D'une loi, l'autre, ou le règne de l'incertitude

Nul ne sait ce qui sortira de la présente réflexion législative sur les lois « dites de bioéthique » ; ce terme est d’autant plus ambigu que la dénomination couramment utilisée, celle de « loi de bioéthique », est à la fois tendancieuse et erronée : car, comme il le fut déjà maintes fois souligné, l’éthique et le droit sont deux domaines totalement irréductibles l’un à l’autre ; c’est ce que souligne, séance après séance, la réflexion du CCNE.

Mais en attendant les comptes-rendus des débats parlementaires, je voudrais évoquer ceux qui viennent d’avoir lieu dans le cadre des journées annuelles du CCNE, fin janvier ; je ne les envisagerai pas tous, mais en citerai seulement quelques-uns d’une actualité brulante en cette période de grande « incertitude éthique ».

Une intervention particulièrement forte fut celle de Tim Lewens, parlant au nom du « Nuffield Council », issu du très connu « Warnock Committee » britannique ; parmi les opinions exprimées lors de cet exposé, on retiendra celle ayant trait au « bien-être » de l’enfant, discuté dans ce cadre depuis plus de vingt ans, le refus de limiter la réflexion à celui des enfants issus de couples mariés, l’éventualité, enfin, qui choquera certains, de « créer des embryons pour la recherche » ; ceci dans un objectif précis de projets médicaux visant à la prévention d’anomalies congénitales.

Mais le point probablement le plus important est le suivant qui comporte deux aspects de prime abord contradictoires :

  • d’une part, il n’y a pas lieu d’accorder un statut particulier à l’être humain avant la naissance ; on retrouve ici une convergence avec la position juridictionnelle française, et l’on se souvient des quatre arrêts « fondateurs » de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, déniant toute implication de responsabilité pénale en cas de décès accidentel d’un fœtus avant la naissance (accident médical, arrêts sur pourvoi des Cours d’appel de Lyon-1999- et Versailles -2002-, ou accidents de la circulation, les deux arrêts de Metz -2001 et 2006-). Dans ces quatre circonstances, la position jurisprudentielle a été claire : la mort fœtale, précisons bien, la mort prénatale, est un « non-événement » et aucune poursuite ne peut être engagée de ce fait ; un arrêt récent du tribunal du Luxembourg va dans le même sens. On comprend certes l’analyse juridictionnelle d’une telle situation ; mais qu’en est-il de l’aspect relationnel et tout simplement humain d’un tel drame ? Et n’observe-t-on pas ici une nouvelle manifestation de cette « discordance », pour ne pas dire « incompatibilité » entre le droit et l’éthique, évoquée plus haut ?
  • L’autre aspect de cette intervention, riche d’enseignements, concerne le lien entre la nature de cet embryon et l’existence de ce « projet parental » qui représente, en France, de plus en plus, l’alpha et l’oméga de la vie prénatale ; quatre phrases de Tim Lewens ne peuvent manquer de frapper l’auditeur, comme le lecteur : « il est impossible de faire entrer tous les sentiments dans le projet parental ; le projet parental déborde le cadre de l’AMP ; il faut « se libérer du concept de projet parental » et enfin : l’embryon est le même qu’il y ait ou non projet parental » ; phrases qui rejoignent l’opinion exprimée plus haut sur la « spécificité » de cet être prénatal.

On s’interrogera dès lors sur la nature des actes, salvateurs ou délétères, conduisant tantôt à la sauvegarde, tantôt à la destruction des tels êtres « non encore nés » ; comment ne pas se poser la question, choquante, iconoclaste, insupportable pour certains, de l’existence éventuelle d’une « troisième catégorie du droit », différente de celle des êtres humains nés, éminemment respectables, juridiquement, médicalement et socialement, différente aussi des « choses », ou plutôt des « biens », qui sont « aliénables », voire destructibles, comme un animal, destiné à l’abattoir, un végétal, promis à l’abattage, ou une banale « paillotte corse », au destin incertain …. Déjà, dans quelques instances, même juridiques, un tel concept n’est plus toujours considéré comme iconoclaste… Le temps viendra, peut-être….

Un autre exposé mérite de retenir l’attention, celui d’Ali Benmakhlouf, enseignant universitaire de philosophie, qui au CCNE représente la position islamique : de son exposé très riche, je retiendrai trois phrases, extrêmement prudentes, doit-on même dire : sages ? : « Ne prétendons pas posséder la vérité pour les générations futures, ne parlons pas au nom de l’embryon, ne définissons pas le commencement de la vie ».

L’exposé de J.C. Ameisen, biologiste éminent, membre du CCNE, président du Comité d’éthique de l’INSERM, nous rappelle un point capital : 5% seulement des gènes sont exprimés. 95% du matériel génétique correspondent à des « micro ARN » qui modifient l’expression des gènes en fonction des gamètes ; on assiste ainsi à une réflexion approfondie qui concerne aussi bien le concept lamarckien de l’ « hérédité des caractères acquis » que l’évolution actuelle des connaissances ; celle-ci n’éloigne-t-elle pas quelque peu des dogmes anciens relatifs au « tout génétique » ?

Et finalement, bien au delà de la seule biologie, la réflexion terminale de J.C.Ameisen frappe par sa profonde réalité humaine : « entre secret et transparence, accepter une part d’oubli ».

En complément de cette réflexion , s’inscrit celle de Françoise Héritier relative aux modalités multiples, réelles ou fictives, de la filiation, réalité mouvante, non réductible à la famille ; l’accent est ainsi mis sur la prééminence de la filiation sociale sur la filiation strictement biologique ; elle évoque des situations si présentes à notre actuelle réflexion collective, telles que celles des couples homosexuels ; elle insiste sur le rôle prédominant des femmes, fondé sur la réalité génétique traduite par l’adage romain « mater semper certa est » ; loin de l’apparente « certitude » masculine, elle souligne la différence entre l’acte social de la procréation et son apparence biologique ;

Elle va enfin jusqu’à évoquer une situation médicale certainement présente à l’esprit de nombreux gynécologues, et remontant à une vingtaine d’années, celle du recours à la fécondation ovocytaire par des spermatides : audace biologique, certes immédiatement couronnée de succès, mais qui comporta bien des conséquences, et fut volontairement sans lendemain, tout au moins immédiat ; car qu’en sera-t-il lorsque les progrès de nos connaissances, et de nos capacités, nous conduiront à réaliser la réduction chromosomique et à obtenir ainsi, artificiellement, des gamètes espérés fécondants ?

Bien loin de ces spéculations futuristes, la prise de position forte de l’éminent juriste Christian Byk rejoint, dans l’immédiat, celle du pragmatisme anglais : un plaidoyer pour le réel, c'est-à-dire en faveur de la révélation de la réalité de la parenté, qui s’inscrit en équilibre avec celle de Françoise Héritier.

La conclusion de ce passionnant débat fut apportée, de manière peut-être quelque peu pessimiste, voire provocatrice, par le philosophe André Comte-Sponville : il souligne la singularité de la bioéthique, qui semble ne comporter aucune solution parfaitement satisfaisante ni généralisable, en particulier en ce qui concerne ses conséquences quant à l’équilibre de notre collectivité, entre autres ses aspects judiciaires.

Mais surtout surgit l’interrogation fondamentale présente à l’esprit de tous les participants : quel sera, au bout du compte, le retentissement de nos techniques actuelles sur l’état physique et plus encore psychique des enfants qui en seront issus ? La réponse tient en un mot : « incertitude » ; mais n’en est-il pas de même pour la procréation, dite « naturelle » ?

 
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