La bioéthique : Une affaire politique ?

Le législateur a modifié dans la douleur les règles qui prévalent dans notre pays à propos du mariage. Les manifestations hostiles ont succédé aux banderoles de ceux qui étaient favorables. Pour ou contre ? Le degré zéro du débat. Le manichéisme comme vadémécum de notre société. De slogans en mots d’ordre, de manifestations publiques en provocations diverses, le débat a finalement été escamoté. L’intelligence a cédé le pas à la manipulation et la société française qui avait là une magnifique opportunité de s’approcher de la complexité des enjeux bioéthiques, n’a eu droit qu’à l’obscénité d’arguments outrés.

Pourquoi notre société manque t-elle de maturité au point de se priver d’une véritable réflexion sur ce que sera le monde de demain, celui de nos enfants ? Comment se fait-il que le seul domaine où les arguments d’autorité prévalent encore soit celui de la bioéthique ? Autoritaire et paternaliste sont les deux adjectifs qui conviennent le mieux pour décrire la posture des politiques en charge de la direction de notre pays pour les questions qui touchent à la bioéthique. La controverse est pourtant devenue fort populaire sur les questions économiques, sur les problèmes écologiques, sur la balance entre l’impôt et les possibilités des entreprises. Le débat sur ces sujets est nourri. Mais sur les questions bioéthiques, tout se passe comme si on redoutait le débat. L’observation vaut autant pour les interdits que pour les licences. Hors du tout contexte de révision de la loi bioéthique, sur le simple argument d’un changement de majorité au sein du parlement, la recherche sur l’embryon (à laquelle je suis personnellement favorable) vient d’être autorisée, sans qu’aucun débat public n’ait précédé cette décision. Comme si les enjeux bioéthiques pouvaient dépendre de la fluctuation des majorités politiques. Comme si, les arguments de force et de contrainte étaient les seuls valables dans un domaine où la raison devrait être souveraine.

D’où vient cette peur des politiques de laisser le débat bioéthique féconder la société française comme cela se produit dans les pays du nord de l’Europe. Une esquisse de réponse : la bioéthique est une machine efficace pour perdre des voix, jamais pour en gagner. Un autre élément de réponse : notre tradition paternaliste. L’éthique de conviction du chef s’impose à toute la patrie. Ainsi la religion ou la philosophie personnelle de celui qui dirige la France (ou de ses plus proches conseillers ou lobbyistes) vaudrait comme « guide suprême » en matière de bioéthique ? Un domaine réservé en quelques sortes ? Il saurait, lui, ce qui est bon pour les français et les protégerait d’ailleurs contre eux-mêmes, eux qui sont bien sûr incapables de prévoir les conséquences de leurs choix ?

Paternaliste donc mais aussi autoritaire. Le fossé qui, sur certaines questions, se creuse entre la loi de la France et l’opinion publique amène beaucoup d’incompréhension. Qui décide ? Et comment ? Comment se décident les orientations de notre pays en matière de bioéthique ? On demande un avis à un CCNE qui de fait se trouve instrumentalisé et doit opérer sous la pression d’un délai intenable. Si cet avis est conforme à l’opinion du chef c’est bien. Sinon, on ne bouge pas. Un débat public ? Qu’à cela ne tienne. On tire au sort 12 français dans trois régions de France à qui l’on administre des cours soigneusement orientés pendant quelques jours puis on leur demande ce qu’ils en ont retenu et on appelle cela « Etats Généraux de la Bioéthique ». Après cela, qui pourrait encore soutenir qu’on n’a pas consulté les français ?

L’époque a changé. Ce n’est plus du ressort des politiques d’imposer leurs vues personnelles ou celles de leurs maîtres de conscience comme ce fut le cas pour Louis XIV qui, sous influence, révoqua l’Edit de Nantes. Ils peuvent gouverner par décret pour les impôts ou l’économie, par pour la bioéthique. S’il est vrai que la loi est importante dans ce domaine pour définir les grands principes et les valeurs que tous nous souhaitons respecter, il n’est plus acceptable que le grand public soit tenu à l’écart de ces choix, hormis quelques simulacres de sa consultation.

De grands sujets doivent être débattus publiquement dans toutes les grandes villes du pays, que ce soit pour les problèmes de procréation médicalement assistée ou de famille, pour la fin de vie ou encore pour les conséquences à venir des avancées phénoménales de la génétique. Chacun doit pouvoir s’approcher de ces sujets et les apprécier à l’aune de ses propres valeurs. Et si on avait laisser infuser la question compliquée du mariage des homosexuels (indument appelée « mariage pour tous » comme si le marketing était de mise dans ces questions) dans la société française sans se presser de changer la loi, tout le monde y aurait gagné. Le gouvernement n’aurait pas donné l’impression de passer en force et le public aurait pu disposer d’autres arguments et explications que ceux des slogans et des mots d’ordre.

Respecter les français et leur faire confiance, c’est accepter qu’ils débattent démocratiquement des enjeux de la bioéthique. Ils en ont l’appétence comme l’a montré l’expérience du Forum Européen de Bioéthique à Strasbourg[1]. Ils en ont la compétence et sommes toutes, c’est du monde de leurs enfants qu’il s’agit. Alors ?

 

[1] Forum Européen de Bioéthique www.forumeuropeendebioethique.eu

 
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