Fragmentation de l’ADN spermatique et fausses couches

 

Actuellement l’exploration biologique de l’Homme infertile ne se résume plus au spermogramme. En effet, l’analyse de la qualité de l’ADN du spermatozoïde est un examen de plus en plus réalisé en routine par les équipes prenant en charge les couples infertiles. Les altérations de la qualité de l’ADN des spermatozoïdes pouvant être due à différents facteurs (Sakkas et Alvarez, 2010) : apoptose au cours de la gamétogenèse, cassure de l’ADN pendant le remodelage de celui ci au cours de la spermiogenèse, fragmentation de l’ADN lié à la présence de radicaux libres de l’oxygène, à l’action d’endonucléases endogènes, à l’action de facteurs environnementaux (pollution, tabac…), altération de l’ADN spermatique suite à des radiothérapie ou chimiothérapie.

Plusieurs études ont montré que l’altération de l’ADN spermatique a des effets délétères sur les taux de fécondation et sur le développement embryonnaire précoce (Simon et al, 2010, 2011).

L’équipe du centre de reproduction humaine de Birmingham (Birmingham Women’s Hospital) a réalisé une méta-analyse afin de savoir s’il existait une relation entre fragmentation de l’ADN spermatique et augmentation des pertes de grossesses (fausses couches).

Une recherche des articles dans MEDLINE, EMBASE et la COCHRANE LIBRARY a permis d’identifier à partir de mots clés (avortement spontané, fausse couche, perte de grossesses, infertilité, IIU, FIV, ICSI, dommages de l’ADN, fragmentation de l’ADN) 829 publications. Au final, après exclusions des publications ne remplissant pas les critères de qualité retenus par l’équipe  de Birmingham, seules 16 publications (14 prospectives et 2 rétrospectives) ont été retenues pour cette méta-analyse, ce qui représente 2969 couples, 1252 grossesses et 225 pertes de grossesses (Evenson et al (1999), Morris et al (2002), Gandini et al (2004), Virro et al (2004), Borini et al (2006), Check et al (2005), Greco et al (2005), Zini et al (2005), Boe-Hansen et al (2006), Benchaib et al (2007), Bungum et al (2007), Ozmen et al (2007), Frydman et al (2008), Lin et al (2008), Esbert et al (2011), Simon et al (Unpublished results))

Parmi ces 16 études, l’analyse de la fragmentation de l’ADN était faite par la technique TUNEL dans 6 cas, par la technique à l’acridine orange (SCSA) dans 8 cas et par la technique COMET dans 2 cas.  Dans tous les cas, l’analyse finale était le taux de fausses couches ; pour une étude suite uniquement à des grossesses spontanées, pour 1 étude suite uniquement à des  FIV, pour 4 études suite uniquement à des ICSI, pour 9 études suite à des FIV et des ICSI et pour une étude suite à des IIU, des FIV et des ICSI.

Cette méta-analyse montre une augmentation significative des fausses souches chez les couples dont l’homme présente une augmentation de la fragmentation de l’ADN spermatique, et ceci quelque soit la technique utilisée et malgré des seuils de normalité différents.

Ceci confirme la méta-analyse de ZINI et al (2008) avec  9  études supplémentaires analysées ici par l’équipe de Birmingham.

La méta-analyse ne trouve pas de différence entre la technique d’AMP utilisée (FIV ou ICSI). Et même si le taux de fécondation est plus élevé en ICSI dans les cas des spermes présentant une fragmentation augmentée, l’évolution vers les fausses couches se fait dans les mêmes proportions.

Il est intéressant de noter qu’une des études analysées (Greco et al, 2005) a montré un taux de fragmentation d’ADN plus important au niveau du sperme éjaculé par rapport au sperme testiculaire confirmant l’hypothèse que des altérations de l’ADN ont lieu au niveau post-testiculaire.

l y a donc possibilité avec un sperme présentant des altérations de l’ADN d’avoir une fécondation et un développement embryonnaire précoce normal suivis d’une grossesse évoluant vers une fausse couche mais pouvant également aller jusqu’à terme dans le cas où un ovocyte de bonne qualité réussit à réparer les dommages de l’ADN spermatique (Meseguer et al, 2008).

Bien que la majorité des fausses couches soient liées à des anomalies chromosomiques (Rull et al, 2012) et dans la plupart des cas d’origine maternelle (Hassold et al, 2007), cette méta-analyse montre que l’analyse de la qualité de l’ADN spermatique par la mesure du taux de fragmentation, doit faire partie de l’arsenal diagnostic non seulement dans l’exploration du couple infertile, mais également en cas de fausses couches répétées quand aucune autre cause n’est trouvée. Ceci d’autant plus que dans certains cas d’augmentation de la fragmentation de l’ADN du sperme, des traitements antioxydants peuvent avoir une certaine efficacité (Ross et al, 2010) même si ces traitements doivent être utilisés avec prudence (Menezo et al, 2007).

es limites de cette méta-analyse sont liées au fait que les techniques utilisées et les taux de « normalité » de la fragmentation spermatique ne sont pas les mêmes, y compris dans des études utilisant la même technique de dosage. Il faut également noter que le fait même de prendre en compte des études dans lesquelles des techniques d’AMP sont utilisées, permettant ainsi « une sélection » des spermatozoïdes utilisés, peut limiter l’impact de la fragmentation de l’ADN sur l’évolution et l’issue de la grossesse.

Il serait intéressant de réaliser la même méta-analyse pour l’examen de la dispersion de l’ADN spermatique ; exploration de la qualité de sa structure tertiaire. Ceci d’autant plus qu’il a été montré que certains traitements anti-oxydants permettant de diminuer le taux de fragmentation pouvaient avoir un effet délétère sur la structure tertiaire de l’ADN spermatique (Menezo et al, 2007).

 

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