Cherif AKLAIDOS, Geoffroy CANLORBE et Lise LECOINTRE
Le Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français (CNGOF) a fait paraître en 2019 des recommandations pour la pratique clinique sur les tumeurs frontières de l’ovaire (TFO). Nous présentons ici, un résumé de la prise en charge des TFO de stade précoce.
Épidémiologie
Les tumeurs frontières de l’ovaire (TFO) représentent 10 à 20 % des tumeurs malignes de l’ovaire et surviennent dans près d’un tiers des cas chez des femmes âgées de moins de 40 ans n’ayant pas toujours accompli leur projet de grossesse. Dans la majorité des cas (63,7%), les TFO sont découvertes à un stade précoce, définies par une atteinte limitée à un ou aux deux ovaires (stade FIGO I). Le taux de survie à 5 ans, pour les stades FIGO I, est de 99,7% (IC 95% : 96,2-100%) et le risque de récidive sous forme invasive est faible (0,5 à 3,8 %).
Modalités diagnostiques
Imagerie
Chez toute patiente présentant une masse pelvienne, l’échographie pelvienne est l’examen de première intention, par voie abdominale et/ou vaginale.
Dans le cas de masses complexes ou de masse considérée comme « indéterminée » en échographie, l’IRM pelvienne complète le bilan [1], sans qu’il soit néanmoins possible d’affirmer un diagnostic préopératoire.
Pertinence des marqueurs tumoraux
Aucune recommandation ne peut être proposée concernant l’utilisation du dosage des marqueurs tumoraux (CA 125, CA 19-9, ACE, CA 72-4, de l’HE4) ou des scores spécifiques pour le diagnostic différentiel préopératoire entre tumeurs ovariennes présumées bénignes/ TFO/ tumeurs ovariennes malignes en raison d’un faible niveau de preuve des travaux identifiés concernant leur valeur discriminante. Néanmoins, en cas de suspicion de TFO mucineuse sur l’imagerie, il peut être proposé de doser le CA 19-9.
Prise en charge thérapeutique chirurgicale des stades précoces
- Kystectomie ou annexectomie en cas de TFO ?
Devant une TFO de stade précoce, suspectée à l’imagerie préopératoire ou confirmée à l’examen anatomopathologique, la question d’un traitement conservateur, et notamment la question de la kystectomie par rapport à l’annexectomie, se posera essentiellement chez les patientes non ménopausées et présentant un désir de grossesse.
Chez les patientes ménopausées, il convient de réaliser une annexectomie bilatérale, compte tenu d’un risque de récidive plus élevé en cas de kystectomie que d’annexectomie (24,12 % versus 13,29 % dans une analyse de la littérature colligeant 30 études rétrospectives).
Chez les patientes jeunes, dans un contexte de désir de préservation de la fertilité, la décision d’un traitement conservateur par kystectomie reposera essentiellement sur le type histologique de la tumeur. En effet, s’il est admis que la kystectomie est associée à un risque plus élevé de récidive, ces récidives n’affectent pas la survie globale des patientes présentant des TFO de stade précoce tant qu’elles restent sur un mode frontière non invasif. C’est dans ce contexte que le type histologique apparaît comme un déterminant majeur dans le choix du type de chirurgie à proposer, à savoir, kystectomie ou annexectomie.
Parmi les différents types histologiques des TFO, les deux principaux sont les tumeurs séreuses et mucineuses, représentant respectivement approximativement 55% et 40% des TFO. Pour les TFO séreuses, le risque de récidive est plus élevé, de l’ordre de 44%, mais elles récidivent le plus souvent sur un mode frontière non invasif. Les récidives semblent moins fréquentes en cas de TFO mucineuses, cependant en cas de récidive, le risque de récidive invasive est plus élevé [2].
Il semble donc acceptable de réaliser une kystectomie en cas de TFO séreuse unilatérale ou bilatérale, du fait de l’absence d’impact significatif sur le taux de récidive à 10 ans, si cela est techniquement faisable, pour optimiser les possibilités de grossesse [3-5]. Inversement, en cas de TFO mucineuse une annexectomie semble légitime [6,7].
Il apparaît primordial d’avoir recours à un pathologiste expert en gynécologie pour le diagnostic de tumeur frontière, de son sous-type histologique ainsi que du caractère invasif des implants, puisqu’il s’agit de facteurs décisionnels majeurs dans la stratégie chirurgicale, d’autant que l’examen histologique extemporané semble moins performant dans les TFO que dans les tumeurs ovariennes bénignes ou malignes.
- Chirurgie de stadification : quels sont les gestes opératoires associés à réaliser ?
En cas de TFO découverte sur l’analyse histologique définitive, l’indication d’une chirurgie de restadification va dépendre, d’une part des caractéristiques anatomopathologiques de la tumeur, notamment entre séreux et mucineux, et d’autre part de la qualité de l’inspection de la cavité abdominale lors de la chirurgie initiale, avec la détection des implants péritonéaux qu’ils soient invasifs ou non et l’exploration de l’appendice en cas de TFO mucineuse. Dans tous les cas, l’indication d’une chirurgie de restadification doit être discutée en Réunion de Concertation Pluridisciplinaire.
Au cours de cette chirurgie, il semble justifier de réaliser une omentectomie en raison d’un taux de lésions occultes épiploïques variant de 1,5 à 10 % avec notamment un impact statistiquement significatif sur la survie sans progression [8], une exploration complète de la cavité abdominale associée à des biopsies péritonéales sur les zones suspectes ou de façon systématique compte tenu d’un taux de lésions occultes péritonéales variant de 0 à 15% avec 1,4 à 3,7% de biopsies invasives dans la littérature [9,10], une cytologie péritonéale dont la positivité varie de 1,4 à 13,4% [10,11], ainsi qu’une appendicectomie seulement en cas d’aspect macroscopiquement pathologique car le taux d’envahissement appendiculaire semble inférieur à 3% en cas d’appendice macroscopiquement sain [12,13].
En revanche, il n’y a pas lieu d’effectuer une hystérectomie à titre systématique dans la prise en charge des TFO séreuses ou mucineuses en raison d’un taux d’envahissement de l’utérus inférieur à 2% et de l’absence d’amélioration de la survie sans récidive [14].
- Voie d’abord chirurgicale :
La prise en charge cœlioscopique est possible pour les TFO de stade précoce mais semble conditionnée par le volume tumoral. En effet, les données publiées sont en faveur d’une augmentation du risque de récidive en cas de rupture tumorale peropératoire dont le taux varie de 29 à 58% dans la littérature et identifient le volume tumoral comme le facteur prédictif principal de la rupture tumorale peropératoire. Le risque semble augmenté au-delà d’un volume tumoral de 5cm [15] et évident à partir de 10 cm [16].
Il est donc recommandé de prendre toutes les dispositions pour éviter la rupture tumorale, y compris la décision per opératoire de laparoconversion et de réaliser une extraction de la pièce opératoire à l’aide d’un sac endoscopique afin d’éviter toute dissémination tumorale et protéger la paroi abdominale.
Modalités de surveillance
La surveillance des TFO traitées doit se poursuivre au-delà de 5 ans associant un examen clinique systématique et la réalisation d’une échographie endovaginale ou sus-pubienne notamment en cas de traitement conservateur (parenchyme ovarien et utérus). Néanmoins, les données de la littérature sont insuffisantes pour préciser le rythme de ces examens.
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