Prise en charge des carcinomes canalaires in situ : une désescalade thérapeutique est-elle possible ?

Auteurs

Henri Azaïs, Marianne Nikpayam, Clémentine Gonthier,

Jérémie Belghiti, Geoffroy Canlorbe, Catherine Uzan

 

Service de chirurgie et oncologie gynécologique et mammaire,

Hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière, Paris

Introduction

Les carcinomes canalaires in situ (CCIS) du sein représentent 85% à 90% des cancers in situ du sein [1]. Ces lésions sont asymptomatiques et fréquemment diagnostiquées lors du dépistage mammographique, en particulier sous forme de microcalcifications. Les objectifs principaux du traitement des CCIS sont la prévention de l’évolution sous forme invasive, la minimisation de la morbidité imputable au traitement et de son impact cosmétique [2].

En 2015, l’Institut National du Cancer (INCa) a publié de nouvelles recommandations pour la prise en charge des CCIS. Elle repose sur l’exérèse chirurgicale des lésions, par une tumorectomie en berges saines (marges d’exérèse 2 mm) ou par une mastectomie en cas de lésions étendue. La radiothérapie est recommandée après traitement chirurgical conservateur [1].

Les attitudes proposées sont donc standardisées sans prendre en compte l’hétérogénéité des lésions histologiques et des situations cliniques. Or, la littérature scientifique s’est enrichie ces dernières années de données permettant de discuter le bénéfice, dans certaines situations, d’une désescalade thérapeutique. L’objectif de cette mise en point et de discuter les modalités de traitement qui pourraient faire l’objet d’une désescalade dans la prise en charge des CCIS.

 

Chirurgie

Il n’est pas recommandé en France de proposer une surveillance active comme alternative au traitement local, c’est-à-dire à l’exérèse chirurgicale, en dehors d’essais cliniques. Les recommandations françaises de 2015 ne retiennent aucune indication pour une abstention d’exérèse chirurgicale dans la prise en charge d’un CCIS. Il est en effet rapporté un risque de transformation du CCIS vers le carcinome infiltrant dans 14% à 53% des cas sans que des marqueurs prédictifs de l’invasion n’aient pu être mis en évidence [1,4]. La prise en charge chirurgicale des CCIS est validée par des données cliniques, mais ses indications n’ont pas évolué malgré l’amélioration des connaissances concernant la biologie et le potentiel évolutif de ces tumeurs.

Or, il semble que pour une population sélectionnée de patientes, présentant des lésions de bas grade, la prise en charge chirurgicale puisse être considérée comme un « surtraitement », car il n’est pas certain que toutes ces lésions évoluent vers l’invasion et impactent sur la survie des patientes. L’histoire naturelle des CCIS de bas grade non traités est mal connue car leur découverte impose jusqu’à présent leur exérèse chirurgicale. Certaines données permettent néanmoins de considérer que 50% à 85% des CCIS ne progresseront pas vers l’invasion [5,6]. Par ailleurs, la tumorectomie serait dans certaines séries responsable de douleurs persistantes avec une prévalence comparable à celle observée après mastectomie.  Ces douleurs sont responsables d’une altération de la qualité de vie des patientes [7], pour ces raisons, se pose la question d’une désescalade dans la prise en charge chirurgicale des CCIS dans une population de patientes sélectionnées à bas ou faible risque.

L’étude LORD (Management of low-risk DCIS - NCT02492607), actuellement en cours d’inclusion, est une étude comparant, pour les CCIS de bas grade, une surveillance active à la prise en charge de référence (exérèse chirurgicale, avec ou sans radiothérapie, ou mastectomie avec possible hormonothérapie) [8]. D’autres études sont également en cours et portent sur la même problématique, en particulier LORIS (the low-risk DCIS trial) [9], ou COMET (Comparison of operative to monitoring and endocrine therapy - NCT02926911). Il faut donc attendre les conclusions de ces études avant de proposer la désescalade chirurgicale au profit d’une surveillance active pour les patientes présentant un CCIS de bas grade.

 

Radiothérapie

Les résultats de l’association chirurgie et radiothérapie pour le traitement des lésions de CCIS sont excellents [10]. L’étude récente de Shumway et al. montre qu’il existe une grande hétérogénéité dans l’indication de radiothérapie en fonction des écoles après chirurgie conservatrice du sein [11].

La qualité des marges d’exérèse à un impact sur le taux de récidive au niveau du sein homolatéral à la lésion après tumorectomie et radiothérapie. Ainsi, dans l’étude portant sur plus de 4000 patientes, des marges saines de 2 mm apparaissaient être associées à un risque plus faible de récidive que des marges inférieures à ce seuil [12]. Cette observation pourrait être modulée par le volume des foyers de CCIS dont on souhaite faire l’exérèse. Ainsi, il semble que pour des volumes plus importants [13], un seuil de marge saine supérieur puisse diminuer le taux de récidive. Les experts de la conférence de consensus de St. Gallen en 2017 ont également indiqué que pour les patientes traitées par une chirurgie conservatrice du sein et une radiothérapie, la pratique habituelle consistant à obtenir des marges plus larges que 2 mm n’était étayée par aucune preuve et que l’adoption de recommandations considérant que des marges inférieures à 2 mm pouvaient être acceptables en cas de CCIS pourrait réduire les taux de ré-excision avec également une diminution de l’anxiété, de la morbidité, du coût, des effets indésirables et une diminution des délais avant mise en œuvre du traitement par radiothérapie [14,15]. La reprise chirurgicale pour marges < 2 mm ne serait donc pas pertinente si une radiothérapie était réalisée dans ce contexte [16]. Par contre, l‘absence de radiothérapie chez les femmes de moins de 40 ans avec des marges < 2 mm était associée à la survenue plus fréquente d’une récidive locale [17].

L’obtention de marges supérieures à 10 mm, en particulier grâce aux techniques d’oncoplastie, pourrait par ailleurs faire discuter l’indication de radiothérapie complémentaire [18,19]. Il semble que pour les petites tumeurs de bas grade, l’exérèse large de la tumeur sans radiothérapie soit une option acceptable. Les résultats d’une étude rapportant le taux de récidive sous forme de tumeur invasive du sein à 12 ans d’une exérèse chirurgicale large de CCIS sans radiothérapie montrent un taux de 5,5% pour les tumeurs de bas grade, 6,7% pour celles de grade intermédiaire, 11,7% en cas de haut grade (p=0,19). Ce risque augmente au cours des 12 années sans atteindre de plateau [20]. Ces taux sont donc à mettre en balance avec les risques d’effets secondaires imputables à la radiothérapie à l’échelle individuelle. Pour les patientes à haut risque, en l’absence de mastectomie, l’indication d’exérèse large en association avec la radiothérapie reste indiquée.

 

Personnaliser les indications de traitement

La prédiction d’une récidive invasive homolatérale à la lésion de CCIS pourrait être améliorée par l’intégration de biomarqueurs aux paramètres conventionnels d’histopathologie [23]. De la même manière, certaines informations génétiques pourraient conduire à reclasser des lésions de CCIS de bas grade en authentiques lésions non cancéreuses [3].

Le score de l’Université de Californie du Sud - Van Nuys (UCS/VN) [21,24] (Tableau 1) intègre différents facteurs prédictifs indépendants de récidive locale après traitement chirurgical conservateur d’un cancer du sein. Une pondération est associée à chacun des facteurs en fonction de seuils définis sur la base de statistiques provenant de bases de données cliniques. Le score obtenu peut être ensuite intégré dans des algorithmes d’aide à la décision d’indication thérapeutique [24].

 

Tableau 1

Score pour le calcul de l’index pronostique de l’Université de Californie du Sud / Van Nuys.

Le score pour chaque facteur est additionné pour obtenir le score total.

 

 

 

1

2

3

Taille de la tumeur (mm)

15

16-40

≥41

Marges chirurgicales (mm)

≥10

1-9

<1

Histologie

Grade 1-2, absence de nécrose

Grade 1-2, présence de nécrose

Grade 3

Age (ans)

≥61

40-60

≤39

 

 

Les tests génomiques sont de plus en plus utilisés pour identifier plus précisément les patientes porteuses de cancer du sein invasif qui pourraient tirer profit d’une chimiothérapie lorsque l’indication est incertaine. Sur ce modèle, le test Oncotype© DX DCIS (DCIS score) permettrait d’estimer le risque de récidive locale (CCIS ou invasive) à 10 ans en l’absence de radiothérapie après chirurgie conservatrice du sein pour CCIS [25].

Enfin, l’âge des patientes lors du diagnostic de CCIS est un facteur pronostic pouvant intervenir dans les indications de prise en charge. On retient communément que les femmes de moins de 40 ans présentent un risque plus élevé de récidive locale [22] sans qu’un seuil exact fasse consensus. En l’absence d’étude incluant des patientes jeunes, il convient de ne pas proposer avant 40 ans de stratégie comprenant une désescalade thérapeutique.

 

CONCLUSION

Les recommandations proposées par l’INCa pour la prise en charge des CCIS ne prennent pas en compte l’hétérogénéité des situations cliniques et de la nature des lésions diagnostiquées. Il est bien établi que la radiothérapie n’a pas d’impact majeur sur la survie globale et que son intérêt pourrait être discuté dans les situations les moins à risque de récidive invasive pour lesquelles la chirurgie seule pourrait être suffisante, sous réserve de marges suffisantes.

Ces interrogations imposent la définition précise de populations à risque et de préciser l’intérêt de la prise en compte de nouveaux marqueurs moléculaires et des outils d’aide à la décision.

Les résultats attendus de plusieurs études prospectives en cours d’inclusion pourraient aller dans le sens d’une désescalade thérapeutique significative pour la prise en charge adjuvante des CCIS dans les années à venir.
 

Références

1.         Institut national du cancer. Prise en charge du carcinome canalaire in situ. 2015;

2.         Benson JR, Wishart GC. Predictors of recurrence for ductal carcinoma in situ after breast-conserving surgery. Lancet Oncol 2013;14(9):e348-357.

3.         Benson JR, Jatoi I, Toi M. Treatment of low-risk ductal carcinoma in situ: is nothing better than something? Lancet Oncol 2016;17(10):e44251.

4.         Polyak K. Molecular markers for the diagnosis and management of ductal carcinoma in situ. J Natl Cancer Inst Monogr 2010;2010(41):2103.

5.         Lopez-Garcia MA, Geyer FC, Lacroix-Triki M, Marchió C, Reis-Filho JS. Breast cancer precursors revisited: molecular features and progression pathways. Histopathology 2010;57(2):17192.

6.         Erbas B, Provenzano E, Armes J, Gertig D. The natural history of ductal carcinoma in situ of the breast: a review. Breast Cancer Res Treat 2006;97(2):13544.

7.         Narod SA, Iqbal J, Giannakeas V, Sopik V, Sun P. Breast Cancer Mortality After a Diagnosis of Ductal Carcinoma In Situ. JAMA Oncol 2015;1(7):88896.

8.         Elshof LE, Tryfonidis K, Slaets L, van Leeuwen-Stok AE, Skinner VP, Dif N, et al. Feasibility of a prospective, randomised, open-label, international multicentre, phase III, non-inferiority trial to assess the safety of active surveillance for low risk ductal carcinoma in situ - The LORD study. Eur J Cancer Oxf Engl 1990 2015;51(12):1497510.

9.         Francis A, Thomas J, Fallowfield L, Wallis M, Bartlett JMS, Brookes C, et al. Addressing overtreatment of screen detected DCIS; the LORIS trial. Eur J Cancer Oxf Engl 1990 2015;51(16):2296303.

10.       Cutuli B, Bernier J, Poortmans P. Radiotherapy in DCIS, an underestimated benefit? Radiother Oncol J Eur Soc Ther Radiol Oncol 2014;112(1):18.

11.       Shumway DA, McLeod CM, Morrow M, Li Y, Kurian AW, Sabolch A, et al. Patient Experiences and Clinician Views on the Role of Radiation Therapy for Ductal Carcinoma In Situ. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2018;100(5):123745.

12.       Dunne C, Burke JP, Morrow M, Kell MR. Effect of margin status on local recurrence after breast conservation and radiation therapy for ductal carcinoma in situ. J Clin Oncol 2009;27(10):161520.

13.       Vicini FA, Kestin LL, Goldstein NS, Baglan KL, Pettinga JE, Martinez AA. Relationship between excision volume, margin status, and tumor size with the development of local recurrence in patients with ductal carcinoma-in-situ treated with breast-conserving therapy. J Surg Oncol 2001;76(4):24554.

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16.       Tadros AB, Smith BD, Shen Y, Lin H, Krishnamurthy S, Lucci A, et al. Ductal Carcinoma In Situ and Margins <2mm: Contemporary Outcomes With Breast Conservation. Ann Surg 2017;

17.       Van Zee KJ, Subhedar P, Olcese C, Patil S, Morrow M. Relationship Between Margin Width and Recurrence of Ductal Carcinoma In Situ: Analysis of 2996 Women Treated With Breast-conserving Surgery for 30 Years. Ann Surg 2015;262(4):62331.

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