Spermatozoïdes humains in vitro : 23 ans de recherche

Au cours des vingt dernières années, nous avons développé et validé deux systèmes de culture des cellules germinales mâles avec des cellules de Sertoli, en chambres de culture de « type bicamérale », qui en maintenant la barrière hémato-testiculaire permettent l'étude des mitoses goniales, l'ensemble de la phase méiotique et le début de la spermiogenèse sur une période de 4 semaines chez le rat.

Chambre de culture de type « bicamérale »

Ces systèmes de co-culture (Weiss et al, 1997; Hue et al, 1998; Marret et Durand 2000) ont été validés du point de vue physiologique. Nous avons été les premiers (Staub et al 2000) à montrer que l'ensemble du processus méiotique pouvait se réaliser ex-vivo chez un mammifère (le rat). Cela a été prouvé par des méthodes cytologiques et cytométriques et par l'expression de gènes spécifiques des cellules germinales. Nous avons montré ensuite (Perrard et al 2003) que le développement de l'étape méiotique, in vitro, à partir de testicules de rats prépubères, est proche de ce qui se produit in vivo en ce qui concerne: les changements dans les populations de cellules de différentes ploïdie, l'expression génique des cellules germinales, la cinétique de la différenciation de spermatocytes pachytènes marqués par le BrdU et les niveaux d'apoptose dans les différentes populations de cellules, même si la vitesse de différenciation ex-vivo des spermatocytes diminue en atteignant le stade spermatocyte pachytène moyen. Plus récemment, nous avons montré, (Geoffroy-Siraudin et al 2008 ; 2010), qu’il n'y a pas de différence significative entre les pourcentages de spermatocytes leptotène, zygotène, pachytène, et diplotène de rats de 42 jours et au jour 16 de culture de testicules de rats âgés de 23 jours, ce qui indique une évolution similaire, in vivo et ex-vivo .

Nous avons montré (Vigier et al 2004) que la FSH et la testostérone ont des actions positives et redondantes sur les divisions méiotiques et l’expression post-méiotique du gène TP1 spécifique des cellules germinales haploïdes ; ces effets ne peuvent pas être liés uniquement à leur capacité de réduire l'apoptose des cellules germinales.
Nous avons montré que l'expression du NGF et de ses deux récepteurs est similaire in vivo et dans nos conditions de culture et que le TGFb et le NGF sont capables de réguler négativement la deuxième division méiotique des spermatocytes, en bloquant les spermatocytes secondaires en métaphase (métaphaseII) (Perrard et al 2007; Damestoy et al 2005). Chez les vertébrés, les ovocytes matures sont naturellement bloqués en métaphase de deuxième division (métaphaseII) jusqu’à la fécondation, à cause de la présence, dans leur cytoplasme, du facteur cytostatique (CSF). Nous avons montré, que Mos, Emi2, cycline E et CDK2, les quatre protéines constituant le CSF, sont présentes dans les cellules meiotiques du rat mâle. Dans des co-cultures de spermatocytes pachytènes avec des cellules de Sertoli, le NGF augmente le nombre de métaphasesII tout en augmentant les quantités de Mos et Emi2 dans les spermatocytes pachytènes moyens-tardifs, les spermatocytes I en division (diplotènes), et les spermatocytes secondaires ; ces résultats indiquent que le CSF n’est pas restreint à l’ovocyte (Perrard et al, 2009). Récemment nous avons démontré que le NGF et TGFβ1 ont un effet totalement redondant sur cette étape (Perrard et Durand 2009). En effet, ce sont les spermatocytes pachytènes et les spermatides rondes précoces qui synthétisent le TGF-β1 en plus grande abondance, c'est-à-dire précisément, les mêmes types de cellules germinales qui synthétisent le NGF. Par conséquent, il est raisonnable de penser que l’absence d’effet observé, dans cette étude, est due à l'effet redondant du NGF sur cette étape.

Nous avons montré que la progression méiotique des spermatocytes de rat nécessite les MAP Kinases des cellules de Sertoli et des contacts étroits entre les cellules germinales et les cellules de Sertoli (Godet et al 2008). Or, la connexine 43 (protéine de jonction communicante est détectée entre les cellules de Sertoli et les spermatocytes dans nos cultures. Enfin, nous avons montré que les deux divisions méiotiques sont bloquées par les inhibiteurs pharmacologiques du MPF (Godet et al 2004), comme on pouvait s'y attendre (Ortega et al 2003).

Sur l'étape mitotique de la spermatogenèse, nous avons obtenu des résultats, compatibles avec un effet inhibiteur du GDNF sur l'entrée en phase S d’une grande population de spermatogonies différenciées de type A, et un effet positif sur l’entrée en phase S d’une petite population de spermatogonies indifférenciées (cellules souches de la spermatogenèse) (Fouchécourt et al 2006).

Nous avons montré que la Cx43, protéine des jonctions « gap » entre les cellules de Sertoli, participe au contrôle de la prolifération des cellules de Sertoli et que les jonctions « gap » entre les cellules de Sertoli et les spermatogonies sont indirectement impliquées dans le contrôle de la survie des spermatogonies plutôt que dans la prolifération de ces cellules germinales (Gilleron et al 2009).

Cependant, dans ces 2 systèmes de culture, la différenciation germinale s’arrête aux premiers stades de la spermiogenèse. En effet, le confinement des tubes séminifères n’était pas suffisamment efficace et stable pour qu’ils fonctionnent in vitro pendant toute la durée de spermatogénèse. Grâce à une collaboration avec Laurent David, professeur de l’université Claude Bernard Lyon 1, membre du laboratoire Ingénierie des matériaux polymères (CNRS/Lyon1/Insa/UJM), nous avons pu assurer un confinement propice des tubes séminifères pour une spermatogénèse intégrale très proche des conditions in vivo. Nous utilisons pour cela un bioréacteur constitué de chitosane : une substance naturelle présente dans la paroi de champignons ou pouvant être produite à partir de chitine, composant la carapace de crustacés. Grâce à ce dispositif, nous avons réussi, pour la première fois, à produire in vitro des spermatozoïdes de rats, de cynomolgus et humains morphologiquement normaux. Une demande de brevet décrivant l’ensemble du dispositif, « Artistem », a été publiée le 25 juin 2015.

Cette avancée ouvre des pistes thérapeutiques. En effet, aucun traitement n'existe aujourd'hui pour préserver la fertilité des jeunes garçons pré-pubères soumis à un traitement gonadotoxique, comme certaines chimiothérapies : or plus de 15 000 jeunes patients atteints de cancer sont concernés dans le monde. Il n'existe pas non plus de solution pour les 120 000 hommes adultes qui souffrent d'infertilité non prise en charge par les technologies actuelles. Avec ce procédé « Artistem », nous espérons répondre aux besoins de ces deux types de patients. À partir d’une biopsie testiculaire, il s’agira d’obtenir in vitro des spermatozoïdes par maturation des spermatogonies, disponibles même chez les garçons pré-pubères. Les spermatozoïdes obtenus seront utilisés en fécondation in vitro avec micro-injection dans l’ovocyte, et pour les plus jeunes patients, les spermatozoïdes pourraient être cryo-conservés jusqu’au désir de paternité. Avant de confirmer la possibilité de telles applications, la qualité des spermatozoïdes produits devra être analysée. Tout d’abord, à partir des modèles de rongeurs, les ratons nés à partir de spermatozoïdes formés in vitro seront étudiés d'un point de vue physiologique et comportemental pour vérifier notamment la normalité des organes et la capacité à se reproduire. Puis, des gamètes humains seront étudiés d'un point de vue biochimique et épigénétique. Conformément à la réglementation, des évaluations cliniques seront ensuite effectuées.

1- Damestoy A, Perrard MH, Vigier M, Sabido O, Durand Ph. Transforming growth factor beta 1 decreases the yield of the second meiotic division of rat pachytene spermatocytes in vitro. Reprod Biol Endocrinol, 2005, 3, 22.

2- Fouchécourt S, Godet M, Sabido O, Durand Ph. Glial cell-line-derived neurotrophic factor and its receptors are expressed by germinal and somatic cells of the rat testis J. Endocrinol., 2006, 190, 59-71.

3- Geoffroy-Siraudin C, R Ghalamoun-Slaimi, A Botta, JM Grilload, Ph Durand, MR Guichaoua. Mise au point d’un modèle d’étude de la méiose in vitro chez le rat. Application en toxicologie: Impact du chrome sur la spermatogenèse. Colloque SALF 2008.

4- Geoffroy-Siraudin C, Perrard M.H.,. Chaspoul F, Lanteaume A, Gallice1 P Durand P. Guichaoua M.R. Validation of a rat seminiferous tubule culture system for studying toxicant impact on meiosis: effect of the hexavalent chromium exposure.Toxicol.Sci. 116(1) 286-296.

5- Gilleron,J Carette D, Durand P, Pointis G Segretain D. Connexin 43 a potential regulator of cell proliferation and apoptosis within the seminiferous epithelium. Int J Biochem Cell Biol 2009, 41(6):1381-90.

6- Godet M, Damestoy A, Mouradian S, Rudkin BB, Durand Ph. Key role for cyclin- dependent kinases in the first and second meiotic divisions of rat spermatocytes. Biol. Reprod., 2004, 70, 1147-1152.

7- Godet M, Gilleron J, Sabido O, Durand P. Meiotic progression of rat spermatocytes requires Mitogen-Activated Protein Kinases of Sertoli cells and close contacts between the germ cells and the Sertoli cells.Dev. Biol, 2008, 315,173-178.

8- Hue D., Staub C., Perrard-Sapori M-H., Weiss M., Nicolle J-C., Vigier M., Durand Ph. Meiotic differentiation of germinal cells in three week cultures of whole cell population from rat seminiferous tubules.Biol Reprod, 1998, 59, 379-387.

9- Marret C, Durand Ph. Culture of porcine spermatogonia : effects of purification of the germ cells, extracellular matrix and fetal calf serum on their survival and multiplication. Reprod Nutr Develop, 2000, 40, 305-319.

10- Perrard MH, Hue D, Staub C, LeVern Y, Kerboeuf D, Ségretain D, Durand Ph. Development of the meiotic step in testes of pubertal rats : comparison between the in vivo situation and under in vitro conditions. Mol. Reprod. Dev., 2003, 65, 86-95

11- Perrard MH, Vigier M, Damestoy A, Chapat C, Silandre D, Rudkin BB, Durand P. Beta-nerve growth factor participates in an auto/paracrine pathway of regulation of the meiotic differentiation of rat spermatocytes. J Cell Physiol, 2007, 210, 51-62.

12- Perrard MH, Durand P. Redundancy of the effect of TGFbeta1 and beta-NGF on the second meiotic division of rat spermatocytes. Microsc Res Techniq, 2009, 72(8):596-602.

13- Perrard M.H , Chassaing E , Montillet G , Sabido O , Durand P Cytostatic Factor proteins are present in male meiotic cells and β-Nerve Growth Factor increases Mos levels in rat late spermatocytes. PLoS ONE 2009 Oct 5; 4(10) e7237

14- Perrard M-H, Grenet C, Prisant N, Geoffroy-Siraudin C, Segretain D, Guichaoua MR, Pointis G, Durand P. Analyse de la spermatogenèse ex vivo Application à l’analyse de la toxicité testiculaire. Médecine/Sciences, 2010, 26 : 305-10

15- Staub C, Hue D, Nicolle JC, Perrard-Sapori MH, Segretain D, Durand P. The whole meiotic process can occur in vitro in untransformed rat spermatogenic cells. Exp Cell Res, 2000, 260, 85-95.

16- Vigier M, Weiss M, Perrard-Sapori MH, Durand Ph. The effects of FSH and testosterone on the completion of meiosis and the very early steps of spermiogenesis of the rat : an in vitro study. J Mol Endocrinol, 2004, 33, 729-742.

17-.Weiss M., Vigier M., Hue D., Perrard-Sapori M.H., Marret C., Avallet O. & Durand Ph. Pre- and post-meiotic expression of male germ cell specific genes throughout 2-week cocultures of germinal and Sertoli cells. Biol. Reprod., 1997, 57, 68-76.

 
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