La responsabilité médicale face aux recommandations de bonne pratique

Le contentieux en responsabilité des médecins est resté rare jusque dans les années 80, pour connaitre une croissance continue jusqu’à nos jours. Au regard de l’évolution rapide des connaissances et des coûts engendrés, les acteurs du système de santé ont convergé vers l’élaboration de recommandations aux fins d’optimiser la prise en charge des malades. Si ces recommandations peuvent s’avérer utiles pour le médecin, elles sont parfois utilisées en leur défaveur lors d’un contentieux en responsabilité.

I- Les principes de la responsabilité médicale

La responsabilité civile médicale [i]désigne l’obligation qui pèse sur le médecin de réparer les dommages qu’il aurait causés au cours de son exercice professionnel

La responsabilité médicale ne peut être engagée qu’en cas de faute[ii]. La faute, bien que variable, résulte d’un manquement du professionnel de santé à ses obligations légales et/ou déontologiques. Pour apprécier le caractère fautif du comportement du médecin, les juges se réfèrent notamment à la loi et à la déontologie médicale.

Sauf exceptions, les lois et les règlements peinent à prescrire impérativement un comportement médical dans une situation donnée. En effet, l’exercice médical obéit à deux principes : l’indépendance professionnelle et la liberté de prescription. Le médecin doit être libre de ses décisions et prescrire au patient ce qu’il estime le plus approprié. Ces principes issus de la déontologie médicale[iii] sont relatés par la loi[iv] et ont été consacrés comme principe général du droit[v]. Toutefois, ces principes ne s’opposent pas à ce que le médecin puisse s’aider d’outils pour sa décision.

II- La valeur normative incertaine des recommandations

Comme les a définies la haute autorité de santé en 2010, les recommandations de bonne pratique ne sont que « des propositions développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données ». Elles constituent donc des outils destinés à aider le professionnel de santé dans ses décisions. Néanmoins, les recommandations sont, dans les faits, des instruments de régulation médicale qui ont pour finalité d'orienter ou de modifier le comportement de leurs destinataires. Elles ne créent pas de droits ou d’obligations pour leurs destinataires, car elles n’ont pas l’autorité de la loi ou du règlement. Toutefois, elles représentent par leur contenu, leur élaboration et leur formalisation, toutes les apparences de règles de droit. La normativité des recommandations non impératives est incertaine, car il est laissé au médecin la possibilité de s’en affranchir[vi]. Cependant, la normativité des recommandations n’en est pas moins indirecte.

III- Les facteurs d’appréciation de la responsabilité médicale à l’égard des recommandations  

Les recommandations de bonne pratique n’appartiennent ni au domaine de la loi, ni au domaine du règlement. Néanmoins, elles entretiennent un rapport étroit avec eux, ce qui leur confère une certaine forme d’autorité.

a. Le lien entre les recommandations et les données acquises de la science

Le législateur a consacré l’obligation déontologique faite au médecin de dispenser des soins conformes aux données acquises de la science[vii] en droit pour le malade.

Le Conseil d’État a déclaré que les recommandations de bonne pratique n’étaient que la formalisation des données acquises de la science au moment de leur élaboration.

Mais les recommandations représentent-elles véritablement les données acquises de la science ? Le constat est qu’un grand nombre de recommandations repose sur de simples avis d’expert[viii] et non sur des données démontrées issues de la littérature. Par ailleurs, certaines stratégies de prise en charge recommandées reposent au moins en partie sur des considérations économiques, absentes des études scientifiques. Enfin, des recommandations contradictoires peuvent coexister, parfois par défaut d’actualisation.

Du fait de la technicité du domaine et lors d’un contentieux en responsabilité, le juge fera le plus souvent appel à un médecin expert pour l’éclairer.

Cet éclairage ne se limite pas à déterminer la recommandation applicable au fait, mais a également pour objet de savoir si le comportement du médecin était approprié.

b. Le caractère inapproprié du respect ou du non-respect des recommandations

Si la responsabilité du médecin peut être recherchée lorsqu’il n’a pas respecté une recommandation ayant le caractère de données acquises de la science, l’inverse est également possible. Le comportement fautif du médecin sera apprécié à la lumière du caractère approprié ou non de la recommandation vis-à-vis du cas clinique[ix].

c. La présence d’un lien de causalité entre la conduite du médecin et le dommage

La faute n’engage la responsabilité médicale que si elle est à l’origine d’un préjudice. Ainsi la responsabilité civile médicale n’est retenue que si la faute présente un lien de causalité avec le préjudice[x].

En conclusion, les recommandations de bonnes pratiques sont aussi bien des outils d’aide à la décision pour les médecins que des outils d’appréciation de la responsabilité médicale pour les juridictions. L’obligation de les respecter repose principalement sur 2 éléments. D’une part, il faut qu’elles soient le reflet des données acquises de la science au moment des faits, et d’autre part, il faut qu’elle soit adaptée à la situation médicale.

Par principe, le comportement du médecin est apprécié par rapport aux recommandations existantes au moment des faits[xi]. Néanmoins, la Cour de cassation a récemment accepté qu’un gynécologue-obstétricien invoque le fait qu'il ait prodigué des soins conformes à des recommandations émises postérieurement aux faits[xii].

S’écarter des recommandations est toujours possible à condition de pouvoir le justifier comme par exemple démontrer l’obsolescence de la recommandation en cause, ou encore son inadaptation à la situation clinique. De manière plus rare, l’existence d’un conflit d’intérêt chez un auteur

 

[i] C’est le célèbre arrêt Mercier qui a posé les fondements juridiques de la responsabilité médicale en droit privé (Cass. civ., 20 mai 1936 : DP 1936, 1, p. 88, concl. Matter, rapp. Josserand ; S. 1937, 1, p. 321, note Breton).

[ii] Art. L.1142-1 Code de la santé publique

[iii] Art. 5 et 32 du Code de déontologie médicale, inséré à la partie réglementaire du Code de la santé publique, respectivement aux articles R.4127-5 et R.4127-32.

[iv] Loi n° 71-525 du 3 juillet 1971, art. L.162-2 Code de la sécurité sociale.

[v] Pour le principe de liberté de prescription, v. CE, 18 février 1998, Sect. locale du Pacifique Sud de l'ordre des médecins, Lebon T. 710 ; RFDA 1999. 47, note Joyau, et pour le principe d’indépendance professionnelle des médecins, v. T. confl. 14 févr. 2000, Ratinet, req. n° 02929 , Lebon T. 749 ; Dr. adm. 2000, no 121, obs. C. Esper ; RFDA 2000. 1232, note D. Pouyaud ; JCP 2001. II. 10584, note J. Hardy.

[vi] CA Versailles, 26 janvier 2017, n°14/09204.

[vii] Art. 32 du Code de déontologie médicale codifié à l’article R.4127-32 du Code de la santé publique.

[viii] C. Grouchka, Droit et recommandations de bonne pratique médicale, Mémoire de Master II droit de la santé, Université Montpellier I, 2015, p.51.

[ix] Pour ex., v. CA Lyon 31 mars 2015 n° 13/09279.

[x] Lien de causalité, v., CAA Paris, 8e chambre, 4 avril 2019, n° 18PA00640 ; absence de lien de causalité, v., CAA Douai, 16 octobre 2018, n° 16DA01597.

[xi] Cass, 1re civ., 13 juillet 2016 n° 15-20268.

[xii] Cass. 1re civ., 5 avril 2018, n° 17-15.620 ;

 
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