Prévention du cancer de l’ovaire : « par la Salpingectomie » !

La societe de gynéco-oncologie du canada vient de publier une recommandation visant à proposer systématiquement à toute femme devant subir une chirurgie pelvienne et ne désirant plus conserver sa fertilité de pratiquer une Salpingectomie bilatérale dans le but de prévenir le  … cancer de l’ovaire. Les arguments proposés pour la réalisation d’un tel geste sont reproduits «  in extenso » dans le document ci-après et reposent sur les résultats d’enquêtes épidémiologiques et notamment de ceux des examens histologiques des pièces d’Annexectomies prophylactiques réalisées dans le cadre des mutations de BRCA1 & 2.

DÉCLARATION DE LA GOC

CONCERNANT LA SALPINGECTOMIE ET LA PRÉVENTION DU CANCER DE LOVAIRE

Recommandations de la GOC :

  1. En raison de son utilisation possible en tant que méthode de prévention du cancer, on recommande aux médecins de discuter des risques et des avantages de la salpingectomie bilatérale avec les patientes devant subir une hystérectomie ou faisant la demande d’une méthode contraceptive permanente et irréversible.
     
  2. Étant donné que l’ensemble des avantages et des risques de ce changement de pratique n’a pas encore été déterminé, la GOC s’est donné comme priorité la mise en place d’une étude nationale sur la prévention du cancer de l’ovaire, mettant l’accent sur l’ablation des trompes de Fallope.

Introduction
La plupart des cancers de l’ovaire (>90 %) sont d’origine épithéliale et touchent principalement les femmes de plus de 40 ans. Parmi les différents types de cellules épithéliales, ce sont celles présentant une histologie séreuse de haut grade qui représentent le sous-type le plus courant de cancer de l’ovaire (2/3 des tumeurs épithéliales ovariennes malignes). Contrairement à d’autres types de tumeurs épithéliales malignes (cellules claires, endométrioïdes et mucineuses), ce sous-type est rarement limité au moment du diagnostic. La grande majorité
des cancers séreux de haut grade sont diagnostiqués après qu’ils se soient propagés au-delà de l’ovaire; on les qualifie alors de cancers de stade 3 ou 4. Pour ces patientes, la guérison
demeure peu probable. Le cancer de l’ovaire est le type de tumeur gynécologique maligne le plus mortel; il est d’ailleurs la 5e cause de décès par cancer chez les femmes au Canada1. L’essai Prostate, Lung, Colon, Ovarian (PLCO) Cancer Screening Trial, publié récemment, évaluait le dépistage annuel, au sein de l’ensemble de la population, chez les femmes âgées entre 55 et 74 ans; il n’a révélé aucune amélioration sur le plan de la mortalité attribuable au cancer de l’ovaire par rapport aux suivis réguliers2. L’absence d’outils de dépistage efficaces pour la détection précoce du cancer de l’ovaire, tant au sein des populations présentant un risque
élevé que de l’ensemble de la population, s’est traduite par un intérêt accru envers la prévention et l’identification des lésions précurseurs. On espère ainsi que les lésions précurseurs identifiées pourront servir de cibles pour le dépistage et la détection précoce, ainsi que pour l’élaboration de stratégies possibles de prévention.

Données démontrant l’origine tubaire des cancers séreux de l’ovaire
Jusqu’à récemment, on croyait que l’épithélium de revêtement ovarien et les inclusions épithéliales au sein du cortex ovarien étaient le point d’origine des tumeurs séreuses de l'ovaire3. Le carcinome séreux de haut grade est le sous-type répertorié le plus couramment chez les porteuses de la mutation du gène BRCA 1 ou 2; par ailleurs, jusqu’à 20 % de ces cancers se manifestent chez les femmes présentant une mutation germinale du gène BRCA 1 ou 2. Bon nombre de femmes présentant une mutation du gène BRCA ont choisi de subir une chirurgie de réduction de risque, laquelle comprend l’ablation des ovaires et des trompes de Fallope. On croyait qu’un examen méticuleux des ovaires chez les porteuses d’une mutation du gène BRCA
1 ou 2 permettrait de détecter la présence de précurseurs « ovariens » du cancer. L’examen pathologique pratiqué après la chirurgie a révélé qu’environ 10 % des femmes soumises à une chirurgie de réduction de risque présentaient un cancer de stade précoce. La majorité de ces cancers ont été découverts dans les trompes de Fallope distales, et non pas dans les ovaires. Depuis 2004, les données scientifiques s’accumulent indiquant que ces cancers prennent effectivement naissance dans les trompes de Fallope plutôt que dans les ovaires, comme on le croyait auparavant4, 5, 6, 7.

Qu’en est-il de l’origine des carcinomes séreux de haut grade chez les femmes présentant un faible risque de cancer au sein de l’ensemble de la population ? Depuis 2007, les recherches ont démontré que la majorité de ces tumeurs malignes prennent probablement naissance elles
aussi dans l’épithélium des trompes de Fallope distales8,9, 10. Par ailleurs, la transition de cellules
normales, de cellules précancéreuses et de cellules cancéreuses a été identifiée au sein de la partie distale de la trompe de Fallope, et non au sein de l’ovaire. La transformation des cellules épithéliales de la trompe de Fallope en carcinomes séreux de haut grade a aussi été démontrée sur le plan pathologique et immunophénotypique11. Par conséquent, les données démontrant que les cancers séreux de haut grade prennent naissance dans les trompes de Fallope distales sont maintenant convaincantes.

Une stratégie préventive possible
Le fait de savoir que ces cancers prennent naissance dans la trompe de Fallope distale permet d’étudier des stratégies de prévention à plus grande échelle. Les données démontrant l’efficacité de la salpingectomie en tant que stratégie de réduction des risques sont mises en évidence par le succès de l’ovariectomie et de la salpingectomie bilatérales chez les femmes à risque élevé, porteuses de la mutation du gène BRCA 1 ou 212, 13, 14, 15.

L’identification d’une lésion précurseur dans la trompe de Fallope permet d’entrevoir de nouvelles approches en matière de prévention au sein de l’ensemble de la population en général. Chaque année, des femmes subissent des interventions chirurgicales gynécologiques en raison de la présence de tumeurs bénignes ou malignes. L’hystérectomie et la ligature des trompes comptent parmi les interventions auxquelles les Canadiennes se soumettent le plus souvent. En 2008–2009, les indications les plus courantes pour l’hystérectomie comprenaient les fibromes utérins (35 %); les troubles menstruels (19 %); le prolapsus génital (15 %); les
cancers gynécologiques (15 %); et l’endométriose (8 %)16. Les femmes préménopausées se

soumettant à une chirurgie gynécologique préfèrent souvent conserver leurs ovaires intacts afin de prévenir les effets indésirables possibles d’une ménopause précoce, comme l’ostéoporose ou les symptômes vasomoteurs. Donc, si la plupart des « cancers de l’ovaire » prennent naissance dans la trompe de Fallope, il devient alors possible d’effectuer l’ablation des trompes tout en laissant les ovaires, sources d’hormones, en place.

Auparavant, lorsqu’une hystérectomie était pratiquée et que les ovaires étaient préservés, les trompes de Fallope n’étaient pas excisées. Le fait de savoir que la plupart de ces cancers peuvent prendre naissance dans la trompe de Fallope signifie que nos habitudes chirurgicales conventionnelles doivent être remises en question. Une approche possible consisterait à considérer les trompes de Fallope comme faisant partie de l’utérus et à exciser les deux trompes au moment de l’hystérectomie, que les ovaires soient excisés ou non17. Il faut toutefois souligner que cette stratégie vise exclusivement les femmes chez lesquelles les
avantages de la  préservation des ovaires au moment de l’intervention sont supérieurs à ceux de la salpingo-ovariectomie. Une autre possibilité consisterait à envisager une salpingectomie bilatérale plutôt qu’une ligature des trompes chez une femme recherchant une méthode contraceptive permanente et irréversible. Dans ces circonstances, on recommanderait l’excision des trompes de la frange jusqu’au point d’insertion au niveau de l’utérus, sans toucher au segment intramural.

Cependant, afin de pouvoir envisager une stratégie préventive de ce genre, il faudrait disposer d’un ratio risque-bénéfice favorable, accompagné d’une description claire des effets indésirables et des avantages potentiels. Même si les données montrant que les tumeurs séreuses de haut grade prennent naissance dans la trompe de Fallope distale sont
convaincantes, et que l’ajout de la salpingectomie aux interventions susmentionnées n’entraîne qu’une hausse minime du risque de morbidité opératoire lorsqu’elle est pratiquée par un chirurgien formé, il n’existe présentement aucune donnée au niveau de la population permettant d’établir un ratio risque-bénéfice.

Dans ce contexte, la Société de gynéco-oncologie du Canada (GOC) appuie fortement les efforts visant à étudier, de manière prospective, l’effet que cette stratégie prometteuse et potentiellement significative pourrait avoir sur la réduction de risque au niveau de la population. La GOC soutient aussi les efforts visant à aborder la mise en œuvre sécuritaire de cette stratégie. D’ici là, cependant, la GOC recommande que les femmes et/ou les médecins intéressés par la salpingectomie bilatérale prophylactique en tant que stratégie de réduction
des risques en ce qui concerne le cancer de l’ovaire séreux devraient aborder une discussion claire des risques et des avantages de cette stratégie, en fonction des données actuelles. Les risques possibles associés à une chirurgie additionnelle versus l’absence d’intervention au niveau des trompes de Fallope devraient être évalués en fonction des bienfaits possibles de la salpingectomie bilatérale prophylactique chez les femmes devant subir une intervention chirurgicale pour d’autres indications.

  1. Comité directeur de la Société canadienne du cancer. Statistiques canadiennes sur le cancer 2010, Toronto : Société canadienne du cancer, 2010.
  2. Buys SS, Partridge E, Black A, Johnson CC et coll. « Effect of screening on ovarian cancer mortality: the Prostate, Lung,
  3. Colorectal and Ovarian (PLCO) Cancer Screening Randomized Controlled Trial », JAMA, vol. 305, n° 22, 8 juin 2011, p. 2295-303.
  4. Auersperg N, Wong AS, Choi KC, Kang SK, Leung PC. « Ovarian surface epithelium: biology, endocrinology, and pathology », Endocr Rev., vol. 22, n° 2, avril 2001, p. 255-288.
  5. Shaw P, Rouzbahman M, Murphy J et coll. « Mucosal epithelial proliferation and p53 over expression are frequent in women with BRCA mutations (Abstract) », Mod Pathol, vol. 17 (suppl. 1), 2004, p. 214A.
  6. Crum CP, Drapkin R, Kindelberger D et coll. « Lessons from BRCA: the tubal fimbria emerges as an origin for pelvic serous cancer », Clin Med Res, vol. 5, mars 2007, p. 3544.
  7. Lee Y, Miron A, Drapkin R et coll. « A candidate precursor to serous carcinoma that originates in the distal fallopian tube », J Pathol, vol. 211, janvier 2007, p. 2635.
  8. Medeiros F, Muto MG, Lee Y et coll. « The tubal fimbria is a preferred site for early adenocarcinoma in women with familial ovarian cancer syndrome », Am J Surg Pathol, vol. 30, 2006, p. 230236.
  9. Lee Y, Miron A, Drapkin R, Nucci MR, Medeiros F, Saleemuddin A et coll. « A candidate precursor to serous carcinoma that originates in the distal fallopian tube », J Pathol, vol. 211, n° 1, 2007, p. 26-35.
  10. Crum CP, Drapkin R, Kindelberger D, Medeiros F, Miron A, Lee Y. « Lessons from BRCA: the tubal fimbria emerges as an origin for pelvic serous cancer », Clin Med Res, vol. 5, n° 1, 2007, p. 35-44.
  11. Salvador S, Gilks B, Köbel M , Huntsman D, Rosen B, Miller D. « The fallopian tube: primary site of most pelvic high-grade serous carcinomas », Int J Gynecol Ca, vol. 19, n° 1, juin 2009, p. 58-64.
  12. Karst AM, Levanon K, Drapkin R. « Modeling high-grade serous ovarian carcinogenesis from the fallopian tube », Proc Natl Acad Sci U S A, vol. 108, n° 18, 3 mai 2011, p. 7547-52. Publication électronique : 18 avril 2011.
  13. Rebbeck TR, Lynch HT, Neuhausen SL et coll. « Prophylactic oophorectomy in carriers of BRCA1 or BRCA2 mutations », N Engl J Med, vol. 346, n° 21, 23 mai 2002, p. 1616-22. Publication électronique : 20 mai 2002.
  14. Rutter JL, Wacholder S, Chetrit A et coll. « Gynecologic surgeries and risk of ovarian cancer in women with BRCA1 and BRCA2 Ashkenazi founder mutations: an Israeli population-based case-control study », J Natl Cancer Inst, vol. 95, n° 14, 16 juil. 2003, p. 1072-8.
  15. Domchek SM, Friebel TM, Neuhausen SL et coll. « Mortality after bilateral salpingo-oophorectomy in BRCA1 and BRCA2 mutation carriers: A prospective cohort study », Lancet Oncol, vol. 7, mars 2006, p. 223-229.
  16. Finch A, Beiner M, Lubinski J, Lynch HT et coll. « Salpingo-oophorectomy and the risk of ovarian, fallopian tube, and peritoneal cancers in women with a BRCA1 or BRCA2 Mutation », JAMA, vol. 296, n° 2, 12 juil. 2006, p. 185-192.
  17. Indicateurs de santé 2010 : http://secure.cihi.ca/cihiweb/products/Healthindicators2010_md_fr.pdf.
  18. Kurman R, Shih I. « Molecular pathogenesis and extraovarian origin of epithelial ovarian cancer—Shifting the paradigm », Human Pathology, vol. 42, janvier 2011, p. 918-931.

 
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