Substitution des mitochondries : nouvelle dérive vers la fabrication des humains

Le Royaume-Uni vient donc d’autoriser la construction de « bébés à trois parents » et le professeur Doug Turnbull, de l'Université de Newcastle, promet la première naissance en 2016. De quoi s’agit-il ? Quand une femme possède des mitochondries (contenant l’ADN du cytoplasme des cellules) susceptibles de transmettre de graves pathologies à sa descendance, il est proposé de transférer l’ADN nucléaire (celui des chromosomes) de son ovocyte, dans l’ovocyte d’une autre femme dont les mitochondries sont normales, la première devenant la mère de l’enfant. En ajoutant l’ADN nucléaire masculin (les chromosomes du père arrivés par la fécondation), on obtient bien une combinaison de trois origines génétiques alors que, depuis toujours, les mitochondries de l’enfant proviennent de la même femme que les chromosomes féminins. A noter que cette manipulation est nommée indifféremment « bébé à trois ADN », l’équivalence parent=ADN révélant le réductionnisme génétique de notre époque…..

Il y a bien des raisons de résister à cette nouvelle proposition. Certaines sont scientifiques : quelle démonstration par l’expérimentation animale (de plus en plus négligée) de l’absence d’effets indésirables pour l’enfant ? Les mitochondries étant transmise à tous les enfants, garçons ou filles, par leurs mères depuis le début et  jusqu’à la fin des temps, quelles éventuelles conséquences à terme de cette modification héréditaire, première manipulation historique du matériel génétique germinal dans notre espèce? D’autres questions concernent les aspects humains et juridiques : quel sera le statut des femmes donneuses d’ovules, ce don sera-t-il gratuit ? Sera-t-il anonyme ? Quels seront les  droits éventuels des femmes donneuses d’ovules sur l'enfant à naître ? Surtout le problème des limites (ou de l’absence de limites) pour  les manipulations de l’humanité est de nouveau posé [1]. On constate que  l’enfant est conçu de plus en plus par combinaison d’éléments biologiques variés (gamètes étrangers au couple, location d’utérus, remplacement de mitochondries…). Alors, quand le « produit enfant » ne peut pas réellement être celui du couple, ne serait-il pas préférable d’accepter le fait de la stérilité, en s’abstenant de procréer ou en recourant à l’adoption, plutôt que chercher toujours à contourner les handicaps à force d’acrobaties de plus en plus problématiques ? Ces acrobaties, même inutiles,  sont déjà quotidiennes : tous les pays ont accepté le recours à des techniques complémentaires à la FIV dont les avantages n’ont jamais pu être montrés mais dont les risques sont réels. Il en est ainsi de l’éclosion assistée, du contrôle du spermatozoïde à injecter dans l’ovule (IMSI), de la culture prolongée de l’embryon,  ou tout récemment de son examen en 3 D…Les effets épigénétiques qui pourraient résulter de telles situations sont apparemment négligés par tous les comités d’éthique et les autorités de santé…La voie est donc largement ouverte pour de nouvelles audaces, surtout si elles conditionnent la naissance d’un enfant comme avec la substitution mitochondriale, puisque c’est seulement à cette condition que les parents porteurs de  risque grave oseraient la procréation.

Il ne faudrait pas se rassurer en arguant du faible nombre de couples qui relèveraient de cette nouvelle technologie car un seul cas particulier peut être l’occasion d’une grande agitation parlementaire et de nouveaux développements, pourvu que des avocats ardents se placent résolument à la barre de la compassion. N’a t-on pas autorisé le « bébé médicament » (dit aussi « double DPI »  pour  « double diagnostic génétique préimplantatoire »), une manipulation controversée qui ne s’est appliquée qu’à un seul cas en une dizaine d’années… mais a permis une réception largement positive du DPI ?

Il apparaît aujourd’hui que le « bébé à trois ADN » pourrait ouvrir discrètement, et toujours  au nom de la compassion, la voie du clonage humain. Car, à bien y regarder, la brebis Dolly, premier mammifère « cloné »[2], montrait déjà cette double origine du génome femelle puisqu’elle était issue, comme seront nos bébés à trois ADN, de la substitution, par celui d’une donneuse, du noyau maternel d’un ovocyte conservant ses propres mitochondries. Cependant le père de Dolly est réputé inexistant (il est en réalité confondu avec son grand-père[3]) alors que nos bébés à trois ADN auront un vrai papa, on ne fait pas n’importe quoi !

Pourtant, la fabrication de ces bébés équipés de bonnes mitochondries pourrait suivre plutôt que précéder la fécondation : plutôt que transférer le matériel nucléaire d’un ovocyte à l’autre, il est possible de transférer, dans une cellule d’un autre embryon pourvu des bonnes mitochondries, un noyau embryonnaire prélevé deux jours après la fécondation (stade 4 cellules). Je fais même l’hypothèse que cette manipulation aurait de plus grandes chances de succès. Au stade de 4 cellules, toutes les cellules embryonnaires sont encore totipotentes et capables chacune (donc avec des chances de réussite quadruplées) de permettre le développement d’un enfant, comme montré depuis longtemps dans notre espèce[4]… De plus, cette alternative serait potentiellement moins risquée (stress mécaniques et/ou épigénétiques) car il est périlleux de manipuler l’ovocyte, cette cellule devant subir immédiatement de délicats remaniements nucléaires (fin de méiose) et cytoplasmiques (maturation) pour devenir l’ovule.

 On ignore si le protocole prévu par les Britanniques concerne l’ovocyte, l’ovule ou l’embryon. Ce qui serait purement et simplement un clonage d’embryon pourrait-être ainsi camouflé sous les expressions, soit  obscure d’« enfant à trois ADN » (c’est ce que préfèrent les médias), soit anodine de « remplacement mitochondrial » (c’est ce qu’ont approuvé les élus britanniques) ? Outre ses interrogations propres, le « bébé à 3 parents » est propice au débordement de l’unique interdit bioéthique international à ce jour : celui du clonage humain.

Jacques Testart, biologiste de la procréation et critique de science (http://jacques.testart.free.fr)

 Dernier ouvrage : L’humanitude au pouvoir. Comment les citoyens peuvent décider du bien commun. Seuil, 2015

 

[1] Jacques Testart : Faire des enfants demain. Seuil, 2014

[2] Par simplification on reprendra ce qualificatif  impropre. Le clonage vrai reproduirait des individus possédant  le même génome (chromosomes et mitochondries), comme les vrais jumeaux.

[3] Note compliquée, seulement pour les curieux et les pervers: la part masculine du génome du noyau transféré est celle transmise par le spermatozoïde ayant fécondé la mère de la donneuse de cellule, car cette cellule somatique n’a pas subi les transformations caractéristiques des cellules germinales (méiose).

[4] Observation involontaire : des naissances normales ont pu être obtenues après transfert d’embryons n’ayant conservé qu’une cellule sur 4 après décongélation !

 
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