THM et cancer du sein il y a bien hormones et hormones

Le traitement hormonal de la ménopause (THM) est actuellement rendu responsable d’une augmentation des découvertes de cancer du sein.

Les données épidémiologiques et les essais cliniques

C’est à la suite d’une très longue période d’incertitude que cette responsabilité s’est imposée à la communauté scientifique. En effet, pendant près de 40 ans les études ont été tellement contradictoires qu’il était impossible de se faire une opinion sur la réalité du risque. Même la méta analyse publiée dans le Lancet en 1997 qui, trouvant un risque relatif significatif à environ 1,3 n’emportait pas la conviction, du fait des biais inhérents à cette méthodologie de calcul et à la faiblesse du niveau du risque mis en évidence.

Cependant depuis plusieurs années il existe une certaine cohérence des résultats avec des chiffres globalement proches les uns des autres, donnant un à priori d’exactitude au résultat de cette méta analyse.

Pourquoi cette cohérence après tant d’incertitude ?

On peut bien sûr évoquer une amélioration de la méthodologie des études avec le temps mais ceci mériterait d’être validé ce qui est loin d’être le cas. L’hypothèse la plus crédible est la modification des habitudes thérapeutiques aux USA avec l’introduction de plus en plus fréquente des progestatifs, le médroyprogestérone acétate (MPA) en l’occurrence, dans les THM. Depuis fort longtemps Pike avait évoqué le rôle potentiellement nocif de l’association œstroprogestative sur le risque de cancer du sein avec cependant des résultats à la significativité statistique douteuse. En 2000 C Schairer trouva de nouveau un risque plus élevé de découverte de cancer du sein chez les utilisatrices d’œstroprogestatifs que chez celles utilisant des œstrogènes seuls. La grande majorité des études postérieures à cette date confirment ce résultat. L’étude MWS retrouve aussi ce différentiel de risque (même si les niveaux de risque sont discutés). La démonstration du bien fondé de ce résultat vient de l’étude WHI. En effet, cette étude randomisée prospective contrôlée versus placebo a mis en évidence que le risque était augmenté chez les utilisatrices d’œstroprogestatifs (RR=1,26) et ne l’était pas chez les utilisatrices d’oestrogènes seuls.

Effet durée ou effet age ?

La durée du THM a été mise en cause dans la méta analyse du Lancet et dans de très nombreuses études depuis, y compris WHI où le seuil d’apparition du risque statistique a été trouvé significatif à 5 ans uniquement chez les femmes traitées antérieurement à l’entrée dans l’étude. En réalité il est impossible à la lumière des résultats de séparer clairement l’effet durée de l’effet âge, en effet, par définition, une femme qui a pris un THM 10 ans a 10 ans de plus. Ceci est capital puisque l’on sait que le risque spontané augmente avec l’âge. Si le THM a un rôle promoteur ou révélateur sur le cancer du sein il les aura d’autant plus que le risque spontané est plus élevé. Colditz dans la Nurse Health Study s’était penché sur ce point et avait monté qu’un traitement de 5 ans donnait un RR d’autant plus élevé que la femme était plus âgée.

Promotion ou induction ?

Les données sur la durée et l’âge sont en faveur d’un effet de promotion plus que d’induction. En effet si l’induction était la bonne hypothèse il n’y aurait pas de raison pour que l’effet varie avec l’âge.

De plus seules les formes invasives sont augmentées et pas les cancers in situ ce qui va avec la notion de promotion.

Mais c’est surtout la cinétique de disparition du risque inférieure à 5 ans qui emporte la conviction ; en effet si le THM avait un pouvoir inducteur compte tenu de l’histoire naturelle du cancer du sein, le sur risque devrait perdurer, comme cela est observé pour le cancer du poumon après arrêt du tabagisme, pendant plus de 10 ans.

Existe t il des différences entre les produits ?

Les études MWS, E3N et EPIC ne montrent pas de variation du niveau de risque suivant la voie d’administration et le type de l’œstrogène utilisé.

Ces trois études ont évaluée différents types de progestatif dont le MPA, le NETA, le lévonorgestrel ainsi que les progestatifs artificiels proposés en France sans montrer de résultats différents. Dans de nombreuses études il est mis en évidence un risque plus élevé avec les traitements avec des séquences progestatives longues (MWS, EPIC)

En revanche il semble à la lumière des résultats de E3N que l’utilisation de l’association oestradiol / progestérone naturelle n’ait pas induit d’augmentation de découverte de cancer du sein après 8 ans de suivi. Dans E3N et dans une étude finlandaise (Lyytanen) l’association estrogènes et retroprogestérone ne s’accompagne pas non plus d’une augmentation du risque.

En l’absence de progestatif les effets des estrogènes seuls sont divergents. On n’observe aucune augmentation du risque voire une diminution (chez les femmes à haut risque) du risque dans l’étude WHI alors que l’on observe une augmentation du risque certes moins importante qu’avec les estroprogestatifs artificiels dans E3N et EPIC. Cependant dans ces études observationnels on peut invoquer un biais de surveillance ce qui n’est pas le cas dans WHI.

La tibolone dans l’étude randomisée versus placebo LIFT n’entraine aucune augmentation du risque avec même une baisse statistiquement significative du risque.

Ainsi, le THM œstroprogestatif a bien un effet promoteur sur le cancer du sein, au moins lorsque sont utilisés des progestatifs artificiels, cet effet est durée dépendante, et dépend aussi du risque spontané, qui est lui-même âge dépendant et de la durée d’administration du progestatif artificiel dans le cycle..

Les données fondamentales

In vitro, dans les cultures de tissus de cancer du sein (MCF7 ER+) lorsque l’on évalue le rapport apoptose sur prolifération on remarque que tous les stéroïdes ne sont pas équivalents. Les plus prolifératifs sont le MPA, le NETA, et l’oestradiol. En revanche la dihydrogestérone (DHD), et la progestérone (Pg) ont un effet neutre. Si l’on s’intéresse les plus mauvais, pire que l’E2 seul. En revanche l’association E2+Pg est neutre et l’association E2+DHD est sur le versant pro apoptotique cependant à un degré moindre que la tibolone qui est la plus pro apoptotique (Franke).

Dans une étude ex vivo randomisée comparant l’association estrogènes conjugués équins + MPA versus un gel d’estradiol + progestérone naturel per os il est mis en évidence une forte prolifération cellulaire phénomène non observé avec le second traitement.(Murkes)

Enfin in vivo chez la femme grâce à des biopsies dans le quadrant supéro externe du sein on a pu prouver que la tibolone comme le placebo n’avait pas d’effet prolifératif mesuré par le rapport Ki67/MIB-1 contrairement à l’association E2+NETA à 6 mois (Conner).Avec ce même traitement une autre étude (Valdivia) confirme toujours chez la femme saine in vivo une réduction de la prolifération et une stimulation de l’apoptose à l’inverse de l’association E2+MPA sur ces deux paramètres après un an de traitement.

Comment comprendre ces paradoxes ?

Dans ce domaine hormones et cancer du sein les paradoxes sont nombreux comme par exemple la poursuite de l’augmentation de l’incidence du cancer du sein après la ménopause alors que le risque chute brutalement après arrêt des THM. Autre paradoxe comment des hormones se fixant sur le même récepteur celui de la progestérone peuvent elle avoir des effets si différents ?

Effets directs de l’insuline sur le cancer du sein.

Un début d’explication peut venir de l’étude observationnelle WHI ou un bilan biologique hormonal exhaustif a été pratiqué à l’entrée dans l’étude. Les corrélations entre les niveaux de départ de ces hormones et le risque subséquent de cancer du sein a permis de mettre en évidence non plus un, mais deux acteurs fortement prédictifs du risque: l’estradiol RR=1,59 (1-2,55) et l’insuline RR=2,48. A noter que dans ce travail d’autres candidats n’apparaissent pas comme facteur de risque après ajustement sur les taux d’estradiol et d’insulinémie, il s’agit de l’IGF total RR=0,99 (0,59-1,64) et libre RR=1,24 (0,73-2,10) de l’IGFBP3 RR=0,95 (0,57-1,59), de l’IMC RR=1,91(1,11-3,27) et de la glycémie RR=0,88(052-1,47). (D’autres études trouvent une corrélation entre IGF1 et cancer du sein). Seul l’estradiolémie est corrélée au statut des récepteurs ER et PR. L’effet de l’insuline n’est pas affecté par l’ajustement du taux d’estradiolémie, de même l’ajustement du taux d’insuline n’affecte pas l’effet de l’estradiol. Il s’agit donc de deux facteurs indépendants. A ce jour peu d’études ont évalué le niveau d’insuline comme facteur de risque prédictif de cancer du sein. Deux d’entre elles ne trouvent pas de corrélation mais incluaient des femmes sous traitements hormonaux de la ménopause (THM) et une, qui n’incluait pas de femme sous THM trouve le même résultat que cette étude WHI observationnelle. Une autre étude a mis en évidence que lorsqu’une femme ménopausée est atteinte d’un cancer du sein, son taux d’insuline le jour du diagnostic est fortement prédictif de son risque de mortalité à dix ans

Dans une autre étude après stratification de l’insulinémie en quartiles, il est trouvé que le quartile supérieur d’insulinémie versus le quartile inférieur donne des risques relatifs de mortalité de 8 et de récidive de 4. Dans l’étude MA.14 l’insulino résistance est associée à une réduction de la survie sans récidive. Enfin un travail préliminaire montre que si l’on mesure les récepteurs de l’insuline dans les tumeurs, les tumeurs les plus riches en récepteurs sont de plus mauvais pronostic.

Au plan cellulaire, l’insuline stimule la prolifération des cellules mammaires normales et cancéreuses, l’insuline a un effet de promotion des tumeurs du sein chez l’animal, le récepteur de l’insuline est surexprimé dans le cancer du sein chez la femme. L’hyperinsulinisme est associé à une augmentation de la production d’estradiol par les ovaires, une diminution de la protéine porteuse de l’estradiol donc à une augmentation de l’estradiol libre. La fixation de l’insuline à son récepteur sur les cellules de cancer du sein augmente l’activité MAP kinase et phosphatidylinositolkynase. De plus l’insuline active la transcription du récepteur de l’estradiol alpha dans les cellules cancéreuses, même en l’absence d’estradiol. Par ailleurs l’estradiol active la voie MAPK de l’insuline. Enfin, dans les milieux de culture de cellules de cancer du sein, l’estradiol n’exerce son effet prolifératif qu’en présence de facteurs de croissance dont fait partie l’insuline.

Ainsi tout ceci permet d’éclairer d’un autre jour nombre de situations jusqu’à ce jour mal expliquées par le « tout stéroïdes sexuels ». La ménopause s’accompagne de l’apparition d’une insulino résistance, ce qui pourrait expliquer la non chute de l’incidence des cancers du sein avec celle-ci, alors que l’arrêt des traitements hormonaux s’accompagne d’une chute rapide de l’incidence des cancers du sein.

Le surpoids est un facteur de risque reconnu de cancer du sein après la ménopause, alors qu’il est plutôt protecteur avant la ménopause. Rappelons à ce propos que l’obésité gynoïde pré ménopausique n’altère pas l’insulino sensibilité alors que l’obésité androïde post-ménopausique elle s’accompagne d’une insulino résistance. Le syndrome métabolique multiplie par 2 le risque de cancer du sein de même que son marqueur clinique, le rapport tour de taille sur tour de hanche. De plus ce rapport est prédictif de la mortalité par cancer du sein lors de la découverte du cancer. Le HDL cholestérol marqueur d’insulino résistance est lui inversement corrélé à l’insulinémie et au risque de cancer du sein.

L’activité physique est aujourd’hui un facteur de protection du cancer du sein prouvé, ainsi qu’un facteur de diminution de la mortalité par cancer du sein. Cette protection existe aussi chez les femmes ayant une mutation BRCA1/2. L’activité physique, en augmentant la masse musculaire, améliore l’insulino sensibilité et diminue donc le taux d’insuline circulant y compris chez les femmes ayant eu un cancer du sein.

La consommation d’aliments riche en acides gras trans est associée a un risque élevé de cancer du sein RR= 1,75 (1,08-2,83) dans l’étude EPIC or cette consommation élevée s’accompagne aussi d’un risque plus élevé d’insulino résistance et de diabète. L’alcool, facteur de risque reconnu de cancer du sein après la ménopause, diminue l’insulino sensibilité et augmente les récepteurs de l’insuline dans les tumeurs. L’index glycémique des aliments est un marqueur de la réponse insulinique à leur ingestion. Plus un individu a un régime riche en aliments à index glycémique élevé, plus son risque de cancer du sein augmente.

Les diabétiques de type II non insulinodépendants ont un hyperinsulinisme et un risque relatif de cancer du sein de 1,2; des études ont montré que le traitement de ces diabètes de type II par la metformine (qui augmente l’insulinosensibilité et diminue l’insulinémie) s’accompagnait d’une diminution de la mortalité par cancer du sein, alors qu’un traitement par sulfamides hypoglycémiant ou l’insuline (qui élèvent l’insulinémie) augmente cette mortalité.

Cette synergie estradiol/insuline éclaire aussi les rapports entre traitements hormonaux de la ménopause et risques de cancer du sein. Rappelons que les estrogènes à doses moyennes par voie orale ou cutanée améliorent l’insulino sensibilité et donc diminuent l’insulinémie alors que les estrogènes oraux à doses fortes et/ou associés aux progestatifs artificiels, en particulier le MPA, augmentent l’insulino résistance. De plus, dans l’étude PEPI, il a été montré que contrairement au MPA, la progestérone naturelle n’altère pas l’insulino sensibilité elle même améliorée par les estrogènes conjugués équins. Ainsi ce serait par l’intermédiaire de l’insuline que les THM estroprogestratifs artificiels augmenteraient le risque de cancer du sein que les estrogènes seuls diminueraient/ ou n’augmenteraient pas le risque et que contrairement aux progestatifs la progestérone ou la rétroprogestérone n’aurait pas d’effet délétère.

Effets indirects de l’insuline sur le cancer du sein.

Le tissu adipeux secrète des hormones appelées adipocytokines. Le volume du tissu adipeux est augmenté par l’insuline, ainsi l’insuline pourrait avoir un rôle direct sur les cellules cancéreuses, mais aussi indirect par le biais des sécrétions d’adipocytokines liées à l’augmentation de la masse grasse insulino induite. Parmi ces adipocytokines, la résistine est plus élevée chez les femmes ayant un cancer du sein, elle est associée à la gravité du cancer et est en partie responsable de l’élévation de l’insulinémie dans l’insulinorésistance, elle-même dépendante de la masse adipeuse. Une autre adipocytokine, la leptine, est aussi élevée chez les femmes ayant un cancer du sein, en particulier métastatique, et la leptine augmente l’aromatase donc la production intra-mammaire d’estrogènes. L’interleukine 1, aussi sécrétée par le tissu adipeux, a un taux corrélé au risque de cancer du sein et à sa progression. Enfin l’adiponectine est abaissée en cas de syndrome métabolique, de diabète de type II et d’obésité androïde. Elle est basse chez les femmes ayant un cancer du sein et son taux est inversement associé à l’envahissement ganglionnaire. Elle augmente l’apoptose des cellules cancéreuses mammaires et diminue la néo-vascularisation. (44, 45, 46)

Ainsi le couple insuline/estrogènes a un effet synergique et indépendant sur le risque de cancer du sein et il semble que l’estradiol ne soit pas ou peu promoteur de ces cancers en l’absence d’hyperinsulinisme endogène ou iatrogène. L’effet des progestatifs ne passerait pas par leurs effet sur le récepteur de la progestérone mais par une insulinorésistance iatrogène. Le tissu adipeux insulinodépendant pourrait être aussi un des organes effecteurs de cette synergie par l’intermédiaire des adipocytokines.

Cette nouvelle approche qui apporte nombre des maillons manquants à la compréhension des rapports entre hormones stéroïdes et cancers du sein pourrait dans l’avenir être à l’origine de nouvelles voies thérapeutiques et/ou préventives du cancer du sein.

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