Médecins et publicité : rappel du droit opposable en France et dans l’Union Européenne, jurisprudence récente de la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins

   Le droit déontologique français a le mérite d’être clair en cette matière : « Sont interdits au médecin tous procédés directs ou indirects de publicité » (article R. 4127-19 du code de la santé publique). L’avocat, l’architecte et l’expert-comptable du docteur en médecine peuvent acheter des espaces publicitaires pour faire leur promotion personnelle, là où le médecin commet une faute disciplinaire.

   On se souvient de l’anecdote qui a fait bondir le maire de Neung-sur-Bevron se réjouissant publiquement d’accueillir enfin un jeune médecin dans sa commune qui en était privée depuis le départ à la retraite du précédent : il reçut en guise de félicitations une lettre annonçant que le nouveau venu risquait de comparaître devant l’Ordre pour avoir bénéficié d’une publicité indirecte totalement prohibée (Le Quotidien du Médecin, 03.05.2016). 

   Les patients seraient-ils les derniers des citoyens auxquels toute information sur l’existence même et les qualités d’un médecin seraient inaccessibles ? non, répond l’Ordre, notamment dans un travail très intéressant récemment publié sur le site web du Conseil National : toute information n’est pas publicitaire. Il est renvoyé à une grille d’interprétation à laquelle se réfèrent aujourd’hui les rapporteurs publics du Conseil d’Etat en faisant appel à trois groupes de critères :

  • la part du praticien dans l’origine des informations ou procédés d’informations reprochés : la publicité sera retenue plus ou moins facilement selon que le médecin est ou non à l’origine des informations le concernant ;
  • la nature et le contenu de ce qui est reproché au médecin : but, termes utilisés, ampleur : différence entre un souci réel d’information et de vulgarisation et ce qui relève d’une présentation avantageuse ou valorisation du médecin, de ses méthodes et ses mérites ; pas de publicité si le médecin se borne à diffuser, sans références à lui-même, des informations objectives à caractère éducatif ou sanitaire ou à finalité scientifique, préventive ou pédagogique, notamment relatives à une maladie ou un traitement ; en revanche, on tombe dans la publicité si la communication insiste sur les mérites du praticien : comme ces obstétriciens condamnés après la naissance de quadruplés dans une clinique du Mans à la suite d’un article de presse rédigé en termes jugés trop élogieux vantant leurs mérites ;
  • à qui le message est-il destiné : à des clients potentiels ou à des professionnels ou collègues, ou encore au grand public ? l’information de confrères sur une technique employée serait moins exposée que l’information directe au public c’est-à-dire à des patients éventuels.

(cf. Note sur la jurisprudence du Conseil d’Etat et de la Chambre disciplinaire de l’Ordre national des médecins, juillet 2016, www.conseil-national.medecin.fr)

  Quelques illustrations de décisions récentes, étant souligné que la communication sur un site internet doit être encadrée dans les mêmes conditions et la juridiction disciplinaire rappelle qu’elle a compétence pour condamner tout médecin inscrit à un tableau d’un ordre départemental français même pour des faits commis à l’étranger dont elle a connaissance, exemple : un site web publicitaire ouvert en dehors de France, ou une publicité dans un journal étranger.  

Sites de groupage de commandes à bas prix :

     A plusieurs reprises, la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a été saisie contre des praticiens qui collaborent avec le site Groupon, lequel offre aux consommateurs des services « shopping-voyage-forme et santé- bars et restaurants- maisons et petits travaux », à prix réduits.

   Une peine de 6 mois d’interdiction d’exercer la médecine dont 3 mois avec sursis a été prononcée, le 15 mars 2016, contre un médecin généraliste « qui exerçait notamment dans une clinique en Belgique où il effectuait des liposuccions ; ces interventions faisaient l’objet, sur le site « Groupon », de propositions mettant l’accent sur une économie de 51%, le prix de 1200 € étant ramené à 589 € […] », en violation de l’article R. 4127-19 du CSP susvisé. La décision ajoute : « Il résulte également des conditions générales du contrat signé entre le Dr D et la société Groupon France que les montants versés par les patients pour bénéficier des prestations mentionnées dans l’annonce étaient partagés entre le Dr D et la société ; le Dr D a ainsi commis un acte de compérage prohibé par les dispositions de l’article R. 4127-23 du CSP et a consenti une commission prohibée par celles de l’article R. 4127-24 du même code. » (Chambre discipl. nat. de l’Ordre des médecins, 15 mars 2016, n° 12596).

   Le 30 septembre 2014, la même Chambre disciplinaire avait suspendu pendant 2 mois dont un et demi assorti du sursis un médecin ayant proposé sur le même site Groupon « une injection de botox front ou pattes d’oie pour 169 € au lieu de 350 » (décision n° 11754).

Des interdictions d’exercer contre les médecins très médiatiques :

   « Un usage massif, systématique et répété des supports de communication » et sa « participation au site qui lui est entièrement dédié, Savoir maigrir avec Jean-Michel Cohen » ont coûté à ce dernier 2 ans d’interdiction d’exercer dont un an assorti du sursis (décision de la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, n° 12336, et pourvoi rejeté par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 15 mars 2017, n° 395398), après la radiation de son confrère Pierre Dukan, prononcée le 24 janvier 2014 (n° 11841) dans une décision retenant notamment : « que son nom, qui est notoirement connu comme celui d’un médecin engagé dans la lutte contre la surcharge pondérale et l’obésité, faisait l’objet d’une exploitation commerciale à des fins publicitaires sur les sites internet « regimedukan.com » […] ainsi que pour la « croisière Dukan pour maigrir en mer » ; que si le Dr Dukan fait valoir qu’il avait demandé que son titre de docteur ne soit pas utilisé par ces entreprises commerciales, il ne s’est néanmoins pas opposé à cette utilisation de son nom ; qu’il en résulte que […] s’il a complètement cessé cette activité à partir d’octobre 2011, […] il a néanmoins laissé utiliser son nom à des fins de publicité commerciale en méconnaissance des dispositions de l’article R. 4127-20. »

et des sanctions mesurées pour les médecins plus nuancés dans leur communication :

    Après avoir fait l’objet en première instance d’une interdiction d’exercer la médecine pendant un an dont 6 mois avec sursis, suite à la publication de leur ouvrage « Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux », les Professeurs Bernard Debré et Philippe Even ont su convaincre la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins qu’en soutenant « que le cholestérol ne présente aucun danger pour une très grande partie de la population et que, pour le restant, il s’agit d’un risque mineur et d’autre part que la prescription de statines présente des dangers dont certains sont graves », ils n’ont fait que contribuer aux controverses existant dans les milieux scientifiques notamment sur l’intérêt de la prévention de l’hypercholestérolémie dans les pathologies cardio-vasculaires et sur l’utilisation des statines et la désensibilisation en matière d’allergies, sans pouvoir être regardés comme ayant violé les articles R. 4127-13 et -21. « En revanche, en usant à l’égard de leurs confrères allergologues, d’un ton méprisant, en particulier par l’utilisation à leur sujet des termes de ²gourous², de ²marchands d’illusions², de ²charlatans² et d’²illuminés², ils ont manqué au devoir de confraternité de l’article R. 4127-56 du CSP », la Chambre d’appel réduisant l’interdiction d’exercer à un blâme (décision du 8 décembre 2015, n° 12284/5).

Enfin, les publications et sites internet jugés non « déontologiques » :

  • « En maintenant au moins jusqu’aux dernières semaines précédant l’audience de la chambre disciplinaire nationale un site qui, tant par les images qu’il comporte que par les textes qui les accompagnent (« Vieillir n’est pas une fatalité, prévenir et rajeunir, mon art de vivre »), présente un caractère manifestement commercial et publicitaire » […] « faisant la promotion de procédés et de techniques non strictement médicales, voire fantaisistes », le Dr F est interdite d’exercice pendant 6 mois (Chambre discipl. nat. de l’Ordre des médecins, 22 mars 2016, n° 12452).
  • « En faisant paraître dans un périodique japonais distribué en France une annonce et une plaquette vantant les mérites de la médecine esthétique pratiquée dans ses cabinets de Londres et Paris et dans lesquels il proposait, en outre, une première consultation gratuite ainsi que des ristournes sous forme d’implantation gratuite de 50 cheveux et de prise en charge d’une coupe et d’un massage capillaire », alors qu’il aurait dû demander que lui soit présenté le document avant impression, en se présentant comme « le médecin privé des célébrités » et en faisant valoir que la « carte privilège » d’une association de ressortissants japonais en France donne droit, en cas d’implantation de 1500 cheveux, à  des prestations gratuites et des ristournes, le praticien se livre à une publicité commerciale interdite, peu importe que « ces encarts aient été rédigés par son épouse japonaise ignorante des règles déontologiques s’appliquant en France » : interdiction d’exercer la médecine pendant 3 mois (Chambre discipl. nat. de l’Ordre des médecins, 28 janvier 2016, n° 12441).
  • Un an dont 6 mois avec sursis d’interdiction d’exercer sanctionne un autre médecin dont les mentions du site internet revêtaient un caractère publicitaire, et dont certaines étaient mensongères, les captures d’écran montrant que « le site comportait des photographies de patients réalisées avant et après certaines interventions, de façon à faire apparaître l’efficacité des traitements » et le site annonçant une activité à Paris, l’autre à Athènes, alors que le médecin n’avait jamais disposé d’autre lieu d’intervention que son cabinet à Grenoble (Chambre discipl. nat. de l’Ordre des médecins, 19 février 2016, n° 12465).
  • « Il résulte de l’instruction que le site internet du Dr B décrivait, en vantant leurs mérites, plusieurs interventions médicales à visée esthétique, dont l’injection de toxine botulique […] que les photos de visages accompagnant chacune des descriptions des différentes interventions à but esthétique présentées sur le site du Dr B ne visaient pas l’information du public mais donnaient un caractère publicitaire à ces descriptions […] ; que la circonstance que le site du Dr B aurait été ensuite modifié n’interdit pas de retenir à son encontre les griefs mentionnés ci-dessus » : 4 mois d’interdiction d’exercer la médecine, dont 2 mois assortis du sursis (Chambre discipl. nat. de l’Ordre des médecins, 14 janvier 2016, n° 12460).
  • « Considérant que plusieurs sites sont consacrés à la présentation de l’activité du Dr B qui s’y déclare Président d’honneur du syndicat national de médecine plastique ; que ces sites vantent parfois sur plusieurs pages, à destination du public essentiellement féminin, de façon extrêmement laudative, photographies, vidéos, procédés d’appel (première consultation gratuite) et témoignages de patients à l’appui, les différents types de programmes de soins esthétiques proposés par ce médecin notamment les programmes dits TMS (traitement médical de la silhouette) et PMR (protocole médical de rajeunissement) ; que, même si n’y figure pas l’adresse exacte du Dr B, […] l’ensemble de ces sites présente un caractère publicitaire » : 3 ans d’interdiction d’exercer, sans sursis (Chambre discipl. nat. de l’Ordre des médecins, 17 février 2016, n° 11980-12818).
  •    On remarque que fréquemment la sanction est moindre voire nulle si le médecin est praticien hospitalier et non libéral en établissement santé privé : le 19 février 2016, la Chambre disciplinaire nationale rejette la plainte d’un conseil départemental contre un chirurgien orthopédique PH plein temps, ayant fait l’objet d’un article dans le journal La Provence, avec deux photographies pendant qu’il opérait, et un entretien pendant lequel il intervenait sur les nouvelles techniques de la chirurgie mini-invasive, sur sa carrière et en particulier sur l’expérience qu’il avait acquise dans un autre hôpital public. La décision retient qu’il était praticien hospitalier sans activité privée à l’hôpital et en déduit que dans ces conditions « on ne saurait lui faire grief de s’être livré à une publicité personnelle » (Chambre discipl. nat. de l’Ordre des médecins, 19 février 2016, n° 12509).
  •    Dans des conditions relativement voisines au regard du contenu d’un article dans Le Dauphiné Libéré, un chirurgien à temps partiel de l’hôpital de Bourg-Saint-Maurice a été condamné à 2 mois d’interdiction dont un avec sursis, en raison d’une description détaillée de ses activités avec une photo, « outre la présence de son nom sur le site d’une maison d’hôtes « La ferme d’Angèle en Savoie ».

La SEL ou la SCP peut elle-même être suspendue :

   Les sociétés d’exercice constituées par les médecins, seuls ou avec d’autres praticiens (SELARL, SELAS, SELAFA ou SCP) peuvent être jugées elles-mêmes responsables de toute infraction déontologique, notamment pour comportement publicitaire. Ainsi, la SELARL d’un médecin spécialiste en stomatologie a-t-elle été condamnée à 3 mois d’interdiction avec sursis, comme le chirurgien, pour avoir participé à des articles et interviews dans Capital, Le Point et sur RTL, à l’occasion d’informations sur les cliniques dentaires low-cost, en « proposant des implants à des prix défiant toute concurrence », « dans un établissement ultra-moderne » (Chambre discipl. nat. de l’Ordre des médecins, 29 janvier 2016, n° 12459-12826).

   Toutes ces décisions sont publiées sur le site du Conseil national de l’Ordre des médecins, rubrique « Jurisprudence ».

   On observe que les excès de certains en matière publicitaire ont contaminé le droit déontologique contraignant les autorités ordinales à sanctionner fort dans un but pédagogique pour l’ensemble de la communauté médicale.

   Il est regrettable que les médecins français ne puissent communiquer au public une information loyale plus complète sur ce qu’ils sont et savent faire, en respectant les principes essentiels de la profession. C’est la publicité outrancière ou mensongère qui devrait être prohibée, celle contraire à l’éthique professionnelle, pas l’information maîtrisée. Mais la publicité excessive disqualifie naturellement son auteur, porte atteinte à son image et écarte naturellement les lecteurs du message dont ils suspectent eux-mêmes le caractère commercial et racoleur, le public n’est pas idiot et il a le choix. Il relève néanmoins des pouvoirs publics de protéger le consommateur par un ordonnancement juridique équilibré et efficace, comme cela est fait, faut-il le rappeler, pour d’autres professions libérales, notamment pour les avocats.

   Les articles R. 4127-79, -80 et -81 du code de la santé publique énumèrent ce qu’il est autorisé de mentionner sur les ordonnances, la plaque professionnelle et les annuaires, c’est-à-dire essentiellement les coordonnées, la qualification et le statut du médecin auprès des organismes d’assurance maladie. Dès qu’il dépasse cette énumération, le praticien s’expose à une poursuite voire une condamnation.

   Le droit français doit évoluer d’autant plus rapidement que les patients se déplacent aujourd’hui facilement, notamment vers des confrères à l’étranger qui communiquent plus librement via internet, alors que leurs prestations mises en valeur par des publicités autorisées n’assurent pas forcément une plus grande rigueur, qualité et sécurité des soins que celles offertes par les médecins français.

   En matière de santé publique, les Etats membres de l’Union Européenne jouissent d’une certaine latitude pour définir le niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique (article 152 CE) et de la manière dont ce niveau doit être atteint. La Cour de Justice des Communautés Européennes a statué le 13 mars 2008 (aff. C-446/05) dans une affaire Ioannis Doulamis, concernant la publicité pour des soins dentaires auprès du public en Belgique, en déclinant l’invitation de son avocat général M. Bot à examiner le dossier sous l’angle de l’atteinte à la liberté d’établissement et à la livre prestation des services.

  Il reste aux médecins le recours à la Convention européenne des Droits de l’Homme, dont l’article 10 protège la liberté d’expression dans son 1er alinéa, tout en autorisant, dans son 2ème alinéa certaines « restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, […] à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui ».

C’est sur ce fondement que le Docteur Stambuk, ophtalmologue qui avait expliqué dans un journal allemand le succès de son traitement au laser, dans une interview illustrée d’une photo, et avait été condamné déontologiquement pour « avoir agi délibérément pour se mettre personnellement en valeur », a saisi la Cour européenne des Droits de l’Homme qui, dans un arrêt du 17 octobre 2002 (réf…) a :

  • reconnu que les restrictions imposées en matière publicitaire aux praticiens dans l’exercice de leur profession poursuivaient un but légitime en ce qu’elles protégeaient les droits d’autrui ou la santé ;
  • mais considéré qu’en l’espèce une procédure disciplinaire ne s’avérait pas nécessaire dans une société démocratique,
  • rappelant que la publicité offre aux citoyens un moyen de découvrir les caractéristiques des biens et des services proposés.

   En l’espèce : la Cour a jugé que l’article contenant une interview et la photographie de M. Stambuk donnait dans l’ensemble une explication équilibrée d’une technique d’opération spécifique qui faisait inévitablement référence à la propre expérience du médecin. L’article pouvait certes avoir eu un effet publicitaire en faveur de M. Stambuk et de son cabinet, mais au regard de son contenu principal, cet effet revêtait un caractère secondaire. L’ingérence dont se plaignait M. Stambuk a constitué d’après la Cour une violation de l’article 10 de la CEDH.

     Mais le pire n’est jamais certain…

ILB

 
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