Biologie médicale libérale : chronique d’une mort annoncée

En 1975, une Loi a encadré l’activité de biologie médicale en France. Les biologistes ont été la première profession médicale à organiser la mise en place d’un contrôle qualité national de leurs analyses.
Toujours dans le but d’une amélioration de leurs pratiques, en 1994 les biologistes ont mis en place un Guide de Bonne Exécution des Analyses (GBEA) de biologie médicale. Le respect de ce GBEA devait être contrôlé par les inspecteurs de l’ARS, ce qui était difficile en pratique à cause du manque de moyen des mêmes ARS.
En 2006, un rapport à charge de l’IGAS faisait un tableau assez catastrophique de la biologie médicale en France. À la suite de ce rapport, une Loi (2010) a modifié l’organisation de la biologie médicale en France, obligeant les laboratoires à être accrédités selon une norme Européenne (ISO 15189) à 100% de leurs analyses à l’horizon 2020. Le contrôle de l’application de cette norme revenant au Comité Français d’Accréditation (COFRAC) avec la mise en place d’évaluations régulières (tous les ans puis tous les 18 mois) par une équipe d’évaluateurs composée de qualiticiens et de biologistes de terrain.
On passait ainsi d’un contrôle du GBEA par les ARS donc à la charge de l’Etat à un contrôle par le COFRAC à la charge des laboratoires.
On est également surpris de cette obligation du rythme de répétition des contrôles d’accréditation des laboratoires alors que les contrôles de la certification des établissements de santé ne sont diligentés qu’avec des délais beaucoup plus longs ; et ceci sans confondre accréditation et certification. Y aurait-il plus de risques dans le fonctionnement des laboratoires de biologie que dans la prise en charge des patients dans les établissements de santé ?

Devant cette obligation d’accréditation, beaucoup de biologistes libéraux ont eu peur et ont vendu leurs laboratoires à des structures financières qui, trop contentes de l’aubaine permettant de développer des réseaux de laboratoires, ont proposé des prix alléchants, déconnectés de la réalité.
Au final, cette obligation d’accréditation à 100% a été un échec pour plusieurs raisons :

  • une augmentation importante de la bureaucratie, de la paperasserie et des obligations de réunions qui ont éloigné les biologistes de leurs patients et des prescripteurs qui leurs faisaient confiance,
  • l’abandon par beaucoup de laboratoires d’examens rarement réalisés à cause d’un ratio coût accréditation/ surcoût de l’analyse trop faible ; ces examens pouvant néanmoins rendre service aux prescripteurs,
  • un regroupement des laboratoires rachetés par les financiers avec la mise en place d’un plateau technique unique, parfois très éloigné de certains sites de prélèvement, empêchant le médecin d’avoir un résultat rapidement pour une décision de prise en charge de son patient et entrainant dans de nombreux cas l’envoi directement du patient vers un centre hospitalier à la place d’une prise en charge efficace en ville,
  • un manque de biologistes, trop occupés dans leurs laboratoires entre autres justement pour mettre en place l’accréditation, pour réaliser les évaluations devant être faites par le COFRAC,
  • un manque criant de biologistes dans les laboratoires dégradant les services rendus aux patients et les échanges avec les prescripteurs,
  • une désertion des étudiants en médecine et en pharmacie vers la spécialité de biologie médicale, de nombreux postes de biologie n’étant plus choisis à l’Internat.

L’impossibilité par le COFRAC de réaliser la totalité des demandes d’accréditation des laboratoires a entrainé un report de la date de 2020 puis une modification de ne plus accréditer la totalité des examens réalisés par le laboratoire, mais seulement des examens représentatifs d’une technique. 
Le manque de biologistes arrange d’ailleurs certains investisseurs qui insistent auprès des pouvoirs publics pour qu’il n’y ait plus obligation d’un biologiste par site de laboratoire, diminuant ainsi le coût lié à la rémunération de ces biologistes et augmentant la rentabilité de leurs structures.

Tout ceci entraine une dérive vers une biologie industrielle, sans biologiste, et avec une notable diminution de la qualité du service rendu aux patients et aux médecins prescripteurs.

Devant cet état des lieux, une majorité de syndicats de biologistes médicaux (SJBM, SNMB, FNSIP-BM, SLBC, CNPBM, SNMBCHU, SDB, FNSPBHU, SBH) appellent dans une lettre du 8 juillet 2020 à « une remise à plat radicale du processus d’accréditation imposé par le COFRAC »

Pour paraphraser un ancien Président de la République : « arrêtez d’emmerder les biologistes ».
La crise sanitaire liée à la pandémie du COVID 19 a clairement montré l’efficacité des biologistes français pour mettre en place une organisation permettant de répondre à la demande d’un afflux de tests PCR de détection du virus pour essayer de limiter cette pandémie dans notre pays, et ceci sans que de nombreux laboratoires soient forcément accrédités pour cette technique.