L’intelligence artificielle en médecine : quelques réflexions

Qu’est-ce que l’intelligence ?
La vision, l’audition, l’odorat ont des définitions simples : ce sont les facultés de voir, entendre et sentir les odeurs. Par contre, même si nous faisons intuitivement la différence entre une personne intelligente et une autre stupide, la définition précise de l’intelligence reste nettement plus complexe.
Au cours de l’évolution, de multiples formes d’intelligence ont émergé. En témoignent :
- le comportement individuel et social des dauphins, chimpanzés, abeilles, oiseaux, fourmis, chiens…,
- les interactions conflictuelles depuis 2 à 3 millions d’années entre les différentes espèces du genre Homo. Apparu il y a 200 000 à 300 000 ans, Homo sapiens a acquis, à la suite de mutations fortuites, une supériorité cognitive qui a conduit à l’extinction de toutes les autres espèces humaines il y a 12 000 ans. 
Son niveau actuel d’intelligence associe de multiples composantes :
. Cognitive mesurée par le QI : traitement de l’information, qualité du raisonnement, capacité à agir dans un but de réussite scolaire et professionnelle,
. Emotionnelle et sociale : identification et maîtrise des émotions, compréhension de celles des autres, interactions avec le groupe social,
. Intuitive : faculté de reconnaître les situations nouvelles et de les comprendre avec bon sens,
. Créative : adaptation pertinente à l’environnement et aux autres êtres vivants.

Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
Remontant à environ 70 ans, le concept consiste à obtenir d’une machine qu’elle imite l’intelligence humaine et si possible la dépasse largement.
Après l’informatique (stockage illimité de données organisées) et l’internet (communication instantanée entre banques de données), le traitement automatisé des données constitue la troisième étape de la révolution technologique en cours.
L’intelligence artificielle faible, descendante ou machine learning vise à reproduire des processus préalablement modélisés. La machine mémorise les algorithmes qui lui sont fournis et les exécute de façon supra-efficace, sans objectif d’évoluer vers d’autres tâches : c’est typiquement la victoire en 1997 de Deep blue sur Kasparov aux échecs.
L’intelligence artificielle forte, ascendante ou deep learning, repose sur l’exploration (data mining) de données massives (big data) sans modèle préétabli : c’est la machine qui crée ses propres algorithmes et utilise l’expansion continue de sa base pour les améliorer par auto-apprentissage.

Quelle place va prendre l’intelligence artificielle en médecine ?
Comme dans pratiquement tous les domaines scientifiques et sociétaux, l’intelligence artificielle suscite un intérêt croissant du fait de ses applications à la plupart des spécialités médicales.
L’analyse automatisée d’images numérisées au niveau des pixels permet un premier tri rapide et une précision supérieure à celle de l’œil humain, utile en radiologie, cytologie, anatomo-pathologie, dermatologie, ophtalmologie, voire en AMP pour l’étude des images embryonnaires en time-lapse.
La réalité augmentée en chirurgie améliore la détection des structures vitales et réduit les risques d’erreurs, les complications et le temps opératoire.
L’analyse des données de santé (CNAM, PMSI, Hôpitaux), des banques de données génétiques, oncologiques, la conception de nouveaux médicaments ou vaccins… constituent des applications possibles parmi beaucoup d’autres en cours ou attendues.

Quels sont les aspects positifs de l’intelligence artificielle en médecine ?
Le recours à l’intelligence artificielle pourrait s’imposer au titre de l’obligation de moyens : le Code de la santé publique R.4127-32 fait obligation au médecin d’« assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science ». Seul un outil d’analyse en temps réel permet de prendre réellement en compte une masse exponentielle de données, non maitrisables par le cerveau humain : dossier médical partagé, génomique, capteurs connectés, recommandations évolutives basées sur une accumulation de publications internationales.
Le praticien peut par ailleurs en espérer une réduction de sa charge de travail répétitive et une meilleure prévention des erreurs médicales, avec leurs implications médicolégales.
En santé publique, l’intelligence artificielle devrait permettre la détection plus précoce des épidémies, une meilleure modélisation de l’évolution des maladies, une prévision des flux de patients, une amélioration de la prévention et une optimisation du rapport coût / efficacité des différentes prises en charge.

Quelles sont les risques de l’intelligence artificielle en médecine ?
Certaines spécialités, comme celles concernées par l’analyse d’images, ne vont pas disparaître mais connaître une réorganisation, avec un rôle recentré sur la validation, le blocage de résultats aberrants, l’accompagnement et l’explication.
La sécurité des données de santé constitue un enjeu majeur : rupture de confidentialité, cyber-piratage, mauvais usage par des tiers (employeurs, banques, assurances), commercialisation à des start-ups ou des compagnies pharmaceutiques. En dehors de l’Europe, protectrice par le RGPD, les données de santé sont considérées comme un bien commercial, voire un moyen de contrôle de la population.
Le risque ultime est le brouillage de la frontière entre intelligence humaine et artificielle, notamment en cas d’évolution autonome (deep-learning échappant au concepteur), aboutissant à des conclusions impossibles à comprendre par le médecin et à justifier auprès de ses patient (black box). La perspective d’un médecin presse-bouton et de décisions déléguées aux algorithmes pose les problèmes :
- du consentement éclairé, donné au médecin ou à la machine,
- de la responsabilité diluée entre concepteur, maintenance et médecin utilisateur,
- et de l’échelle des accidents possibles : de 2001 à 2006, 450 cancers de la prostate ont été surirradiés à Epinal du fait d’un logiciel défectueux, avec 12 morts.

Au total :
Ce qu’il est convenu d’appeler « l’intelligence artificielle » est indiscutablement supérieure à celle de l’homme dans le domaine cognitif : brassage de grandes quantités d’information, tri, mémorisation, puissance de calcul, application de règles logiques stéréotypées. Avec l’augmentation exponentielle des données à prendre en compte, elle va devenir une évolution incontournable en médecine, comme dans bien d’autres domaines.
Par contre elle est dénuée des autres composantes essentielles de notre intelligence : conscience, subjectivité, intuition, adaptation aux situations inhabituelles. Un robot applique à merveille des lignes de codes, sans aucune empathie.
Les médecins vont devoir se battre pour qu’elle reste un moyen à leur disposition dont ils gardent le contrôle, rester capables d’en comprendre les propositions, de détecter de possibles déviances, d’en discuter avec leurs patients et de prendre éventuellement avec eux d’autres décisions. Au-delà de la performance technique, la qualité de la relation humaine doit rester au premier plan.

 

 
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