Pathologies thyroïdiennes et grossesse

Les pathologies thyroïdiennes sont fréquentes chez la femme, avec quelques particularités au cours de la grossesse. Des recommandations récentes ont été publiées par l’ATA (American Thyroid Association) (Alexander et al, ATA, Thyroid 2017), réactualisation des recommandations de 2011(Stagnaro-Green et al, Thyroid 2011). La carence iodée en France constitue un problème de santé publique pouvant aggraver la survenue de pathologies thyroïdiennes pendant la grossesse. L’hypothyroïdie au cours de la grossesse doit être correctement substituée pour éviter la survenue de complications materno-fœtales. L’hyperthyroïdie maternelle nécessite une évaluation diagnostique et un suivi selon des modalités bien définies afin de discuter l’indication thérapeutique et prévenir les complications à la fois maternelles et fœtales. En cas de nodules ou cancer thyroïdien la prise en charge pendant la grossesse sera proche de la prise en charge en dehors de la grossesse. Dans toutes les situations, une prise en charge associant endocrinologues, obstétriciens, pédiatres, échographistes voire généticien ou anesthésiste-réanimateur pourra s’avérer nécessaire.

Durant la grossesse, la production d’hormones thyroïdiennes s’élève de 50%. Les besoins quotidiens en iode s’élèvent également de 50%, ils sont estimés à 250 µg/J. Une supplémentation n’est pas nécessaire chez les patientes traitées pour une hyperthyroïdie ou sous L-thyroxine.

L’évaluation biologique de la fonction thyroïdienne pendant la grossesse reste difficile du fait de l’absence de technique fiable et de normes bien définies (sur des patientes enceintes, sans maladie thyroïdienne, sans carence iodée et sans auto-immunité thyroïdienne). La mesure la plus fiable est la mesure de la TSH dont chaque laboratoire devrait définir ses propres normes par trimestre. Des études récentes larges, regroupant 60 000 sujets de populations diverses ont permis de redéfinir les seuils de normalité, qui en l’absence de seuils de référence établis par le laboratoire pour chaque trimestre de grossesse, seraient les suivants : 0.4 - 4 mUI/L au 1er trimestre, intervalle de personnes non enceintes pour les 2ème et 3ème trimestres. L’hCG placentaire stimule la sécrétion d’hormones thyroïdiennes et induit une diminution physiologique de la TSH, surtout en début de grossesse. La TSH peut se situer en dessous des seuils définis comme normaux inférieurs (0.4 mUI/L) chez 15% des femmes au 1er trimestre (Soldin OP, Thyroid 2004 ; 14 :1084-1090).
 

  1. Auto-immunité anti-thyroïdienne et complications de la grossesse

Jusqu’à 18 % des femmes en âge de procréer présentent une auto-immunité thyroïdienne prouvée par la positivité des anticorps anti-thyropéroxydase (ATPO) ou anticorps anti-thyroglobuline (ATG). De plus en plus de données suggèrent un effet négatif de la positivité des  ATPO sur le statut thyroïdien maternel (capacité diminuée à augmenter la production d’hormones thyroïdiennes) et sur le développement fœtal pendant la grossesse ainsi qu’une augmentation de risque de dysfonction thyroïdienne après l’accouchement et en post-partum.

  • les femmes présentant une auto-immunité anti-thyroïdienne positive devrait avoir un dosage de TSH au diagnostic de la grossessse et toutes les 4 semaines jusqu’au milieu de la grossesse.
  • une supplémentation par sélénium n’est pas recommandée chez les femmes ATPO+ pendant la grossesse.
  • la positivité des ATPO chez des femmes euthyroïdiennes est associée à un risque accru de fausses couches spontanées mais l’effet bénéfique d’un traitement par levothyroxine n’est pas complètement démontré même si plusieurs études montrent un bénéfice. L’ATA recommande dans cette situation en cas d’antécédent de fausses couches et en raison du risque mineur de ce traitement d’introduire la levothyroxine à la dose de 25-50 µg/j en cas de nouvelle grossesse.
  • la positivité des ATPO chez des femmes euthyroïdiennes semble également associée à un risque plus élevée d’accouchement prématuré (avant 37 SA) mais les données sont insuffisantes pour recommander un traitement par levothyroxine afin de prévenir ce risque.
  • concernant les complications à long terme sur le développement neurologique des enfants de femmes euthyroïdiennes APTO+ pendant la grossesse quelques études rapportent une plus grande prévalence de déficit auditif neurosensoriel à l’âge de 8 ans (Wasserman EE et al, Am J Epidemiol 2008) ou de troubles du comportement, tel des troubles de l’attention/hyperactivité (Ghassabien A et al, Thyroid 2012 22(2) :178-186).

 

  1. Impact des maladies thyroïdiennes sur la fertilité et l’assistance médicale à la reproduction (AMP)
  • Un dosage de TSH doit être réalisé chez toute femme consultant pour infertilité.
  • Il est recommandé de traiter les dysfonctions thyroïdiennes franches chez toute femme infertile avec pour objectif une normalisation de la fonction thyroïdienne.
  • Il n’y a pas de données suffisantes prouvant qu’un traitement par levothyroxine améliorerait la fertilité des femmes en hypothyroïdie infraclinique, avec auto-immunité anti-thyroïdienne négative, cherchant à concevoir spontanément. Un traitement par levothyroxine, étant donné son faible risque, (démarré à petites doses, 25-50 µg/j) peut se discuter en prévision d’une évolution vers une hypothyroïdie plus franche en cas de grossesse.
  • Il n’y a pas de données suffisantes prouvant qu’un traitement par levothyroxine améliorerait la fertilité des femmes euthyroïdiennes, avec auto-immunité anti-thyroïdienne positive, cherchant à concevoir spontanément. Aucune recommandation de traitement ne peut donc être donnée.
  • Les études suggèrent un impact négatif de l’hypothyroïdie infra-clinique corrélé au niveau croissant de TSH sur l’AMP. Un traitement par levothyroxine doit être introduit chez toute femme rentrant en démarche d’AMP (FIV ou ICSI) afin d’obtenir une TSH < 2.5 mUI/L.
  • Malgré une absence de preuve suffisante, un traitement par levothyroxine démarré à 25-50 µg/J peut être discuté chez les femmes euthyroïdiennes, avec auto-immunité anti-thyroïdienne positive, démarrant une procédure d’AMP.

 

  1. Hypothyroïdie de grossesse

L’hypothyroïdie maternelle se définit par une élévation de la TSH au-dessus des seuils supérieurs considérés comme normaux selon le trimestre de grossesse (avec T4L basse en cas d’hypothyroïdie vraie, T4L normale en cas d’hypothyroïdie infraclinique). L’hypothyroxinémie est définie par une TSH normale avec une T4L entre le 2.5-5ème percentile.

  • L’hypothyroïdie vraie est clairement associée à un risque de complications per-partum (accouchement prématuré, petite poids de naissance, HTA gravidique, mort fœtale in utero) et de troubles du développement neurologique chez le fœtus (quotient d’intelligence abaissé chez la descendance). Un traitement adapté par levothyroxine est donc recommandé pendant la grossesse en cas d’hypothyroïdie vraie.
  • Les études sont moins claires concernant les complications pendant la grossesse liées à l’hypothyroïdie infra-clinique.
  • Le risque de fausses-couche spontanée semble être augmenté de façon corrélée au niveau croissant de TSH chez des femmes sans auto-immunité anti-thyroïdienne avec une majoration nette de ce risque en cas d’ATPO positifs.
  • Concernant le risque d’accouchement prématuré il ne semble pas être majoré en cas d’élévation de la TSH quand l’auto-immunité est négative.
  • L’hypothyroïdie infra-clinique ne semble pas majorer le risque de pré-éclampsie ou HTA gravidique.
  • Enfin, aucune étude large interventionnelle bien conduite ne permet de conclure sur l’impact de l’hypothyroïdie infra-clinique concernant le développement neurocognitif de l’enfant : le traitement est instauré trop tardivement dans les études disponibles, après 13 semaines d’aménorrhée (SA) pour l’étude CATS (Lazarus et al, NEJM 2012), 16 SA pour l’étude de Casey et al, NEJM 2017.
  • Un dosage des ATPO doit systématiquement être réalisé chez les femmes présentant un dosage de TSH > 2.5 mUI/L.
  • Un traitement par levothyroxine est systématiquement recommandé en cas :
    • ATPO positifs et TSH supérieure à la norme pour le trimestre concerné
    • ATPO négatifs si TSH > 10 mUI/L
  • Un traitement par levothyroxine est à discuter en cas :
    • ATPO positifs si TSH >2.5 mUI/L et sous la limite supérieure de la norme
    • ATPO négatifs si 10 mUI/L> TSH > valeur supérieure de la norme
  • Un traitement par levothyroxine n’est pas recommandé si :
    • ATPO négatifs et TSH normale (< 4,0 mUI/L)
  • Aucune étude d’intervention n’est disponible concernant un effet bénéfique du traitement de l’hypothyroxinémie maternelle. Elle ne doit donc pas être traitée en routine.
  • L’objectif en cas de traitement d’une hypothyroïdie est de cibler une TSH < 2.5 mUI/L et de mesurer la TSH tous les mois jusqu’en milieu de grossesse puis au moins une fois aux alentours de 30 SA.
  • Les femmes en hypothyroïdie et en âge de conception doivent être informées de la nécessité d’augmenter la posologie de leur traitement en cas de grossesse. En cas de désir de grossesse une TSH doit être réalisée et la posologie de la levothyroxine ajustée afin d’obtenir une TSH < 2.5 mUI/L.
  • En cas de grossesse  confirmée les femmes en hypothyroïdie préalablement traitée par levothyroxine doivent majorer leur posologie de 20 à 30 % de la dose pré-partum et rapidement contacter leur médecin.
  • Après l’accouchement, la posologie de levothyroxine sera réduite à la dose pré-conceptionnelle et un contrôle de TSH devra être réalisé à 6 semaines post-partum.
  • Les patientes chez qui la levothyroxine a été initiée pendant la grossesse n’en auront probablement plus besoin en post-partum d’autant plus que la dose de levothyroxine est < 50 µg/J. Si la levothyroxine est arrêtée, un contrôle de TSH à 6 semaines post-partum est à entreprendre.

 
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