Lorsque le principe de précaution est érigé en mode de fonctionnement …

Une fois de plus, nos autorités de santé ont ouvert le parapluie, posé ceintures et bretelles… et mis à l’index les gynécologues et leurs prescriptions. Après le traitement hormonal de la ménopause, les pilules dites de 3ème … et 4ème génération, l’acétate d’ullipristal, l’acétate de cyprotérone, voire le DIU au levonorgestrel, et sans évoquer le système Essure© ou les prothèses vaginales, voici que le bras séculier de l’ANSM s’est abattu sur l’acétate de chlormadinone (ACM) et de nomégestrol (NOMAC).

N’en jetez plus et qu’en est-il des faits ? Rappelons que ces deux progestatifs de synthèse sont ce que nous appelons des macroprogestatifs au même titre que l’acétate de cyprotérone (ACP) ou la promegestone, dont la commercialisation s’est récemment arrêtée. Ce terme tout comme du reste la quasi-totalité de ces molécules sont des spécificités françaises. A l’opposé des « microprogestatifs » qui en sont dénués, l’activité anti-gonadotrope qui les caractérise offre l’avantage d’inhiber partiellement ou complètement l’activité ovarienne et par là même, d’avoir un effet bénéfique dans différentes pathologies gynécologiques estrogéno-dépendantes. Citons entre autres l’endométriose, les kystes ovariens fonctionnels à répétition, les mastopathies sévères, certaines pathologies endométriales, ou des situations hématologiques nécessitant l’induction d’une aménorrhée. Plusieurs de ces indications rentrent dans le cadre de leur AMM mais ces molécules ont également été dans le passé et restent encore régulièrement prescrites hors AMM. En particulier, l’avantage d’un effet contraceptif, lorsque utilisées au moins 3 semaines sur 4, a largement contribué à leur utilisation en cas de contre-indication vasculaire aux oestroprogestatifs en raison de leur bonne tolérance métabolique et thrombo-embolique veineuse et bien qu’aucune étude n’ait jamais été réalisée pour estimer un indice de Pearl et valider cette indication. Et c’est là que le bat blesse, une fois de plus, puisque ce qui a fait et devrait continuer à faire la particularité unique au monde du développement de l’hormonologie pour la femme par la gynécologie médicale en France, et notamment des molécules à activité progestative, l’a été le plus souvent au détriment d’une validation scientifique répondant à un niveau de preuve suffisant. De fait, il est alors facile au moindre effet secondaire mais également, ne nous leurrons pas, sous une certaine pression de la mise sur le marché de molécules aux propriétés relativement comparables mais de meilleur niveau de preuve, de jeter l’opprobre sur des progestatifs dont la valeur ne repose que sur l’expérience clinique aussi longue soit-elle (mais actuellement sans valeur aucune…). Il est vrai également et cela l’a été pour l’ACP, que certaines prescriptions ont parfois largement dépassé, voire dans certains cas de manière irrationnelle, le cadre initial de leur AMM. La mise en évidence d’un surrisque de méningiome associé à l’utilisation au long cours de ce progestatif ne pouvait ainsi que conduire à interroger sur le risque propre des autres progestatifs à activité anti-gonadotrope.

L’objectif était louable, la méthode ou tout au moins les conclusions qui en ont découlé, peut-être plus discutables. La seule étude présentée par Alain Weill et à ce jour non encore publiée sur une cohorte de femmes exposées entre 2007 et 2018 rapporte ainsi un risque absolu de méningiome opéré qui serait respectivement de 1 et 2 pour 1 000 personnes-années pour l’ACM et le NOMAC (le risque avait été évalué à 4/1 000 PA pour l’ACP). Ces valeurs de risque ne prennent pas en compte l’âge des patientes avec 12 cas de méningiomes opérés rapportés pour le NOMAC dans la tranche d’âge 10-44 ans (dont 3 cas pour les femmes « fortement exposées » - dont la dose cumulée était supérieure à 150 mg à 6 mois) et 183 dans la tranche 55-64 ans (dont 104 pour les « fortement exposées »). Notons que les chiffres de prévalence par tranche d’âge n’ont pas été rendus public pour l’ACM…  Il a été de fait demandé aux principales sociétés savantes de gynécologie (CNGOF, CNEGM, FNCGM et PGR) de revoir les indications de ces 2 progestatifs au regard de leur balance bénéfices-risques. Je n’oserais dire que la part réservée à la présentation des conclusions du groupe de travail de ces 4 sociétés lors de l’audition publique de l’ANSM du 2 novembre dernier relevait de la mascarade eu égard au temps accordé aux différentes patientes ou association de patientes, mais il est clair que nous n’avons pas été ou très peu entendu. L’ANSM s’étant dès le 16 décembre empressé d’édicter des recommandations visant à limiter leur utilisation et à imposer secondairement la réalisation d’une IRM systématique pour tout traitement de plus d’1 an. Aucune étude coût/risques/bénéfices d’une telle recommandation n’a été faite, ni la prise en compte de l’absence d’alternatives raisonnables à ces molécules dans certaines indications.

Il n’est nullement question ici de remettre en question un risque entre progestatif et méningiome qui est notamment étayé par une plausibilité biologique. Les méningiomes sont la tumeur bénigne la plus fréquente de la femme ; leur incidence augmente avec l’âge (de 1/1 000 000 avant 20 ans à 49/100 000 après 85 ans) et elles expriment les récepteurs de la progestérone. Mais faut-il se baser sur une seule étude épidémiologique, même si elle est issue des « big data » chères à nos autorités de santé, mais dont les limitations ont bien été décrites par ces mêmes auteurs dans leur publication scientifique concernant l’ACP (1) pour imposer à toutes les femmes, même très jeunes une IRM systématique après 1 an de traitement ? Militons au contraire pour une réelle évaluation des conséquences de ces décisions et notamment l’augmentation très probable des chirurgies gynécologiques radicales ou les impasses thérapeutiques dans certaines situations cliniques complexes. Sinon, il faut alors aussi s’interroger sur le risque de méningiome de toutes les molécules à activité progestative, y compris certaines contraceptions progestatives pures, voire oestroprogestatives … Il est de plus probable qu’une utilisation plus large qu’actuellement de tous les nouveaux progestatifs (de meilleur niveau de preuve pour les indications endométriales) dont certains s’empressent déjà de louer la supériorité, se heurte dans quelques années aux mêmes mises en cause. Plutôt que d’imposer la réalisation d’une IRM cérébrale sans tenir compte de l’âge à la prescription et avant toute validation scientifique et économique de cette démarche, nous aurions préféré que les autorités de santé financent les projets de recherche qu’ils reprochent à la gynécologie de ne pas avoir conduit et que nous avons été pourtant plusieurs à soumettre lors des appels d’offre des PHRC de ces dernières années.

Mais ceci est une autre histoire…

Pr. Florence TREMOLLIERES
Membre du CNEGM
Centre de Ménopause, Hôpital Paule de Viguier
CHU de Toulouse
tremollieres.f@chu-toulouse.fr

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1. Weill A, Nguyen P, Labidi M, et al. Use of high dose cyproterone acetate and risk of intracranial meningioma in women:
cohort study. BMJ 2021, 372, n37

CNEGM : Collège National des Enseignants de Gynécologie Médicale
CNGOF: Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français
FNCGM: Fédération Nationale des Collèges de Gynécologie Médicale
GR: Centre de référence des pathologies Gynécologiques Rares

 
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