La cryoconservation doit permettre le ralentissement, voire l’arrêt réversible de tous les phénomènes biologiques. A des températures inférieures à -150°C, les mouvements moléculaires sont très réduits, les réactions enzymatiques inhibées : « le temps cellulaire est suspendu ». Il devient ainsi possible de conserver pour un usage ultérieur cellules et tissus en état de « vie latente ». Le problème sera d’atteindre et de revenir de ces basses températures sans dommages, alors que ce procédé implique un changement d’état du constituant majeur des cellules : l’eau. Les deux principaux écueils à éviter sont la formation de glace extra ou intracellulaire et la déshydratation qui seront responsables de lésions mécaniques ou d’un « effet de solution » avec dénaturation des protéines et des phospholipides membranaires pouvant entraîner dans l’un et l’autre cas la mort cellulaire. Ces effets délétères sont limités par le contrôle des vitesses de refroidissement et de réchauffement et par l’adjonction de cryoprotecteurs.
Deux grandes méthodes de congélation sont utilisées en cryobiologie de la reproduction : la congélation dite « lente » comprend une équilibration progressive entre des concentrations relativement faibles de cryoprotecteurs et le compartiment aqueux de la cellule et un refroidissement très progressif (0.3°C/min) jusqu’à une température d’au moins – 30°C ; la vitrification réalise un passage direct de l’état liquide de l’eau à un état amorphe, sans réarrangement moléculaire ordonné et donc sans cristallisation, grâce à une exposition à des concentrations élevées de cryoprotecteurs et à la rapidité du refroidissement. Les premières naissances à partir d’ovocytes ou d’embryons de souris dans les années 1970, puis chez l’humain dans les années 1980 ont été obtenues grâce à la congélation lente (Whittingham et al 1972, 1977 ; Zeilmaker et al 1984, Chen et al 1986). Pourtant, la vitrification est également une technique ancienne puisque dès 1985, Rall et Fahy la décrivait chez la souris. Longtemps mal maîtrisée, incompatible avec une conservation exempte de risque sanitaire et pas plus efficace que la congélation lente, la vitrification est relancée par le développement de nouveaux supports permettant un contact le plus direct possible entre l’azote liquide et les cellules à congeler. Les vitesses de refroidissement vont de 2000 à 20 000 °C/min et les taux de succès s’améliorent. Avec le 21ème siècle, la vitrification devient à la mode.
Est-elle plus efficace que la congélation lente ? Incontestablement pour l’ovocyte puisque les performances obtenues à partir d’ovocytes humains vitrifiés semblent identiques à celles des
ovocytes « frais » (Rienzi et al 2010, Cobo et al 2010). La congélation de l’ovocyte, abandonnée en
AMP pendant une décennie puis réintroduite en Italie avec des succès limités, a enfin trouvé, semble-t-il, avec la vitrification, les moyens de son développement.
La congélation lente du blastocyste humain s’accompagnait de résultats très variables et insatisfaisants, depuis l’abandon des cultures prolongées sur tapis cellulaires au profit des milieux séquentiels. La vitrification est décrite par certains groupes comme très intéressante pour ce stade embryonnaire (van Landhuyt et al 2011) et semble se développer avec succès dans les centres d’AMP. Il est également possible de vitrifier des zygotes avec des taux élevés de succès (Al Hasani et al, 2007).
Reste l’embryon clivé précoce de J2 et J3 : c’est là que réside le véritable enjeu car c’est à ce stade de développement que sont majoritairement congelés, en France, les embryons surnuméraires de FIV/ICSI et grâce à un protocole de congélation lente. Plus de 2000 enfants naissent annuellement en France à partir de ces embryons cryoconservés, sans aucune inflation d’anomalies,
avec un recul de 25 ans et des centaines de milliers d’enfants nés dans le monde. Pour les couples qui ont bénéficié d’une FIV/ICSI avec transfert d’embryons frais et congélation d’embryons surnuméraires, 12% de naissances additionnelles seront acquises à partir des embryons congelés, sans nouvelle ponction. Changer de protocole, pour les centres déjà équipés en congélateurs programmables, ne se justifie ni par une simplification technique, chaque méthode ayant ses contraintes, ni par une économie réalisée, le coût de la vitrification étant actuellement supérieur à celui de la congélation lente. C’est donc un gain d’efficacité qui peut faire pencher la balance. Peu d’études comparatives, dans la littérature, permettent de trancher, mais certaines (Balaban, 2008) font état de taux élevés (78% - 90%) de préservation totale des embryons vitrifiés après décongélation. Dans la mesure où la perte blastomérique permet d’expliquer en grande partie les moindres résultats obtenus après transferts d’embryons congelés, comparé aux transferts d’embryons frais (Edgar et al, 2000), toute limitation de ce phénomène amènerait à augmenter les performances de la congélation embryonnaire.
Nous sommes à la croisée des chemins : la vitrification restera-t-elle une méthode alternative de congélation, préférée pour l’ovocyte et le blastocyste et utilisée, en ce qui concerne l’embryon clivé précoce, pour optimiser l’organisation du travail au laboratoire d’AMP (peu d’embryons à congeler, congélation imprévue alors que le cycle du congélateur programmable a été lancé …) ou remplacera-t-elle définitivement la congélation lente ? C’est l’évaluation comparative des résultats obtenus à partir des embryons précoces vitrifiés ou congelés qui orientera vraisemblablement ce choix.
Références
Al-Hasani S, Ozmen B, Koutlaki N, Schoepper B, Diedrich K, Schultze-Mosgau A. Three years of routine vitrification of human zygotes: is it still fait to advocate slow-rate freezing? Reprod Biomed Online. 2007, 14: 288.
Balaban B, Urman B, Ata B et al. A randomized controlled study of human day 3 embryo cryopreservation by slow freezing and vitrification: vitrification is associated with higher survival, metabolism and blastocyst formation. Hum. Reprod. 2008, 23: 1976
Chen C. Pregnancy after human embryo cryopreservation. Lancet. 1986, I: 884.
Cobo A, Meseguer M, Remohi J, Pellicer A. Use of cryo-banked oocytes in an ovum donation programme: a prospective, randomized, controlled, clinical trial. Hum. Reprod. 2010, 25:2239
Edgar DH, Bourne H, Speirs AL, McBain JC. A quantitative analysis of the impact of cryopreservation on the implantation potential of human early stage embryos. Hum. Reprod.
2000, 15: 175.
Rall WF, Fahy GM. Ice-free cryopreservation of mouse embryos at – 196 degrees C by vitrification. Nature. 1985, 313: 573.
Rienzi L, Romano S, Albricci L, Maggiulli R et al. Embryo development of fresh « versus » vitrified metaphase II oocytes after ICSI: a prospective randomized sibling-oocyte study. Hum Reprod. 2010, 25: 66.
Van Landhuyt L, Stoop D, Verheyen G et al. Outcome of closed blastocyst vitrification in relation to blastocyst quality: evaluation of 759 warming cycles in a single-embryo transfer policy. Hum. Reprod. 2011, 26: 527.
Whittingham DG, Leibo SP, Mazur P. Survival of mouse embryos frozen to – 196 degrees and –
269 degrees C. Science. 1972, 178: 411.
Zeilmaker GH, Alberda AT, van Gent I, Rijkmans CM, Drogendijk AC. Two pregnancies following transfer of intact frozen-thawed embryos. Fertil Steri. 1984, 42: 293