Responsabilité des sages-femmes, quelques arrêts récents

Article L. 1142-1 du code de la santé publique :

« Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. »

    

Arrêt Cour administrative d’appel de Paris - 7 mars 2019,
retard de la sage-femme pour appeler l’équipe médicale

En 2006, une parturiente est hospitalisée en raison d’une perte de liquide amniotique à 40 semaines de grossesse. Le travail débute dans la nuit avec des anomalies intermittentes du rythme cardiaque fœtal, suivies de récupérations puis d’un nouvel épisode de bradycardie conduisant la sage-femme à appeler l’interne de garde et le chef de clinique. Au matin, devant une suspicion d’anomalie du rythme cardiaque et la non progression de la présentation, la sage-femme appelle un médecin qui procède à l’extraction de l’enfant par forceps 15 minutes plus tard. L’enfant nait en état de mort apparente mais son état s’améliore rapidement et aucun trouble n’apparaît jusqu’à sa scolarisation qui révèle l’existence d’une dyspraxie mixte.
Les parents s’interrogent alors sur l’existence d’un lien éventuel entre ces troubles et les conditions de la naissance de l’enfant.

Le Tribunal administratif de Melun a considéré, par ordonnance de référé du 30 avril 2018, que « l'hôpital avait commis une faute, la sage-femme n'ayant fait appel au chef de garde qu'à 10h04, l'intervention pour abréger les efforts expulsifs étant requise au plus tard 15 mn après le début des efforts expulsifs, soit à 9h50, et qu'il existait un lien de causalité direct entre les troubles neurologiques dont était affectée K...A...et l'asphyxie dont elle avait été victime à sa naissance, cette asphyxie étant elle-même une conséquence directe de la faute commise par le centre hospitalier et, enfin, que son entier préjudice trouvait son origine dans cette faute. »

La Cour administrative d’appel de Paris, saisie par l’Hôpital et son assureur, retient au contraire, dans son arrêt prononcé le 7 mars 2019, qu’« il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'existence d'une faute, ayant consisté en un retard d'intervention de l'équipe médicale, n'apparaît pas, en l'état du dossier, sérieusement contestable. Toutefois, s'agissant du lien causal entre ce retard et les troubles dont souffre l’enfant il n'est pas exclu, en l'état du dossier, que la survenance de ces troubles puisse avoir une origine ou une participation génétique, en l'absence de réalisation d'un bilan génétique, alors en particulier que l'évolution clinique ultérieure de l'enfant n'est pas caractéristique de lésions consécutives à une acidose. De même, il n'est pas non plus exclu que le retard d'intervention de l'équipe médicale n'ait pu avoir pour conséquence qu'une perte de chance pour l'enfant d'échapper aux troubles dont elle souffre dès lors que le processus délétère était, comme il a été dit, déjà enclenché ».

La Cour reconnaît ainsi l’existence d’une faute de la sage-femme informant le médecin de façon trop tardive des évènements. Cependant elle rejette le caractère direct d’un lien de causalité entre les troubles de l’enfant et la faute de la sage-femme, une cause génétique n’étant pas à exclure. Enfin, l’arrêt admet l’éventualité d’une perte de chance pour l’enfant d’échapper aux troubles dont elle souffre, sans pour autant la retenir de façon certaine. La Cour conclut que « l'existence de l'obligation de payer du centre hospitalier et de la société d’assurance n'apparaît pas, contrairement à ce qu'a jugé le juge des référés du Tribunal administratif de Melun, non sérieusement contestable. Par suite, il y a lieu, d'une part, d'annuler l'ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Melun […] et, d'autre part, de rejeter les demandes présentées par M. et Mme F... tant en première instance qu'en appel, ainsi que les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis. »

 

Cour administrative d’appel de Nantes, 8 mars 2019,
absence par la sage-femme d’information d’un utérus cicatriciel à l’obstétricienne :

En 2002, une parturiente est admise à l’hôpital pour y accoucher par voie basse. Suite à l’apparition de signes cliniques évoquant une possible rupture de l’utérus, la gynécologue-obstétricienne de garde pratique une césarienne en urgence. L’enfant nait en bonne santé mais la parturiente décède suite à une défaillance multi-viscérale.

La Cour rappelle d’abord le principe de responsabilité pour faute énoncé au travers de l'article L. 1142-1 du CSP, puis elle retient qu’« Il est constant qu’à son admission au centre hospitalier de Quimper, l'information selon laquelle Mme V présentait un utérus cicatriciel n'a pas été communiquée par la sage-femme à la gynécologue-obstétricienne de garde. Toutefois, il résulte du rapport d’expertise, même si celle-ci avait été présente dès le début du travail, les signes cliniques observables, notamment l'absence de chute de la pression artérielle, n'auraient pas permis de poser une indication de césarienne dans un délai significativement plus bref. Par suite, la faute commise par la sage-femme en omettant de transmettre une information importante au médecin de garde est restée, en l'espèce, sans conséquence sur l'évolution de l'état de santé de la patiente ».

Ainsi, en l’absence d’un lien de causalité établi entre le défaut de communication par la sage-femme d’une information importante à la gynécologue et le décès de la parturiente, la Cour n’engage pas la responsabilité du centre hospitalier sur ce fondement. Cependant, la responsabilité du centre sera tout de même engagée au visa de l’article L. 1111-2 du CSP, la gynécologue obstétricienne ayant manqué à son devoir d’information envers la parturiente sur les risques d’un accouchement par voie basse dans sa situation, même si ce dernier constitue « un évènement naturel et non un acte médical ».

 

Arrêt Cour administrative d’appel de Lyon - 21 février 2019,
échographie après révision utérine :

En 2013, suite à un accouchement sans complication, une sage-femme constate une délivrance placentaire incomplète et pratique une révision utérine sans prescrire d’échographie. Lors du retour à domicile de la parturiente, une expulsion spontanée d’un morceau de membrane du placenta se déclenche. Une échographie révèle alors l’existence d’une rétention intracavitaire nécessitant un curetage. La parturiente reproche à la sage-femme de ne pas avoir réalisé d’échographie suite à la révision utérine.

Le Tribunal administratif puis la Cour d’appel de Lyon rejettent la demande d’indemnisation de la parturiente. La Cour retient au visa de l’article L. 1142-1 du CSP que la parturiente « n’établit pas la nécessité de réaliser, après cette révision utérine, une échographie de contrôle ou encore que la réalisation d’un tel examen aurait permis d’éviter le curetage ».

Ainsi, la nécessité de réaliser une échographie suite à la révision utérine n’étant pas établie, cette omission ne peut caractériser une faute de la sage-femme. Par ailleurs, le lien de causalité entre le fait de réaliser une échographie suite à la révision utérine et le curetage n’est pas certain. La responsabilité du centre hospitalier ne peut donc être retenue sur ce fondement.

Par ailleurs, la Cour ne retient aucun manquement aux règles de l’art dans les suites de la prise en charge de la parturiente après l’expulsion d’un morceau de membrane du placenta. En conséquence, la Cour juge que la parturiente « n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande ».

 

Arrêt Cour administrative d’appel de Bordeaux - 23 novembre 2018 :
extraction tardive en raison d’un retard de la sage-femme à appeler le médecin

En 2001, une parturiente placée sous surveillance suite au dépassement de son terme, accouche par forceps. L’enfant souffre de graves lésions cérébrales.

Le Tribunal administratif de Bordeaux retient la responsabilité du centre hospitalier à raison de l’attitude fautive de la sage-femme dans la gestion de l’accouchement en indiquant que « la détection d’un rythme cardiaque avec oscillations réduites aurait dû l’inciter à faire appel au médecin et à convoquer l’équipe médicale complète afin d’anticiper une extraction en urgence par césarienne ». L’extraction tardive du fœtus étant à l’origine des lésions cérébrales de l’enfant, le Tribunal donne droit à indemnisation de l’intégralité du dommage corporel de l’enfant.

Suite à un appel formé par le centre hospitalier, la Cour administrative d’appel de Bordeaux décide que c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu la responsabilité du centre hospitalier ayant commis « une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service qui a conduit à retarder l'extraction de l'enfant et a prolongé l'insuffisance d'oxygénation du fœtus ».

Pour autant, la Cour rappelle le principe selon lequel :

« Ouvre droit à réparation le dommage corporel résultant de manière directe et certaine de la faute commise par le service public hospitalier. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. »

L’arrêt rappelle clairement la distinction à opérer entre un préjudice relevant de l’existence d’un dommage corporel et un préjudice relevant de la perte de chance.

En l’espèce, « s'il n'est pas certain que les lésions dont souffrent le jeune D étaient irréversiblement acquises dans leur totalité quand la décision de pratiquer la césarienne aurait dû être prise, ni que le délai qui aurait en toute hypothèse séparé cette décision de l'extraction de l'enfant aurait suffi à l'apparition des mêmes lésions, il n'est pas davantage établi avec certitude que le dommage ne serait pas advenu avec une naissance plus précoce. Eu égard à la compression non contestée du cordon à l'origine de la souffrance fœtale et à la probabilité de lésions irréversibles dans le délai qu'aurait nécessité en tout état de cause la mise en œuvre d'une césarienne après le début de la bradycardie, D doit être regardé comme ayant seulement subi une perte de chance d'échapper aux séquelles dont il est atteint en raison du défaut d'organisation du service, qui doit être fixée à 50 %. Il y a lieu, par suite, […] de mettre à la charge du centre hospitalier de Sarlat-la-Canéda la réparation de cette fraction du dommage corporel ».

Lorsque le préjudice consiste en la perte de chance pour la victime d’éviter que le dommage soit advenu comme c’est le cas en l’espèce, la réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue, à savoir 50% de chance.

 

Arrêt Cour d’appel de Bordeaux - le 28 juin 2018 :
épisiotomie à domicile

Lors de l’accouchement d’une parturiente en 2009 à son domicile, une épisiotomie est pratiquée par une sage-femme exerçant à titre libéral, afin d’assurer l’expulsion rapide de l’enfant en bradycardie. Puis une succession de phénomènes infectieux sont subis par la patiente, qui assigne la sage-femme devant le Tribunal de grande instance de Périgueux estimant que son préjudice subi du fait des infections à répétition est en lien avec les fautes commises par la sage-femme et donc de nature à engager sa responsabilité professionnelle.

Le Tribunal se fondant sur le rapport d’expertise rejette la demande de la parturiente en excluant la responsabilité professionnelle de la sage-femme du fait de l’absence de lien de causalité établi entre ses fautes professionnelles et les préjudices subis.

La parturiente déboutée relève appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Bordeaux qui se fonde sur l’article L. 1142-1 du CSP précité, pour rappeler que :

« La responsabilité d’une sage-femme ayant procédé lors d’un accouchement à une épisiotomie puis à sa suture ne peut être retenue que sur faute prouvée en relation de causalité avec le préjudice. »

La Cour répertorie les fautes commises par la sage-femme à chaque étape de l’accouchement :

  • Avant l’accouchement :

La Cour caractérise l’existence d’un « défaut d’information de la part de la sage-femme, dans la phase précédent l’accouchement » de la parturiente au visa de l’article L. 1111-2 du CSP, sur « les risques fréquents ou graves normalement prévisibles liés à une épisiotomie pratiquée à domicile, alors même que cet acte peut être nécessaire pour accélérer l’expulsion ».

  • En cours d’accouchement :

La Cour rappelle au visa de l’article R. 4127-318-18° du code de la santé publique, que « la sage-femme est autorisée à pratiquer l’épisiotomie, la réfection de l’épisiotomie non compliquée et la restauration immédiate des déchirures superficielles du périnée ».

A cet égard, la Cour retient au vu des rapports d’expertise et attestations qu’« il est donc établi que les précautions évoquées par ailleurs par Mme C. (positionnement d'un champ stérile sous la parturiente, port de gants stériles, changement de gants après toucher rectal) étaient insuffisantes, que Mme C. n'a pas respecté toutes les règles d'asepsie de nature à éviter une infection, et qu'en particulier, elle n'a pas procédé à un nettoyage suffisant du périnée et des muqueuses ». La Cour précise encore que « La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des sages-femmes en date du 25 mai 2012, qui n'a pas retenu de faute à cet égard, ne s'impose pas à la juridiction saisie, qui statue au vu de deux rapports d'expertise circonstanciés ».

  • Postérieurement à l’accouchement :

Aucune faute n’est relevée au cours de la surveillance post partum initiale, puisque « Rien ne démontre que la sage-femme ait été en mesure de diagnostiquer une infection au cours de ces six visites à domicile ».

Seul le défaut d’asepsie sera pris en compte par la Cour, le manquement à l’obligation d’information ne faisant pas l’objet d’une demande spécifique d’indemnisation formée par la parturiente. Une fois ces fautes décrites, la Cour s’attarde sur le préjudice et le lien de causalité en concluant qu’« Il n’est pas démontré avec certitude que le manque avéré d’asepsie a causé la totalité du dommage subi par la patiente mais il lui a néanmoins fait perdre une chance d’éviter des complications infectieuses. La réparation du préjudice subi doit donc être effectuée sur la base de la perte de chance subie, définie comme la disparition d’une éventualité favorable ».

Ce moyen tiré de l’existence d’un préjudice par perte de chance est soulevé d’office par le juge qui invite les parties à conclure sur ce dernier à l’occasion de la réouverture des débats et ordonne le renvoi devant le conseiller de la mise en état.

Ces quelques décisions récentes établissent le soin des juridictions saisies à n’engager la responsabilité de l’établissement hospitalier ou de la sage-femme libérale que si trois éléments sont cumulativement réunis :

  • une faute,
  • un préjudice (dommage corporel ou perte de chance),
  • un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

 

 
Les articles sont édités sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Les informations fournies sur www.gyneco-online.com sont destinées à améliorer, non à remplacer, la relation directe entre le patient (ou visiteur du site) et les professionnels de santé.