Abaisser l’âge du dépistage du cancer du sein de 50 à 40 ans peut « sauver des vies »

Le mois d’Octobre est traditionnellement le mois du dépistage cancer du sein, dépistage qui permet une réduction de la mortalité de 20 à 30 %. En France, le dépistage organisé est proposé entre 50 et 74 ans avec un examen clinique, une mammographie deux incidences tous les deux ans, complétés éventuellement par une échographie mammaire, avec double lecture. Le dépistage individuel vient compléter le dépistage avec des âges plus étendus. Parmi les 58 000 nouveaux cas de cancers du sein par an en France, 43 % sont diagnostiqués en dehors des 50-74 ans avec 21 % avant 50 ans [16 % entre 40 et 50 ans et 22 % après 74 ans]. Le dépistage avant 50 ans est-il justifié ?

L’article publié dans le Lancet Oncology 1 évalue l’intérêt du dépistage pour les 40 – 48 ans et son impact sur la mortalité. L’étude UK Age, contrôlée randomisée a été réalisée entre 1990 et 1997, dans 23 centres de dépistage en Grande Bretagne, a recrutée 160 921 femmes en les assignant au hasard : Groupe 1 (n=53883 ; 33.5%) femmes dépistées avec une mammographie annuelle une incidence à partir de 39 – 41 ans puis inclusion dans le dépistage organisé à partir de 50 ans (NHS Breast Screening) et le Groupe 2 (n= 106 953 ; 66.5 %) prise en charge standard, c’est-à-dire première mammographie à partir de 50 ans tous les 3 ans. Le suivi médian a été de 22.8 ans.

À 10 ans de suivi, il a été observé une réduction de 25 % de la mortalité avec 83 décès dans le groupe 1 (dépistage précoce à partir de 40 ans) versus 219 décès dans le groupe contrôle. [RR] 0·75 [95% CI 0·58–0·97] ; p=0·029. Les auteurs ont rapporté peu de surdiagnostics.

Au-delà des 10 premières années de suivi la différence de mortalité s’atténue et en fin de suivi, il n’est plus observé de différence entre les deux groupes. Cependant, aucune réduction significative n'a été observée par la suite, (126 décès (dépistage précoce) contre 255 décès (groupe contrôle) est survenu après plus de 10 ans de suivi (0,98 (0,79 à 1,22) ; p = 0,86). Probablement en raison de la faible mortalité avant 40 ans et la petite taille de lésions il y aura peu d’impact sur la mortalité globale.

La réduction de la mortalité de 25 % les 10 premières années, doit cependant être nuancée. La discussion principale et le biais majeur de cette étude sont le rôle de la chimiothérapie par rapport au dépistage dans la réduction de la mortalité. Il existe cependant des arguments en faveur du dépistage précoce : une étude menée sur la même cohorte 2 a trouvé une réduction significative de la mortalité dans le groupe de dépistage à partir de 40 ans pour les patientes avec des cancers du sein de grade 1 et 2, mais aucune différence de mortalité des cancers du sein de grade 3. Pour les tumeurs plus agressives, des résultats récents suggèrent que même avec des thérapies systémiques adjuvantes efficaces, il existe un avantage de survie grâce au diagnostic et au traitement à un stade précoce 3,4.

À l’inverse de cette étude anglaise, UK Age, les études suédoises 5, américaines 6 ou Canadienne 7 pour des raisons méthodologiques n’ont pas permis d’évaluer le rôle respectif du début du dépistage avant 50 ans versus l’apport de la chimiothérapie concernant la réduction de la mortalité.

Le dépistage à partir de 40 ans montre dans cette étude le résultat de 1 vie sauvée pour 1 000 femmes dépistées avec très peu de surdiagnostic élément essentiel qui pourrait freiner le dépistage à partir de 40 ans.

Le présent et l’avenir du dépistage précoce à partir de 40 ans peut-il encore progresser ? Cette étude a été réalisée entre 1990 et 1997 et nous connaissons les progrès technologiques récents (mammographie numérique, tomosynthèse) sans oublier l’échographie mammaire très utile pour les seins denses (risque de faux négatifs souvent rapportés pour les femmes jeunes).

Finalement, en plus des progrès thérapeutiques à l’origine d’une réduction de 50 % de la mortalité 8, la mammographie avant 50 ans associée aux autres moyens d’imagerie diagnostique et interventionnelle, peut être utilisée en dépistage individuel. Elle permet dans cette tranche d’âge un diagnostic précoce de cancer du sein et de sauver bien plus de vie, sans attendre encore 20 ans pour justifier cette stratégie.

Chloé DRATWA - Jean-Yves SEROR
Centre de Sénologie Duroc Diagnostic et Interventionnel
5 et 9 Boulevard du Montparnasse 75006 PARIS
www.imagerieduroc.com

 

Références

  1. Duffy SW, Vulkan D, Cuckle H, Parmar D, Sheikh S, Smith RA, Evans A, Blyuss O, Johns L, Ellis IO, Myles J, Sasieni PD, Moss SM. Effect of mammographic screening from age 40 years on breast cancer mortality (UK Age trial): final results of a randomised, controlled trial. Lancet Oncol. 2020 Sep;21(9):1165-1172.
  2. Duffy S, Vulkan D, Cuckle H, Parmar D, Sheikh S, Smith R, Evans A, Blyuss O, Johns L, Ellis I, Sasieni P, Wale C, Myles J, Moss S. Annual mammographic screening to reduce breast cancer mortality in women from age 40 years: long-term follow-up of the UK Age RCT. Health Technol Assess. 2020 Oct;24(55):1-24.
  3. Saadatmand S, Bretveld R, Siesling S, Tilanus-Linthorst MM. Influence of tumour stage at breast cancer detection on survival in modern times: population based study in 173,797 patients. BMJ. 2015 Oct 6;351:h4901.
  4. Tabár L, Dean PB, Chen TH, Yen AM, Chen SL, Fann JC, Chiu SY, Ku MM, Wu WY, Hsu CY, Chen YC, Beckmann K, Smith RA, Duffy SW. The incidence of fatal breast cancer measures the increased effectiveness of therapy in women participating in mammography screening. Cancer. 2019 Feb 15;125(4):515-523.
  5. Tabár L, Chen HH, Fagerberg G, Duffy SW, Smith TC. Recent results from the Swedish Two-County Trial: the effects of age, histologic type, and mode of detection on the efficacy of breast cancer screening. J Natl Cancer Inst Monogr. 1997;(22):43-7.
  6. Shapiro S. Periodic screening for breast cancer: the HIP Randomized Controlled Trial. Health Insurance Plan. J Natl Cancer Inst Monogr. 1997;(22):27-30.
  7. Medical Advisory Secretariat. Screening mammography for women aged 40 to 49 years at average risk for breast cancer: an evidence-based analysis. Ont Health Technol Assess Ser. 2007;7(1):1-32.
  8. Wise J. Breast cancer: study claiming that screening women in their 40s saves lives "found the opposite," say critics. BMJ. 2020 Aug 13;370:m3191.

 
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