Révision de la Loi de Bioéthique. Autoconservation des ovocytes : effet d’annonce ou réelle volonté ?

La révision de la Loi de Bioéthique dans son article 2 (L-2141-12) ouvre la possibilité pour les femmes comme pour les hommes d’une autoconservation des gamètes (notamment des ovocytes), mais en réservant cette activité aux centres publics et privés à but non lucratifs.

« Seuls les établissements publics de santé ou les établissements de santé privés à but non lucratif habilités à assurer le service public hospitalier peuvent, lorsqu’ils y ont été autorisés, procéder au prélèvement, au recueil et à la conservation des gamètes mentionnés au deuxième alinéa du présent I. Ces activités ne peuvent être exercées dans le cadre de l’activité libérale prévue à l’article L. 6154-1. »

Cette restriction a particulièrement choqué les professionnels libéraux qui y ont vu une discrimination non justifiée. En effet, les professionnels libéraux et les centres privés dans lesquels ils exercent sont soumis aux mêmes obligations de formation et de qualité que les centres publics, notamment pour les laboratoires susceptibles d’auto-conserver les gamètes ; au respect de l’arrêté de bonnes pratiques en Assistance Médicale à la Procréation, et à l’accréditation des laboratoires selon la norme ISO 15189.

Dans ce contexte, plusieurs professionnels de l’AMP (du secteur privé comme du secteur public) ont demandé à être auditionnés par la commission spéciale du Sénat chargée de l’examen du projet de loi bioéthique . Nous avons été reçus par l es rapporteurs de la commission , présidé par le Sénateur Alain Milon , et avons défendu nos arguments en vue de l’introduction d’un amendement autorisant les centres privés à faire des autoconservations de gamètes. Cet amendement, fut adopté en commission spéciale, puis en séance plénière le 21 janvier 2020. Le Gouvernement, dénonçant « un cadre protecteur [qui ne serait] plus assuré » a préféré que l’article soit rejeté plutôt que de voir les acteurs privés de l’AMP autorisés à réaliser l’autoconservation de gamètes. Ainsi, c’est le principe même de l’autoconservation des gamètes (article 2) qui a été retiré du projet de Loi  !

Pourquoi ce cadre ne serait-il pas protecteur et quels pourraient en être les risques ?

  • Existe-t-il un risque pour les femmes en demande d’autoconservation d’ovocytes ? La notion de marchandisation a été mise en avant par certains. Cet argument ne tient pas dans la mesure où un décret d’application encadrerait cette pratique dans des établissements (centres d’Assistance Médicale à la Procréation) qui sont autorisés et contrôlés par les Agences Régionales de Santé et par l’Agence de la Biomédecine. Ce décret préciserait les possibilités d’accès à l’autoconservation à la fois pour l’âge minimum de la femme auquel il peut être réalisé et pour l’âge maximum de la femme auquel les ovocytes congelés pourraient être utilisés. De plus il faudrait une information très claire pour les femmes jeunes leurs précisant que cette autoconservation de leurs ovocytes ne remplace pas une grossesse précoce spontanée en termes de probabilité d’obtenir une grossesse.

Précisons également que les centres privés en France réalisent à plus de 50% des tentatives d’AMP, preuve de la confiance que leurs font les couples.

  • Existe-t-il un risque pour les ovocytes au moment de leurs vitrifications ? Les centres privés comme publics réalisent depuis des années les protocoles de vitrification des ovocytes dans un contexte d’AMP (autorisation datant de la Loi de Bioéthique de 2011). De plus l’ensemble des centres d’AMP privés comme publics réalisent les activités de vitrification dans les mêmes conditions, en respectant l’arrêté de bonnes pratiques et surtout en ce qui concerne les laboratoires d’AMP avec une accréditation selon la norme ISO 15189.
  • Existe-t-il un risque pour la conservation des gamètes dans le temps ? Les centres privés d’AMP conservent des gamètes et des embryons congelés en AMP depuis des années sans qu’il y ait plus de risque que dans les centres publics, comme le montre les bilans d’AMP vigilance de l’Agence de la Biomédecine.
  • Existe-t-il un risque pour les ovocytes en cas d’arrêt de la volonté de conservation par la femme ? Comme pour les embryons congelés, un consentement pourrait être demandé chaque année à la patiente afin de savoir si elle souhaite continuer cette autoconservation et si elle a atteint l’âge limite défini dans le décret d’application pour l’utilisation de ses ovocytes, ce qu’elle souhaite faire. Dans ce cas, la patiente aurait le choix entre l’arrêt complet de la conservation ou le don de ses ovocytes à une autre patiente. En cas de choix du don, et dans la mesure où ce sont les centres publics qui détiennent les autorisations de dons d’ovocytes, il pourrait y avoir un transfert des ovocytes auto-conservés vers un centre ayant l’autorisation de don d’ovocytes. Cette organisation est déjà en place depuis des années pour les embryons cryo-conservés dans les centres privés, qui n’ont plus de projet parental et qui sont transférés dans des centres autorisés pour l’accueil d’embryons.
  • Existe-t-il un risque pour le coût pris en charge par l’Assurance Maladie ? L’autorisation d’autoconservation des ovocytes doit être accessible à toutes les femmes dans le respect des limites du décret d’application, et dans la mesure où cela peut être considéré comme de la médecine préventive, la prise en charge par l’assurance maladie peut se justifier. Le fait d’autoriser les centres privés à réaliser cette activité n’augmenterait pas le coût pour l’assurance maladie par rapport à une prise en charge uniquement par les centres publics puisque les actes de biologie sont encadrés par une nomenclature. L’argument d’une soit disant démarche des centres privés pour inciter les femmes à autoconserver leurs ovocytes ne tient pas non plus dans la mesure où le décret d’application encadrerait cette pratique.

Pour ces différentes raisons, il ne nous semble pas que donner l’autorisation de cette pratique aux centres d’AMP privés mettent qui que ce soit dans un contexte non protecteur. Mais peut-être, y-a-t-il d’autres raisons que nous n’appréhendons pas.

Le questionnement des professionnels de l’AMP n’est pas de savoir si cette autorisation d’autoconservation doit être votée ou non. C’est un choix du législateur. Par contre, si cette autorisation est votée dans la Loi, les professionnels de l’AMP pensent qu’autoriser cette activité aux centres privés comme au centres publics, contrairement à ce qui est dit, renforce le caractère protecteur vis-à-vis des patientes en leurs donnant un choix plus important ; les professionnels du secteur public s’étant exprimés sur la difficulté à prendre en charge la totalité des demandes, notamment par manque de temps et de moyens.

Interdire aux praticiens libéraux de pratiquer l’autoconservation des gamètes signifiera une orientation des femmes souhaitant une autoconservation vers un nombre nécessairement limité de structures d'accueil publiques et privées à but non lucratif (d’autant plus que tous les centres publics ne demanderont pas forcément cette autorisation), avec pour effet direct et immédiat une entrave à l’accès aux soins des patients et, par voie de conséquence, un allongement du délai de prise en charge. Il est même probable que de nombreuses patientes continueront à aller à l’étranger pour autoconserver leurs ovocytes dans un contexte parfois beaucoup moins protecteur pour elle.

 

 
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