Génétique et fertilité

Résumé de la session Génétique et Fertilité aux journées de l’Association des Généticiens de Langue Française (Saint Malo, septembre 2018).

 

La recherche de causes génétiques d’infertilité doit faire partie du bilan d’exploration du couple infertile.

 

En routine actuellement, un caryotype chez les deux membres du couple doit être réalisé devant des fausses couches à répétition, devant des échecs de transferts embryonnaires, ou de développements embryonnaires précoces.

 

Chez l’homme un caryotype doit être réalisé devant une oligo-asthéno-tératozoospemrie sévère, voir modérée et devant une azoospermie, ainsi qu’en cas de fausses couches répétées chez la conjointe. Une recherche de microdélétion du chromosome Y devra être faite devant une azoospermie ou une oligozoospermie sévère d’origine sécrétoire (inférieure à 5M/ml). Une recherche de mutation du gène CFTR devra être réalisée devant une oligozoospermie d’origine excrétoire avec hypospermie et pH acide du sperme.

 

Chez la femme, un caryotype et une recherche de mutation du gène FRM1 (syndrome de l’Xfragile) devra être faite en cas d’insuffisance ovarienne précoce, voir en cas de diminution de la réserve ovarienne et en cas de fausses couches répétées. Une recherche de mutation du gène CFTR sera réalisée en cas de mutation hétérozygote chez le conjoint.

 

Devant les progrès des techniques de génétique maintenant à notre disposition, nous pouvons espérer aller plus loin dans la recherche d’anomalies génétiques de la fertilité. Les anomalies retrouvées dans les recherches décrites ci-dessus ne représentant que 15 à 20% des causes d’infertilité, laissant ainsi près de 80% de cas d’infertilité dites inexpliquées sur le plan génétique.

 

La journée de l’ACLF « Génétique et fertilité » avait pour but de présenter les nouvelles possibilités diagnostic parfois encore au niveau de la recherche, et pour certaines déjà disponibles pour aller plus loin dans la recherche des causes génétiques d’infertilité.

 

Le docteur Sylvie JAILLARD du CHU de RENNES nous a présenté les nouveautés des causes génétiques de l’infertilité sur le versant féminin.

Un rappel a été fait sur la différence entre insuffisance ovarienne prématurée (FHS > 25 UI/L, arrêt de la fonction ovarienne avant 40 ans, touchant 1% des femmes) et les diminutions de la réserve ovarienne (AMH<0,5 ng/ml et/ou CFA <5-7 et/ou FSH>10 UI/L, touchant 10% des femmes avant 40 ans).

Les anomalies de caryotypes représentent 10 à 13% des cas d’IOP = syndrome de Turner (45,X) ; 47,XXX, délétion du chromosome X, translocation X-autosome.

De nombreux gènes peuvent être en cause au niveau du chromosome X : principalement POF1 (Xq27.3 )FMR1, POF2A (Xp21.33) ; POF2B (Xq22.1q21.2) ; POF4 (Xq11.22) BMP15.

De nombreux gènes ont également été mis en évidence au niveau des autosomes, dans des IOP soit syndromiques, soit non syndromiques : ATM (11q22) ; FOXL2 (3q22.3) BEPS ; GALT (9p13.3) ; PMM2 ( 16p13.2) …

Les nouvelles technologies de génétique, bien plus puissantes que le caryotype classique ont permis de lier ces gènes à différentes anomalies de l’ovogénèse. Ainsi la technique d’analyse chromosomique du puce à ADN (ACPA) a permis de relier un syndrome microdélétionnel en 15q25.2 chez trois patientes présentant une IOP, et impliquant le gène CPEB1 (Jaillard et al, 2016). Ce gène a été ensuite retrouvée chez 1,5% des patientes présentant une IOP (Hyon et al, 2016).

 

Ceci étant les techniques de NGS (Next Generation Sequencing) ont montré que l’IOP était une pathologie complexe, oligo- ou polygénique fréquente et que dans ce contexte les analyses et les interprétations des techniques de NGS étaient très difficiles.

Plus de 50 gènes sont décrits comme responsable d’IOP mais chacun dans une minorité de cas.

Il y a plus de 300 gènes candidats qui peuvent être impliqués à différents niveaux : ovogénèse, processus méiotique et réparation de l’ADN, folliculogenèse, fonction hormonale, métabolisme …

L’interprétation devient encore plus difficile en raison de la présence de variants qui sont potentiellement impliqués dans le phénotype d’insuffisance ovarienne précoce.

Ces quantités importantes de données nécessitent l’utilisation de systèmes bio-informatiques pour en faire une interprétation et essayer de relier certains de ces nombreux gènes candidats aux IOP.

Ces difficultés d’interprétation entrainent des hypothèses parfois controversées sur la relation entre certains gènes et les IOP. Ainsi le gène NR5A1 qui est un récepteur nucléaire impliqué dans l’expression des cellules thécales et de la granulosa, nécessaire au fonctionnement ovarien, présente pour certains auteurs (Voican et al ; 2013) des variants rares avec un impact faible ou nul pour la fertilité alors que pour d’autres auteurs (Philibert et al, 2012), il existe des variants plus fréquents de ce gène qui ont un impact fonctionnel.

Les très nombreux gènes de la méiose peuvent être impliquées dans les IOP. Le Dr JAILLARD nous présente le cas du gène STAG3 (sous unité des cohésines, spécifique de la méiose) dont un variant homozygote a été retrouvé par NGS (séquençage ciblé) chez des patientes IOP dans des familles consanguines.

Le Dr JAILLARD nous présente ensuite un cas d’IOP non syndromique découverte chez 2 sœurs puis retrouvées chez 432 IOP sporadiques, liés à 3 variants CSB-PGBD3 ; exprimé dans le noyau des ovocytes et ayant un rôle dans la réparation des dommages de l’ADN.

Certains gènes sont directement décrits comme en cause d’infertilité, ainsi le gène GDF9 est impliqué dans les IOP non syndromiques. La mutation homozygote chez le modèle murin entraine un blocage au stade de follicule primaire. Chez la femme, le phénotype est variable en fonction du type de variant :

  • Aménorrhée secondaire en cas de variant faux sens hétérozygote
  • Aménorrhée primaire en cas de perte de fonction GDF9.

Différents gènes sont également impliqués dans des IOP syndromiques : ATM Ataxie-télangiectasie ; BLM syndrome de Bloom + IOP ; NBM Syndrome de Nijmegen + IOP ; RECQL4 Syndrome de Rothmund-Thomson + IOP ; WRN-RECQL2 Syndrome de Werner + IOP….

 

L’interprétation est ici aussi très difficile en raison du nombre parfois important de variants possible pour un même gène, entrainant des phénotypes différents. Ainsi pour le gène EIF2B2, il existe un grand nombre de variants entrainant des pathologies différentes. L’insuffisance ovarienne pouvant être le premier signe d’autres pathologies qui peuvent aller en ce qui concerne ce gène, jusqu’à une dégénérescence neurologique. Il est donc important de diagnostiquer une IOP syndromique afin de proposer à la patiente une consultation de conseil génétique avec une prise en charge en amont d’autres problèmes cliniques.

 

Le Dr JAILLARD conclue en insistant sur le fait :

  • que l’IOP est d’une grande complexité génétique oligoou polygénique
  • qu’il existe des phénotypes variables pour un même gène, ce qui rend difficile le conseil génétique. 
  • qu’il est important de détecter une IOP syndromique afin de rechercher d’autres pathologies, et de faire un conseil génétique.
  • que le WES (Whole Exome Sequencing) est un outil permettant de trouver de nouveaux variants, outils qui sera certainement bientôt supplanter par le WGS (Whole Génome Sequencing)

 

Le Dr Pierre RAY (CHU de Grenoble) nous a ensuite présenté les nouveautés de la génétique de l’infertilité sur le versant masculin.

Après un rappel sur le fait qu’un facteur masculin est impliqué dans plus de 50% des cas d’infertilité, et un rappel sur la spermatogenèse normale, le Dr RAY nous précise que non seulement 82% de toutes les protéines humaines ont une expression testiculaire, mais aussi que 2237 gènes (soit 11% des gènes) ont une expression 5 fois plus élevée dans le testicule que dans les autres tissus. De ces données découlent que l’infertilité masculine est génétiquement très hétérogène.

L’exploration des causes génétiques doit se baser sur les paramètres du spermogramme  afin de séparer les anomalies d’origines quantitatives et celles d’origines qualitatives ; puis dans les origines quantitatives, séparer les origines obstructives (excrétoires) des origines non obstructives (sécrétoires).

Pour les origines excrétoires, la recherche de mutation du gène CFTR doit être réalisée, voir plus récemment celles du gène ADGRG2.

Pour les origines sécrétoires, le caryotype (notamment pour la recherche d’anomalies équilibrées ou d’anomalies de nombre des chromosomes comme le syndrome de Klinefelter) et la recherche de microdélétion du chromosome Y restent au premier plan, mais plusieurs autres gènes sont impliqués, et notamment le gène SPINK2 qui entraine une dégradation de l’appareil de Golgi et une azoospermie.
 

Pour les anomalies qualitatives, le spermocytogramme doit permettre de détecter principalement trois anomalies monomorphes :

  • la macrozoospermie nécessitant la recherche de la mutation du gène AURKC, excellent gène candidat entrainant une polyploïdie des spermatozoïdes.
  • la globozoospermie nécessitant la recherche de la mutation du gène DPY19L2, ou plus confidentiellement SPATA16.
  • des anomalies des flagelles pour lesquels plusieurs gènes peuvent être impliqués

 

Le gène DPY19L2 a été analysé chez 10 patients maghrébins atteints de globozoospermie, nés de parents apparentés (Harbuz et al, 2011). Il était délété chez 8 de ces 10 patients.

 

L’étude de 20 patients avec une asthénozoospermie totale (0% de mobilité) a montré que 7 patients sur 20 présentant un phénotype MMAF (Anomalies Morphologiques Multiples des Flagelles) ont été trouvés avec la mutation DNAH1 par séquençage exomique. (Ben Khelifa et al ; 2014).

L’équipe du docteur RAY à Grenoble a analysé 167 patients avec un phénotype MMAF et a trouvé l’implication de plusieurs gènes mutés, notamment DNAH1 chez 7% des patients et CFAP43 chez 7% d’autres patients.

Cette étude a montré que d’autres mécanismes que des mutations peuvent être impliqués au niveau de certains gènes. Ainsi, pour ces patients MMAF, une délétion du gène WDR66 a été trouvé impliquant un mécanisme de délétion par insertion d’un rétro-transposon.

 

Concernant les pathologies des flagelles, plus de 15 gènes ont été identifiés, et l’utilisation du WES (Whole Exome Sequencing) a montré une efficacité pour la recherche d’anomalies dans plus de 50% des cas.

 

Le Dr RAY conclue également, comme le Dr JAILLARD :

  • que l’infertilité est extrêmement hétérogène sur le plan génétique
  • que le caryotype classique, la recherche de la microdélétion du chromosome Y et de la mutation du gène CFTR gardent leurs places en première intention
  • que le séquençage génomique est efficace pour identifier de nouveaux gènes, grâce à des cas familiaux, ou par des études de cohortes
  • que l’interprétation de ces quantités importantes de données est difficile
  • que la présence de variants peut rendre ces interprétations encore plus difficiles

Références :

 

Deletion of CPEB1 Gene: A Rare but Recurrent Cause of Premature Ovarian Insufficiency.

Hyon C, Mansour-Hendili L, Chantot-Bastaraud S, Donadille B, Kerlan V, Dodé C, Jonard S, Delemer B, Gompel A, Reznik Y, Touraine P, Siffroi JP, Christin-Maitre S.

J Clin Endocrinol Metab. 2016 May;101(5):2099-104. doi: 10.1210/jc.2016-1291. Epub 2016 Mar 22

 

NR5A1 (SF-1) mutations are not a major cause of primary ovarian insufficiency.

Voican A, Bachelot A, Bouligand J, Francou B, Dulon J, Lombès M, Touraine P, Guiochon-Mantel A.

J Clin Endocrinol Metab. 2013 May;98(5):E1017-21. doi: 10.1210/jc.2012-4111. Epub 2013 Mar 29

 

NR5A1 (SF-1) gene variants in a group of 26 young women with XX primary ovarian insufficiency.

Philibert P, Paris F, Lakhal B, Audran F, Gaspari L, Saâd A, Christin-Maître S, Bouchard P, Sultan C.

Fertil Steril. 2013 Feb;99(2):484-9. doi: 10.1016/j.fertnstert.2012.10.026. Epub 2012 Nov 13.

 

22q11.2 rearrangements found in women with low ovarian reserve and premature ovarian insufficiency.

Jaillard S, Tucker EJ, Akloul L, Beaumont M, Domin M, Pasquier L, Jouve G, Odent S, Belaud-Rotureau MA, Ravel C.

J Hum Genet. 2018 May;63(5):691-698. doi: 10.1038/s10038-018-0433-z. Epub 2018 Mar 14

 

Array-CGH diagnosis in ovarian failure: identification of new molecular actors for ovarian physiology.

Jaillard S, Akloul L, Beaumont M, Hamdi-Roze H, Dubourg C, Odent S, Duros S, Dejucq-Rainsford N, Belaud-Rotureau MA, Ravel C.

J Ovarian Res. 2016 Oct 3;9(1):63

 

Identification of a new recurrent aurora kinase C mutation in both European and African men with macrozoospermia.

Ben Khelifa M, Coutton C, Blum MG, Abada F, Harbuz R, Zouari R, Guichet A, May-Panloup P, Mitchell V, Rollet J, Triki C, Merdassi G, Vialard F, Koscinski I, Viville S, Keskes L, Soulie JP, Rives N, Dorphin B, Lestrade F, Hesters L, Poirot C, Benzacken B, Jouk PS, Satre V, Hennebicq S, Arnoult C, Lunardi J, Ray PF.

Hum Reprod. 2012 Nov;27(11):3337-46. doi: 10.1093/humrep/des296. Epub 2012 Aug 11

 

A recurrent deletion of DPY19L2 causes infertility in man by blocking sperm head elongation and acrosome formation.

Harbuz R, Zouari R, Pierre V, Ben Khelifa M, Kharouf M, Coutton C, Merdassi G, Abada F, Escoffier J, Nikas Y, Vialard F, Koscinski I, Triki C, Sermondade N, Schweitzer T, Zhioua A, Zhioua F, Latrous H, Halouani L, Ouafi M, Makni M, Jouk PS, Sèle B, Hennebicq S, Satre V, Viville S, Arnoult C, Lunardi J, Ray PF.

Am J Hum Genet. 2011 Mar 11;88(3):351-61. doi: 10.1016/j.ajhg.2011.02.007

 

Mutations in DNAH1, which encodes an inner arm heavy chain dynein, lead to male infertility from multiple morphological abnormalities of the sperm flagella.

Ben Khelifa M, Coutton C, Zouari R, Karaouzène T, Rendu J, Bidart M, Yassine S, Pierre V, Delaroche J, Hennebicq S, Grunwald D, Escalier D, Pernet-Gallay K, Jouk PS, Thierry-Mieg N, Touré A, Arnoult C, Ray PF.

Am J Hum Genet. 2014 Jan 2;94(1):95-104. doi: 10.1016/j.ajhg.2013.11.017. Epub 2013 Dec 19

 

 
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