CEDH, arrêt du 27 août 2015 sur le droit de disposer d’embryons issus d’une FIV

Pour la première fois, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a été appelée à se prononcer sur la question de savoir si le « droit au respect de la vie privée » peut englober le droit de disposer d’embryons issus d’une fécondation in vitro dans le but d’en faire don à des fins de recherche scientifique.  Le 27 août 2015,  cet arrêt (n° 46470/11) de la Grande Chambre rejette la demande d’une ressortissante italienne, Mme Parrillo,  qui après avoir abandonné son projet parental en raison du décès de son compagnon, contestait la loi italienne qui interdit le don d’embryon dans de telles circonstances. Le recours de Mme Parrillo arguait d’une part de la protection du droit de propriété, d’autre part de la protection de la vie privée, protégés respectivement par l’article 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention. La Cour écarte les deux arguments et affirme la conformité de la loi italienne à la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Les faits :

La requérante est née en 1954 et réside à Rome. En 2002, elle eut recours aux techniques de la procréation médicalement assistée, effectuant une fécondation in vitro avec son compagnon au Centre de médecine reproductive du European Hospital (Le Centre) de Rome. Les 5 embryons issus de cette fécondation furent cryoconservés. Avant qu’une implantation soit effectuée, le compagnon de la requérante décède lors d’un attentat en Iraq alors qu’il réalisait un reportage de guerre. Mme Parrillo demanda au directeur du Centre de mettre à sa disposition les 5 embryons cryoconservés afin que ceux-ci servent à la recherche sur les cellules souches. Le directeur rejeta la demande, indiquant que ce genre de recherches était interdit et sanctionné pénalement en Italie, par la loi n° 40/2004 du 19 février 2004.

Quelques extraits de la décision :

159. La possibilité pour la requérante d’exercer un choix conscient et réfléchi quant au sort à réserver à ses embryons touche un aspect intime de sa vie personnelle et relève à ce titre de son droit à l’autodétermination. L’article 8 de la Convention, sous l’angle du droit au respect de la vie privée, trouve donc à s’appliquer en l’espèce.

175. Eu égard aux principes dégagés par sa jurisprudence, la Cour estime qu’il y a lieu d’accorder à l’Etat défendeur une ample marge d’appréciation en l’espèce.

176. De plus, elle observe que la question du don d’embryons non destinés à l’implantation suscite de toute évidence « des interrogations délicates d’ordre moral et éthique » (voir Evans, SH et autres c. Autriche, et Knecht) et que les éléments de droit comparé dont elle dispose […] montrent qu’il n’existe en la matière aucun consensus européen, contrairment à ce qu’affirme la requérante (voir le § 137).

177. Certes, certains Etats membres ont adopté une approche permissive dans ce domaine : 17 des 40 Etats membres pour lesquels la Cour dispose d’informations en la matière autorisent la recherche sur les lignées cellulaires embryonnaires humaines. S’y ajoutent les Etats où ce domaine n’est pas règlementé, mais dont les pratiques sont permissives en la matière.

179. L’Italie n’est donc pas le seul Etat membre du Conseil de l’Europe à proscrire le don d’embryons humains à des fins de recherche médicale.

183. La marge d’appréciation de l’Etat n’est pas illimitée et il incombe à la Cour d’examiner les arguments dont le législateur a tenu compte pour parvenir aux solutions qu’il a retenues ainsi que de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de l’Etat et ceux des individus directement touchés par les solutions en questions (Evans, précité, § 86 et S.H et autres c. Autriche § 97).

188. La Cour constate que, lors du processus d’élaboration de la loi litigieuse, le législateur avait déjà tenu compte des différents intérêts ici en cause, notamment celui de l’Etat à protéger l’embryon et celui des personnes concernées à exercer leur droit à l’autodétermination individuelle sous la forme d’un don de leurs embryons à la recherche.

197. La Cour estime que le Gouvernement n’a pas excédé en l’espèce l’ample marge d’appréciation dont il jouit en la matière et que l’interdiction litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

198. Il n’y a donc pas eu violation du droit de la requérante au respect de sa vie privée au titre de l’article 8 de la Convention.

199. Invoquant l’article 1 du Protocole n° 1 à la convention, la requérante se plaint de ne pouvoir donner ses embryons et d’être obligée de les maintenir en état de cryoconservation jusqu’à leur mort. (…)

200. Le Gouvernement avance d’abord que l’embryon humain ne saurait être considéré comme une « chose » et qu’il est en tout état de cause inacceptable de lui attribuer une valeur économique. Il souligne ensuite que, dans l’ordre juridique italien, l’embryon humain est considéré comme un sujet de droit devant bénéficier du respect dû à la dignité humaine.

203. La requérante soutient que les embryons conçus par fécondation in vitro ne sauraient être considérés comme des « individus » puisque, en l’absence d’implantation, ils ne sont pas destinés à se développer pour devenir des fœtus et naître. Elle en déduit que, du point de vue juridique, ils sont des « biens ».

204. Dans ces conditions, elle estime disposer d’un droit de propriété sur ses embryons. Or elle considère que l’Etat y a apporté des limitations qu’aucun motif d’un intérêt général ne justifie, la protection de la potentialité de vie dont les embryons seraient porteurs ne pouvant être raisonnablement invoquée à cet égard dès lors qu’ils ont vocation à être éliminés.

211. La Cour rappelle que la notion de « bien » au sens de l’article 1 du Protocole n° 1 a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante des qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette disposition. Dans chaque affaire, il importe d’examiner si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire d’un intérêt substantiel protégé par l’article 1 du Protocole n° 1 (…).

214. La Cour relève que la présente affaire soulève la question préalable de l’applicabilité de l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention aux faits en cause. Elle prend acte de ce que les parties ont des positions diamétralement opposées sur cette question, tout particulièrement en ce qui concerne le statut de l’embryon humain in vitro.

215. Elle estime toutefois qu’il n’est pas nécessaire de se pencher ici sur la question, délicate et controversée, du début de la vie humaine, l’article 2 de la Convention n’étant pas en cause en l’espèce. ? Quant à l’article 1 du Protocole n° 1, la Cour est d’avis qu’il ne s’applique pas dans le cas présent. En effet, eu égard à la portée économique et patrimoniale qui s’attache à cet article, les embryons humains ne sauraient être réduits à des « biens » au sens de cette disposition.

216. L’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention n’étant pas applicable en l’espèce, cette partie de la requête doit être rejetée comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35§§ 3 et 4 de celle-ci.

Par ces motifs, (…) la Cour déclare à l’unanimité la requête irrecevable quant au grief tiré de l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention et dit, par 16 voix contre 1, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

  • L’arrêt intégral peut être obtenu sur le site de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, Grande chambre, 27 août 2015 (requête n° 46470/11), ainsi que la très intéressante Opinion concordante du Juge Pinto de Albuquerque qui plante le décor de la recherche sur l’embryon humain en droit international, et notamment les normes de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.

 
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