Incompétence de l’expert judiciaire ?

   Arrêt du 14 mars 2019, Cour d’appel de Paris, Pôle 2, chambre 2 (n° 17/12378) :

   Il n’est pas rare, dans les procès en responsabilité médicale, de critiquer les compétences de l’expert désigné par la juridiction saisie du litige.

   Cet arrêt récent rappelle quelques principes qu’il faut mieux connaître pour récuser l’expert, s’il y a lieu, au bon moment.

   Les faits : un chirurgien urologue pratique une cure de prolapsus par voie basse et procède à une hystérectomie. La patiente saisit le juge des référés qui nomme un expert lequel dépose un pré-rapport dont le contenu est critiqué par le chirurgien urologue qui assigne alors l’expert judiciaire devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de mise en cause de sa responsabilité civile professionnelle en qualité d’expert judiciaire.

   L’arrêt du 14 mars 2019 confirme le jugement du 3 mai 2017. En ce qui concerne les fautes reprochées à l’expert, l’arrêt mentionne :

 

« Considérant que [le chirurgien urologue] recherche la responsabilité délictuelle de [l’expert judiciaire], auquel il reproche, comme fautes, un manque de qualification dans le domaine concerné, qui aurait dû l’amener à se récuser ou à s’adjoindre un sapiteur en application de l’article R. 4127-106 du code de la santé publique, de multiples erreurs médicales et la violation du principe de la contradiction ;

« Qu’estimant avoir des qualifications supérieures à celles de l’expert, il affirme l’absence notable de connaissances et de pratique professionnelle de [l’expert judiciaire] dans le domaine de la chirurgien du prolapsus, à la frontière entre l’urologie, la gynécologie chirurgicale et la chirurgie générale, que n’établissent pas ses spécialités communiquées par l’Ordre des médecins, soit la chirurgie urologique et la gynécologie médicale et non la gynécologie chirurgicale, et en l’absence de pratique depuis 1981 ;

« Qu’il soutient que [l’expert judiciaire] a donné un avis ne pouvant reposer, compte tenu de ses lacunes, que sur des hypothèses et contraire à la littérature médicale, à laquelle son rapport ne fait pas référence et conteste les avis donnés sur les questions de la rétroversion utérine, la stadification du prolapsus, l’incontinence urinaire, et l’indication opératoire, faisant valoir les avis recueillis auprès du professeur Lhermite et du docteur B ;

« Qu’il conteste les conclusions de [l’expert judiciaire], relevant que l’hystérectomie était la cause de la survenue d’un abcès et maintient son indication opératoire, conforme aux règles de l’art ainsi que constaté par l’expert Z, le dernier expert n’ayant pu se prononcer de façon certaine, soulignant que sa condamnation le 17 février 2014 par le Conseil de l’Ordre ne se rapporte qu’au défaut d’information de sa patiente ; »

 

   La Cour de Paris rappelle ensuite les textes de droit s’appliquant à la situation :

 

« Considérant que selon l’article 1382 devenu 1240 du code civil, “Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer” ;

« Que les observations et conclusions de pré-rapport de [l’expert judiciaire] sont critiquées par [le chirurgien urologue] sur un plan technique et au fond, soit un débat relevant de la juridiction saisie du litige l’opposant à Mme E A, dont ne résultent pas des fautes civiles au sens du texte susvisé ;

« Que selon l’article 237 du code de procédure civile, “le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité” ;

« Qu’aux termes de l’article R. 4127-106 du code de la santé publique lorsqu’il “est investi d’une mission, le médecin expert doit se récuser s’il estime que les questions qui lui sont posées sont étrangères à la technique proprement médicale, à ses connaissances, à ses possibilités ou qu’elles l’exposeraient à contrevenir aux dispositions du présent code de déontologie” ;

« Considérant qu’en l’espèce, le choix de l’expert et de sa spécialité relevant du juge, le manque de qualification reproché à [l’expert judiciaire] dans le domaine concerné devait donner lieu, à le supposer établi, à une demande en récusation ou une demande de changement d’expert de la part de M. [le chirurgien urologue] qui s’en est abstenu ;

« Que, selon le Conseil de l’Ordre des médecins de la ville de Paris, [l’expert judiciaire] a comme qualifications la chirurgie urologique, la gynécologie médicale, la cancérologie, la chirurgie générale, la gynécologie-obstétrique, la médecine générale et l’urologie ;

« Que le sentiment d’avoir des qualifications supérieures à celles de l’expert et la critique relative à un manque de pratique supposé ne peuvent contredire la qualification de [l’expert judiciaire] dans la spécialité concernée par l’expertise et son inscription sur la liste des experts de la cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation dans cette même rubrique ;

« Qu’il résulte de ces éléments qu’il ne peut être reproché à [l’expert judiciaire] de ne pas s’être récusé ou de ne pas s’être adjoint un sapiteur, faute de questions étrangères à ses connaissances ;

[…]

« Qu’il résulte de ce qui précède qu’aucune faute ne peut être imputée à [l’expert judiciaire] ; que le rejet des demandes fondées sur l’article 1382 ancien du code civil sera confirmé, étant ajouté qu’ainsi que l’a justement relevé le tribunal, [le chirurgien urologue] ne démontre pas avoir subi le moindre préjudice ; »

   L’expert judiciaire obtient 2 000 € à titre de dommages et intérêts et 3 000 € au titre de ses frais de défense, que le chirurgien urologue est condamné à lui payer.

   Conclusion : lorsqu’un expert judiciaire nommé n’apparaît pas compétent dans l’hyper-spécialité concernée par l’objet du litige, c’est avant le dépôt du pré-rapport ou du rapport qu’il convient de saisir le magistrat qui contrôle les expertises pour solliciter la désignation d’un deuxième expert dans l’hyper-spécialité concernée. Il est extrêmement difficile de contester la compétence de l’expert une fois qu’il a déposé son rapport.

 
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