en application de l'article R. 323-4 du code de la sécurité sociale, les gains servant de référence sont ceux, pour une personne payée au mois, des trois mois précédents l'arrêt de travail.
En deuxième lieu, l'assurance chômage a pour objectif d'assurer aux travailleurs involontairement privés d'emploi, aptes au travail et recherchant un emploi, un revenu de remplacement.
Les allocations sont calculées pour une certaine durée, en fonction de la durée de l'affiliation, de l'âge sur la base du salaire antérieur d'une période de référence, avec une partie fixe et une partie proportionnelle.
En l'espèce, Mme C explique que sa situation était la suivante :
- de 1992 jusqu'au 31 août 2012 : cadre de la Caisse d'Epargne à Evry,
- d'octobre 2012 à février 2015 : inscrite à Pôle Emploi,
- de juin 2014 au 20 mai 2015 : inscrite à Pôle Emploi avec perception de l'Aide au Retour à l'Emploi en complément d'un emploi à temps partiel repris en février 2015.
Elle estime que, si elle avait été placée en arrêt de travail pour maladie à partir du 4 février 2014, elle aurait bénéficié d'indemnités journalières calculées sur la base de ses salaires de juin, juillet et août 2012, période de référence pendant laquelle elle était encore employée par la Caisse d'Epargne, alors que, prise en charge par l'assurance maladie à compter du 23 mai 2015, elle n'a été indemnisée que sur la base de ses revenus de février, mars et avril 2015, plus faibles.
Mais rien n'indique que si la faute n'avait pas été commise, Mme C aurait été placée en arrêt de travail dès le 4 février 2014, c'est à dire le jour même de la réalisation de la mammographie en litige.
Ainsi, alors que la mammographie du 31 mars 2015 a permis de déceler l'anomalie qu'elle présentait, ce n'est qu'à partir du 23 mai 2015 qu'elle a perçu des indemnités journalières, soit un décalé de près de 2 mois après cet examen.
Le calcul présenté, courant à compter du 4 février 2014, ne peut donc être entériné.
En outre, du fait de son affection, Mme C a été placée en arrêt de travail jusqu'au 17 juillet 2016, c'est à dire un peu plus d'un an.
Par conséquent, si elle avait été placée en arrêt de travail au printemps 2014, cet arrêt aurait duré jusqu'à l'été 2015, étant rappelé que les soins auraient été identiques.
Or, l'absence d'arrêt de travail avant mai 2015 a permis à Mme C de retrouver une activité professionnelle rémunérée auprès de la FCPE à partir du 1er février 2015, ce qui n'aurait pas été le cas si elle avait été en arrêt de travail.
Ensuite, Mme C estime qu'elle aurait dû percevoir une somme totale de 17 943,50 Euros si elle avait été placée en arrêt de travail à compter du 4 février 2014, alors que l'addition des indemnités perçues de Pôle Emploi et des salaires perçus pendant cette même période aboutit à des revenus totaux de 23 602,85 Euros.
Enfin et surtout, si elle avait été opérée et traitée dès 2014, elle aurait été disponible dès l'été 2015, fin de l'arrêt de travail prévisible, pour reprendre une activité professionnelle.
Finalement, le préjudice économique invoqué n'est pas justifié.
Le jugement sera confirmé, sans que l'équité ne nécessite, en cause d'appel, l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt rendu par défaut, prononcé en dernier ressort,
Vu l'ordonnance N° 2020-204 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale en application de la loi 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de A X,
- CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
- Y ajoutant,
- DIT n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;