Depuis une vingtaine d’années, toutes les entreprises de santé y passent en coupes réglées. Les cliniques privées d’abord, vendues à des groupes relevant de fonds de pension ou d’investissement internationaux qui excellent dans la pratique des LBO du « private equity ». Le nombre d’établissements à but lucratif détenus par quelques groupes préoccupe l’Autorité de la concurrence qui s’emploie à chasser les positions dominantes locorégionales « susceptibles d’affecter le bien-être des patients en réduisant leur liberté de choix et la qualité de l’offre de soins disponible ». Les chirurgiens propriétaires de leurs cliniques ont cédé la place à de nouveaux directeurs à l’œil rivé sur leurs tableaux Excel de taux d’occupation et de rentabilité. Idem dans les EHPAD, à l’ingénierie financière élaborée, dont la concentration conduit à des excès malheureusement pas de confort pour les résidents scandaleusement nourris au niveau 0 de la gastronomie. Les profits réalisés en font un des Eldorado parmi les plus convoités aujourd’hui par les fonds d’investissement puisque s’inscrivant dans le secteur médico-social français le plus rentable. Pas besoin de commenter l’évolution des parts de marché et du reste à charge, qui ont en commun d’augmenter, comme le vieillissement de la population qu’on invite à s’installer, quand les établissements et les listes d’attente sont saturés, dans les filiales du Maghreb ou de l’Europe de l’Est.
Aujourd’hui, les financiers s’intéressent aux établissements privés spécialisés dans le SSR1 et la psychiatrie. Les opérations sur l’immobilier de ces structures de santé sont également pertinemment orchestrées entre les acteurs du marché.
Concomitamment à leur implication dans les établissements de santé, les financiers envahissent les spécialités médicales et pharmaceutiques à plateaux techniques onéreux. On a d’abord assisté à la restructuration capitalistique des laboratoires de biologie médicale. Le coût exorbitant des procédures d’accréditation, le prix du renouvellement des automates, la baisse de la nomenclature et l’augmentation de l’âge des biologistes historiquement propriétaires de leurs cabinets, les ont conduits à accepter des fusions-acquisitions au profit d’industriels et groupes financiers offrant des prix de parts sociales ou actions de leurs sociétés d’exercice qu’ils ne pouvaient raisonnablement refuser faute de successeurs professionnels capables d’investir à ce niveau tant les valorisations ont monté (on a vu jusqu’à 4 fois le chiffre d’affaires du cabinet). Une gymnastique juridique savante pour contourner les impératifs de la loi sur les sociétés d’exercice libéral (SEL) a permis là encore le développement de la biologie médicale industrielle, au détriment des professionnels « associés » ultra-minoritaires dont l’indépendance – pourtant garantie par la loi et leur code de déontologie - a totalement disparu en pratique à l’arrivée des capitaux extérieurs. Les LBM indépendants qui résistent et se battent pour le maintien de leur autonomie doivent en outre faire face à des pratiques concurrentielles souvent déloyales, sans toujours avoir la disponibilité et la trésorerie pour lancer les actions judiciaires et disciplinaires que le comportement de certains groupes mériterait.
Actuellement, après les centres dentaires, ce sont les cabinets médicaux d’anatomo-pathologie, les plateaux techniques de radiothérapie, de médecine nucléaire et d’imagerie médicale que ciblent des groupes extérieurs toujours plus enclins à développer leurs investissements dans des secteurs de la santé stables et à fort potentiel de rentabilité.
L’imagerie médicale dans l’œil du cyclone « capital investissement » :
A l’instar de ce qui s’est passé pour leurs amis biologistes, nombre de radiologues cèdent au chant des sirènes et en même temps leur cabinet à des entités diverses, parfois non encore inscrites au registre du commerce et des sociétés mais pourtant présentées comme des équipes de « radiologues compétents et expérimentés qui se consacrent désormais à la gestion des cabinets de leurs confrères dans leur intérêt supérieur ». Une surévaluation des actifs cessibles des médecins vulnérables, la capacité offerte comme un avantage de réinvestir le prix de vente dans les structures de l’acquéreur aussi nébuleuses soient-elles, le refus ou la difficulté des plus jeunes à emprunter pour s’impliquer dans l’économie du cabinet et dans la reprise de sa gestion, conduisent les plus anciens au bord de la retraite et de la crise de nerfs à vendre au plus offrant, craignant de fermer la porte en bradant à un broker le matériel à un prix proche de l’euro symbolique tout en supportant le coût des licenciements des secrétaires et des manipulateurs.
Si le vendeur cesse d’exercer, son principal souci est le montant du prix de vente. En revanche, lorsqu’il envisage de continuer à pratiquer au sein de la structure à laquelle il cède les éléments de son patrimoine professionnel, il doit poser, avant de signer une lettre d’intention (la fameuse L.O.I. qui l’empêchera de regarder ce qu’on lui propose ailleurs en raison de ses clauses d’exclusivité de négociation), quelques questions au groupe candidat à l’acquisition, afin d’obtenir immédiatement des informations essentielles pour apprécier, au bon moment, la qualité du candidat et du projet présentés :
- l’organigramme du groupe : pour savoir si le radiologue vendeur a affaire à un investisseur extérieur au milieu de la radiologie, un financier, un fonds de pension ou d’investissement, ou au contraire à un groupe de confrères qui souhaitent se développer,
- les statuts de la société non exerçante et la répartition de son capital : les financiers se cachent derrière des sociétés par actions simplifiées (les SAS) qui laissent une grande liberté de rédaction et d’adoption d’obligations qui leur sont totalement favorables et confiscatoires des droits essentiels des associés professionnels exerçants et qui s’emboîtent les unes dans les autres au gré de contrats de prestations de services onéreux, de filiales, de holding, etc.
Ce sont là deux points majeurs à vérifier avant de signer toute lettre d’intention ou d’intérêt. Ensuite, le candidat va demander de nombreux documents au cabinet vendeur, qui ne doit pas pour autant manquer de son côté d’obtenir rapidement d’autres informations précises du groupe candidat, notamment :
- les statuts ou le projet de statuts de la société à intégrer s’il entend continuer à pratiquer,
- l’existence ou non d’un pacte d’actionnaires et son contenu éventuel, systématiquement piégeant pour les minoritaires,
- les modalités de calcul du prix de cession : des cédants s’engagent auprès d’un candidat plutôt que les autres en raison d’un prix supérieur aux offres concurrentes lequel va fondre dès la mise en œuvre de formules mathématiques incompréhensibles au premier abord de calcul du « prix définitif » à la date de réalisation de l’opération voire payable les années suivantes ; il arrive en effet que le prix ne soit pas réglé en totalité à la date de cession du cabinet mais sur plusieurs années avec une obligation pour le radiologue « racheté » s’il continue à exercer de réaliser un certain montant de recettes annuelles en dessous duquel il sera privé d’encaisser « le solde du prix de vente », complément de l’acompte ou du prix de base payé à la signature du Protocole,
- les détails du projet, holding ou pas, combien d’actions et de quelle nature obtient le radiologue vendeur dans la SELAS dans laquelle il est admis ? Existe-t-il des actions de préférence ? Dans l’affirmative quels avantages confèrent-elles, en sachant que les actions de préférence peuvent signifier « préférence négative », des pertes de pouvoir, par exemple une limitation du droit de vote de leurs titulaires. Les actions de préférence confèrent le plus souvent des droits de vote double ou des dividendes supplémentaires, qui ne sont que rarement concédés aux radiologues rachetés, auxquels on propose plus volontiers des actions ordinaires s’ils ne réinvestissent pas leur prix de vente dans le groupe acquéreur ; si bien que sous l’apparence d’une SELAS2 démocratique se cache un système ôtant tout pouvoir de gestion aux titulaires des actions ordinaires ;
- s’il existe une holding, SPFPL3 ou autre, les cédants sont-ils invités à y obtenir des actions, à quel niveau et à quel prix ? Les considérations fiscales ne doivent pas être négligées ;
- dans nombre de SELAS, du chef du contrôle des droits financiers par la société non exerçante, les dividendes remontent dans la holding et les radiologues associés exerçants dans la SEL n’en voient pas la couleur ; parfois, il est mentionné dans le pacte d’associés qu’il ne sera délivré aucun dividende pendant une période de croissance de plusieurs années au sein de la SELAS ;
- en cas de demande de scanner/IRM, voir comment les radiologues vendeurs demeurent éligibles aux fruits de leur exploitation, comment récupérer leur part de bénéfices sur forfaits techniques fréquemment confisqués au motif d’une structuration du groupe qui éloigne de la distribution du résultat d’exploitation les radiologues qui les ont générés par leur travail intellectuel ; il faut alors comparer le bénéfice/risque d’investir dans des sociétés qui portent le matériel, les autorisations des ARS et les frais d’exploitation. Certains opérateurs se sont spécialisés dans l’investissement dans ce type de structures, achètent les plateaux techniques des cabinets d’imagerie médicale pour les relouer ensuite aux radiologues vendeurs en en assurant la gestion opérationnelle, le plus souvent à des tarifs évidemment non favorables aux médecins exerçants ;
- en ce qui concerne la gouvernance, on rencontre souvent, lorsque le groupe discrimine droits de vote et droits financiers, une concentration des pouvoirs dans une structure, comité de direction, ou comité stratégique peu importe le vocabulaire, au sein de laquelle les décisions sont prises, mais les cédants minoritaires, même présents, n’ont aucune influence sur les décisions. En fait, c’est la holding ou société extérieure financière qui gouverne, avec un médecin nommé président pour que la SELAS soit présentable à l’Ordre des médecins, mais sans autres pouvoirs que ceux que lui confère le comité de direction ou le comité stratégique au sein duquel le pacte d’associés assure la maîtrise du pouvoir aux financiers. Ce comité non seulement décide de tout mais a seul compétence pour convoquer les assemblées générales, si bien que les médecins exerçants perdent toute indépendance, n’ont souvent pas accès aux comptes de la SELAS et leurs voix ne pèsent rien au sein de la gouvernance. Si le radiologue vendeur est en fin de carrière et travaille seulement quelques années, il supportera la situation, mais ce sera moins acceptable pour un plus jeune médecin n’ayant pas imaginé en entrant dans de telles structures qu’il y serait privé de ses droits les plus élémentaires, comme par exemple la perte de la protection réglementaire au moment d’une procédure d’exclusion de la SELAS, remplacée par des clauses à la faveur du groupe dans un contrat d’exercice entre la SELAS et le radiologue qu’il n’a légalement aucune obligation de signer, sa seule qualité d’associé professionnel exerçant lui permettant de pratiquer l’imagerie médicale sans nécessité de signer un contrat supplémentaire entre la SELAS et lui-même, qui pourtant lui a été présenté comme indispensable avant son agrément ;
- le règlement intérieur est également à analyser, tant il peut être confiscatoire de droits au détriment des associés minoritaires exerçants ;
- le projet médical, la capacité des médecins exerçants à poursuivre ou pas des activités qu’ils diligentaient dans leur précédent cabinet,
- les modalités de rémunération des vacations et leur nombre annuel, la prise en charge ou pas par la SELAS des charges sociales, des cotisations à l’Ordre, des assurances, des frais professionnels.
Bref, entrer en négociation aujourd’hui avec un acquéreur de cabinets d’imagerie médicale impose des précautions, de la patience, et, à défaut d’expérience, d’être bien entouré par un expert-comptable et un avocat spécialisés pour lire entre les lignes des contrats savamment préparés par des cabinets d’affaires rompus à ce type d’opérations.
Mais, je le répète, il convient pour le radiologue de déterminer rapidement avec qui il entre en négociation :
- des confrères loyaux dont le projet consiste à accroître leur périmètre d’intervention locorégional afin d’être suffisamment dotés de fonds propres pour perdurer, avec lesquels il pourra continuer un exercice confraternel de son cœur de métier avec des droits et des devoirs équilibrés dans le respect de la déontologie médicale,
- ou à des investisseurs externes à la profession qui ont pour obsession la progression à tout prix de leur part de marché et du niveau des bénéfices à distribuer avec comme projet à moyen terme la revente du groupe avec la meilleure plus-value possible, laquelle ne sera pas partagée, quelques années plus tard, avec le radiologue ultra-minoritaire et démotivé pour avoir perdu son indépendance et la maîtrise de son outil de travail.
Un groupe de financiers tentant avec une agressivité stupéfiante de se développer dans le paysage français de l’imagerie médicale a voulu imposer récemment à un de mes clients un pacte d’associés aux termes duquel, quelles que soient les circonstances, le radiologue était privé de communiquer avec autrui y compris l’Ordre des médecins, sur tout fait relatif à son exercice au service d’une structure complexe au sein de laquelle il perdait tous ses droits, sauf celui de remplir les vacations imposées avec des normes de rendement aux antipodes de la déontologie médicale et clairement incompatibles avec l’épanouissement professionnel.
Pas la peine de dénoncer la déshumanisation de la radiologie médicale qui se profile dans ce type de structures, elle est déjà requalifiée par ces acteurs sans scrupules « adaptabilité à l’évolution scientifique et économique », la téléimagerie et l’intelligence artificielle remplaçant avantageusement soutiennent-ils le colloque singulier entre le radiologue faillible du 20ème siècle et son patient de demain. C’est donc aujourd’hui qu’il convient de s’en soucier et de privilégier les groupes d’imagerie médicale à taille humaine en tentant de se prémunir contre les effets pervers des clauses notamment dites de drag along, qui contraignent les associés minoritaires à céder leurs actions en cas d’offre de rachat de 100% du capital par un tiers non désiré.
Quand bien même le pire n’est jamais certain, la financiarisation galopante du secteur mérite bien, du côté des radiologues vendeurs, un peu de prudence, de réflexion, voire de résistance, avant le clic du doigt sur le clavier qui délivrera une signature électronique dont il est préférable que les effets soient parfaitement connus et anticipés aux fins que le consentement du radiologue ne soit pas vicié. Information, consentement, des obligations que les médecins connaissent bien dans leurs relations avec chacun de leurs patients, mais qu’ils négligent - de temps en temps - lorsqu’il s’agit de la défense de leurs propres intérêts.
- soins de suite et de réadaptation
- société d’exercice libéral de médecins par actions simplifiée
- société de participations financières de professions libérales