Prescription de l’antibioprophylaxie : chirurgien ou anesthésiste ?

(arrêt 12 avril 2022, Cour d’appel de Bordeaux, n° 19/00390)

   Dans un arrêt très motivé prononcé le 12 avril 2022, la Cour d’appel de Bordeaux déboute une patiente ayant consulté pour des métrorragies avec douleurs pelviennes dans les suites d’une probable fausse couche spontanée précoce. Le même jour, le gynécologue-obstétricien a posé l’indication d’une intervention chirurgicale devant des douleurs pelviennes aiguës avec un petit hémopéritoine et l’image d’un kyste dermoïde à l’échographie. L’intervention chirurgicale a consisté en un curetage confirmant la vacuité utérine et en une coelioscopie pour kystectomie simple du petit kyste dermoïde droit. Il était noté un utérus mou et inflammatoire et des trompes inflammatoires.
Sortie de la patiente. De nouveau hospitalisée trois semaines plus tard pour des douleurs abdominales, état fébrile et syndrome inflammatoire. Suspicion d’un pyosalpinx bilatéral après scanner. Coelioscopie objectivant le pyosalpinx justifiant une salpingectomie et un aspect de salpingite aigue droite.
Nouvelle intervention chirurgicale aux suites simples, avec une bi-antibiothérapie intraveineuse.
La patiente avait assigné en se plaignant d’un retard au diagnostic de l’infection génitale haute à l’origine de la perte de chance d’éviter la salpingectomie et les séquelles tubaires.
Un premier jugement l’a entièrement déboutée. La Cour d’appel de Bordeaux confirme la décision de rejet de ses demandes.
Je reproduis ci-après uniquement l’extrait de l’arrêt ayant statué sur la responsabilité encourue par le chirurgien et l’anesthésiste au regard de la prescription de l’antibioprophylaxie et son lien avec l’infection survenue trois semaines plus tard :

« L’appelante, soutenue par la CPAM de la Gironde, fait grief au premier juge d’avoir considéré pour ce qui concerne le docteur Z [gynécologue-obstétricien], qu’il avait bien commis une faute médicale en ne prescrivant pas une antibiothérapie per-opératoire, mais que ce manquement n’était pas en lien certain et direct avec la survenue ultérieure d’une infection et pour ce qui concerne le docteur A[chirurgien], qu’il avait bien réalisé une salpingectomie inutile mais qu’il avait pris cette décision sur la base d’analyses la justifiant.

« S’agissant de la faute du docteur Z, Mme G maintient que l’expertise du docteur B relève bien un manquement préventif antibiotique imputable au chirurgien puisque, même si celui-ci a indiqué que l’antibiothérapie ressort de la responsabilité de l’anesthésiste, le chirurgien doit nécessairement vérifier que cet acte a été réalisé.

« Mme G estime ensuite que contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, l’expert n’a émis aucun doute quant à l’origine de l’infection de la concluante, en ce qu’il a exclu formellement un manque d’hygiène, d’asepsie ou de contamination et retient uniquement et sans équivoque un manquement préventif antibiotique.

« L’assureur du docteur Z, décédé en cours de procédure, soutient que la prescription de l’antibioprophylaxie n’incombe pas au chirurgien mais au médecin anesthésiste, conformément aux protocoles applicables au sein de la polyclinique. En tout état de cause, il fait valoir que l’expert n’évoque qu’une incidence possible mais non certaine du manquement préventif antibiotique sur le phénomène infectieux dont il indique d’ailleurs qu’il est survenu à distance de l’intervention, soit trois semaines après.

« Il résulte des dispositions de l’article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, que la responsabilité du médecin, tenu à une obligation dc moyens dans la réalisation des actes médicaux, suppose la démonstration de la faute du médecin en lien certain et direct avec les préjudices subis par la victime.

« Le docteur Z procède par simple affirmation sans produire de justificatifs lorsqu’il prétend que la prescription de l’antibioprophylaxie n’incombe pas au chirurgien mais au médecin anesthésiste, conformément aux protocoles applicables au sein de la polyclinique.

« Il ne peut ainsi utilement contester, comme le précise l’expert judiciaire, que « l’antibiothérapie per opératoire est d’une commune entente entre les différents médecins présents qui s’occupent du patient dans la salle d’intervention chirurgicale, à savoir l’anesthésiste et le chirurgien ».

« Si la faute du chirurgien est établie, l’absence de prescription d’antibiotique n’étant pas contestée, en revanche, la preuve d’un lien causal direct et certain avec l’infection survenue trois semaines plus tard n’est pas rapportée puisque l’expert n’en évoque que la possibilité dans ses conclusions et, comme l’a noté à juste raison le tribunal, aucun autre élément ne vient conforter la certitude du lien causal avec une infection survenue trois semaines plus tard.

« Il y a lieu, au contraire, de noter que l’expert H I, missionnée par l’assureur de Mme G, a aussi conclu dans son rapport du 16 septembre 2014, que : « il est impossible d’affirmer que l’antibioprophylaxie aurait évité un abcès pelvien profond ».

« Pour ce qui concerne la responsabilité du docteur A, l’appelante se réfère à l’expertise judiciaire qui établit la faute de ce praticien ayant réalisé une salpingectomie inutile, sur le seul fondement de l’image de pyosalpinx non confirmée par l’anatomopathologie.

« Toutefois, comme le fait valoir le docteur A, il est exact qu’une erreur de diagnostic ne constitue pas une faute en elle-même et qu’elle ne devient fautive que si elle résulte d’une méconnaissance de ses obligations par le médecin n’ayant pas su interpréter conformément aux données acquises de la science, les symptômes traduisant l’état du malade.

« Or, en l’espèce, il est constant qu’au moment de l’intervention du docteur A, Mme G présentait un syndrome inflammatoire depuis trois jours, que l’imagerie réalisée la veille de la salpingectomie révélait une suspicion de pyosalpinx bilatéral confirmée par coelioscopie révélant un pyosalpinx prédominant gauche avec une salpingite droite et que les résultats de l’anatomopathologie peuvent être remis en cause, l’antibiothérapie ayant pu masquer l’inflammation et par la même, fausser les résultats de l’analyse.

« Les constatations du chirurgien portées dans son compte-rendu opératoire confirment la suspicion d’une salpingite puisque le docteur A y note : « la trompe gauche présente un aspect de pyosalpinx (') Evacuation de pus franc par la mobilisation de la trompe gauche qui est porteuse d’un volumineux pyosalpinx (') Compte tenu de l’aspect de la trompe gauche, décision de réaliser une salpingectomie ».

« Il apparaît ainsi que même si l’indication de salpingectomie s’avérait inadaptée, le docteur A ne peut voir rechercher sa responsabilité puisqu’il a assuré son obligation de moyens en posant un diagnostic fondé sur un faisceau d’indices concordants laissant penser qu’une salpingectomie s’imposait. Dans ces conditions, c’est à bon droit que le premier juge a écarté la faute du médecin. »

 
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