L’article R. 4127-35 du code de la santé publique impose au médecin « une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose » et l’article R. 4127-34 l’oblige à formuler ses « prescriptions avec toute la clarté indispensable, de veiller à leur compréhension par le patient et son entourage et de s’efforcer d’en obtenir la bonne exécution ».
Vaste programme à une époque où le paternalisme éclairé du médecin de nos ancêtres, qui suffisait grâce à une relation de confiance bilatérale à les convaincre de la pertinence et de l’efficacité du diagnostic et du traitement prescrit, est remplacé par une méfiance du consommateur de soins à l’égard de son spécialiste si celui-ci n’a pas suffisamment verbalisé la liste des symptômes à prendre en considération pendant l’anamnèse tels qu’énumérés sur des sites de vulgarisation de qualité hétérogène explorés par l’internaute avant la consultation « en présentiel ».
L’information « instinctive » de l’homme de l’art a vécu, les Facultés de médecine initient des DIU de « stratégies de communication des médecins dans la relation médecin-patient » - ou « patient/médecin » ? – le titre annonce lui-même les digressions et polémiques engendrées par le nouveau débat contradictoire qui a définitivement remplacé l’information bienveillante de celui qui, pendant le colloque singulier, seul savait.
Le médecin demeure soumis à une obligation de moyens en ce qui concerne le résultat de son intervention, mais n’est-il pas tenu d’une obligation de résultat dans le respect de ses obligations en termes de communication sur ce que la loi Kouchner du 4 mars 2002, elle a donc déjà bientôt 20 ans, organisait à l'article L. 1111-2 du CSP : « le droit d’être informé sur son état de santé, sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus » aux fins de garantir « la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées » (article L. 1110-5).
À 25 € la consultation, les champions de la communication médicale doivent gérer la forme – qui évidemment n’exclut pas le fond – avec rapidité et efficacité, sous peine d’avoir à réparer le nouveau « préjudice moral d’impréparation » inventé par la Cour de cassation pour indemniser le patient qui n’a pas bien compris, ou qui a oublié, et qui met judiciairement au défi son médecin d’apporter la preuve qu’il l’avait expressément prévenu de tel risque (même s’il ne s’est pas réalisé) car, mieux informé, il aurait renoncé à l’acte ou serait allé voir ailleurs… Nous vivons désormais les belles heures du deuxième avis, voire du troisième et du quatrième car le patient finit toujours par trouver le praticien qui lui dit ce qu’il a envie d’entendre. Sur les réseaux sociaux et blogs pas toujours bien intentionnés à l’égard de la communauté médicale il pourra alors discréditer anonymement et librement un spécialiste qui n’a pourtant pas démérité, sans que ce dernier puisse s’y opposer : la Cour de cassation n’a pas encore inventé les moyens rapides de faire cesser une diffamation par « avis » diffamatoire sur Google, il faut des mois pour obtenir l’identité de l’auteur de la déloyauté qui se cache sous un pseudonyme et des années pour encaisser un euro symbolique d’indemnité sensée réparer une « atteinte à l’honneur et à la probité » du praticien. Ici comme ailleurs, dans notre société moderne du grand bavardage fuligineux, les menteurs ne sont pas toujours les payeurs.
En routine, la solution pour le médecin est simple : croiser les doigts chaque matin pour que le patient malintentionné, voire le quérulent processif, celui qui a compris qu’il est plus facile d’attaquer un médecin que pour celui-ci de se défendre contre des affirmations aberrantes, ne croise pas le chemin de son cabinet. Les codes de déontologie jouent leur rôle à l’égard des professionnels lourdement sanctionnés en cas de faux-pas ou de manquement à l’éthique. En contrepartie, ces mêmes professionnels n’ont que le droit commun et l’article 1240 du code civil pour agir contre leurs détracteurs malhonnêtes : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
Développer les écrits contractuels pour se protéger est chronophage. Tout enregistrer n’est pas autorisé et compliqué à archiver. Les bonnes pratiques de communication et de télécommunication entre le médecin et son patient évoluent, les excès sont parfois partagés, les accès à l’information ne sont plus réservés à la consultation médicale, les patients-experts se multiplient, mais statistiquement la compétence, l’écoute et l’empathie du médecin continuent à servir l’intérêt supérieur du patient. Dans ce couple incontournable, à chacun de déterminer comment il met en œuvre sa propre lucidité.
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