Corticothérapie prénatale préventive : existe-t-il des conséquences neuro-développementales au long terme ?

Introduction et problématique

 

La prématurité constitue un enjeu de santé publique mondial, en raison du risque de séquelles neurologiques, mentales ou physiques qu’elle peut engendrer.

L’actions bénéfiques des corticoïdes anténataux dans la prévention du risque d’accouchement prématuré est indiscutable au court terme. Ils diminuent le risque de mortalité néonatale et de morbidité tel que la maladie des membranes hyalines, les hémorragies intra-ventriculaires, et les entérocolites ulcéro-nécrosantes. 

Cependant, des données scientifiques actuelles suggèrent de possibles effets néfastes neuro-développementaux au long terme (enfance/âge adulte), dans certaines conditions d’utilisation de ce traitement préventif.

 

Données concernant l’utilisation des corticoïdes (CTC)

 

Il existe actuellement deux corticoïdes de synthèse dont l'efficacité sur la maturation pulmonaire fœtale a été démontrée : la bétaméthasone, au nom commercial Célèstène chronodose® 5,70 mg/ml, suspension injectable et la dexaméthasone.

 

Les schémas posologiques les plus fréquemment utilisés consistent en 2 injections intra-musculaire (IM) de 12 mg à 24h d’intervalle pour la bétaméthasone et en 4 injections IM de 6 mg à 12h d’intervalle pour la dexaméthasone.

 

Les données sur l’efficacité́ comparative de la dexaméthasone et de la bétaméthasone ne sont pas suffisamment concluantes pour permettre de formuler une recommandation en faveur de l’un ou l’autre de ces corticoïdes (1)(20).

Toutefois une préférence pour la béthaméthasone est suggérée par ses effets bénéfiques sur la réduction de la mortalité et des leucomalacies péri-ventriculaires non démontrée par l’utilisation de la dexaméthasone (2).

 

La corticothérapie prénatale est recommandée chez les femmes présentant une menace d’accouchement prématuré́ à partir du seuil de viabilité fœtale, autour de 24 SA (variable selon les protocoles de services) et 34 semaines de grossesse lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  • L’estimation de l’âge gestationnel peut être réalisée précisément
  • L’accouchement prématuré est considéré́ comme imminent
  • Il n’y a pas de preuve clinique d’infection maternelle
  • Les soins adéquats sont disponibles pendant l’accouchement (notamment la capacité́ reconnaitre et prendre en charge en toute sécurité́ le travail et l’accouchement prématurés) (1).

 

La corticothérapie prénatale devrait être administrée systématiquement entre 24 semaines de grossesse et 34+6 semaines d’aménorrhée lorsque l’on s’attend à ce que l’accouchement se produise dans les sept jours (1)(3).

 

Conséquences des CTC administrés pendant la période pré-terme (34 SA – 36 SA + 6 jours) :

 

Il n’est pas recommandé d’administrer une corticothérapie prénatale chez les femmes ayant une menace d’accouchement ou une césarienne programmée entre 34 et 36 SA et 6 jours (période pré-terme).

En effet, des données suggèrent chez les prématurés tardifs de possibles effets nocifs neuro-développementaux, ainsi qu’un risque accru d’hypoglycémie néonatale (3)(4).

L’hypoglycémie néonatale pouvant être associée à un retard développemental vers l’âge de quatre ans (5).

En effet, ce traitement est associé à des modifications de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien persistant les 8 premières semaines de vie et possiblement à une augmentation des insulino-résistances à l’âge adulte (6).

Il n’existe cependant pas de seuil critique d’exposition à l’hypoglycémie néonatale connu, pour définir l’augmentation du risque de morbidité neuro-développementale (4).

 

Conséquences des CTC administrés pour césarienne avant travail à terme

 

Les facteurs hormonaux et mécaniques engendrés par le travail participent à la maturation pulmonaire chez le fœtus. Les conséquences respiratoires chez les nouveaux-nés nés à terme avant travail et avant 39 SA sont connus. Ils présentent notamment un risque majoré de morbidité respiratoire avec plus d’admissions en unité de soins de réanimation (8).

De ce constat, l’intérêt d’une cure de corticoïdes à terme pour césarienne avant travail a été formulé. Cependant les bénéfices semblaient plus faibles que les risques au vu de l’âge gestationnel relativement avancé.

Des effets potentiellement néfastes des CTC semblent être plus prononcés s’ils sont administrés en fin de grossesse, lorsque le taux de croissance fœtal est plus élevé, et donc plus sensible aux effets cataboliques des stéroïdes.

Certaines études ont montré des améliorations minimes du syndrome de détresse respiratoire chez ces nourrissons traités (9), tandis qu’une autre étude a soulevé des baisses significatives des aptitudes scolaires des enfants entre 8 et 15 ans, ayant été exposés à la bétaméthasone pour césarienne avant travail à terme comparativement à un groupe de femmes césarisées pour le même motif, ayant reçu un placebo (7). A noter qu’il n’existait pas de différence significative entre ces deux groupes, concernant le comportement et la santé globale de ces enfants.

Ces résultats sont toutefois à interpréter avec prudence en raison d’une part non négligeable d’enfants perdus de vue, ce qui diminue la fiabilité de ces résultats.

Ainsi, une césarienne programmée ne devrait normalement pas être pratiquée avant 39 SA (1)(3), les risques respiratoires à ce terme étant moindre, et les conséquences au long terme encore incertaines.

 

CTC : doses répétées versus dose unique

 

Le terme « doses répétées » désigne un traitement de corticoïdes administrés à intervalles réguliers, après qu’une cure complète ait déjà été effectuée pendant la grossesse.

 

Effets au court terme

 

La revue de la Cochrane (2015) recensant 10 essais cliniques (soit 5700 nouveau-nés au total) évaluant la répétition de cures de CTC chez des femmes enceintes, a fait état d’une diminution du syndrome de détresse respiratoire et des gestes d’intervention (ventilation mécanique, supplémentation en oxygène, utilisation de surfactant…) chez les nouveau-nés ayant reçu plusieurs cures de CTC, comparativement aux femmes ayant reçu un traitement unique (11) Cependant, il est important de noter que selon la grande étude MACS, les syndromes de détresses respiratoires graves des nouveau-nés étaient comparables dans les groupes « traitements répétés » et « traitements uniques » (21) Les taux de morbi-mortalité ne différaient pas de manière générale entre les deux groupes.

 

De plus, ces deux études indiquent en parallèle, une réduction significative du poids de naissance et du périmètre crânien des enfants ayant reçu des cures de CTC répétées comparativement aux autres, sans amélioration majeure du devenir néonatal.

 

Effets au moyen/long terme

 

L’étude MACS-5 (2014) a comparé l’effet de cures répétées de corticoïdes avec une seule cure, dans trois groupes d’âge gestationnel de naissance différents (inférieure 30 SA, entre 30 et 36 SA + 6 jours et 37 SA ou plus) sur une population de 1728 enfants étudiés à 5 ans de vie. (10)

Il n’a pas été observé de différences significative dans les deux premiers groupes (accouchement avant 30 SA, ou entre 30 et 36 SA). Cependant, le taux de décès et de déficiences graves (neuro-motrices, neuro-sensorielles, et neuro-cognitives) était significativement plus fréquent dans le groupe des enfants nés à terme, ayant reçu plusieurs cures de corticoïdes durant la grossesse, comparativement à un groupe d’enfant nés à terme n’ayant pas reçu de corticoïdes (car non concernés par une menace d’accouchement prématuré), ce qui dénote un effet délétère potentiel des corticoïdes dans cette situation (13).

 

L’essai ACTORDS (2016) s’intéressant au suivi sur 6 à 8 ans des enfants, ne montre quant à lui aucune différence significative entre les doses de corticoïdes hebdomadaires et les traitements uniques sur le taux de survie sans déficits, le quotidien intellectuel, les déficiences neuro-sensorielles, la paralysie cérébrale, la fonction pulmonaire, le recours aux services de santé, la santé osseuse, et les facteurs de risque de maladie cardio-vasculaires et métaboliques. Cependant des déficits de l’attention (faibles notes dans la mémoire et dans l'apprentissage) ainsi que des dysfonctionnements comportementaux ont été constatées de manière presque significative (p=0,05) chez les enfants ayant reçu des cures répétées de CTC (14).

 

La revue de la Cochrane (2017), indique qu’un seul traitement n’a pas d’effet important sur le retard de développement et la paralysie cérébrale chez l’enfant (12).

Une méta-analyse plus ancienne (2006) n’a également retrouvé aucune augmentation des troubles de l’apprentissage ou du comportement chez les enfants traités, aucune variation significative des paramètres anthropométriques (poids, taille, périmètre crânien), et aucune altération des fonctions pulmonaires, visuelles et auditives. Seule une tendance était notée en faveur d’une diminution du taux d’IMC (15).

De même une autre étude en 2005 rapportait le suivi à 30 ans d’une cohorte de 192 enfants nés entre 1969 et 1974, de mères ayant reçu pour moitié une cure de béthaméthasone et pour l’autre moitié un placebo. A 30 ans, aucune différence significative n’était retrouvée entre les deux groupes concernant les fonctions cognitives et les troubles du comportement. Une tendance à la diminution de la fréquence des difficultés de langage était constatée dans le groupe traité (16).

De même Sotiriadis et al. (2015), montrent que les enfants n’ayant reçu qu’une seule cure de corticoïdes présentent une incidence réduite de paralysie cérébrale et de déficience grave ainsi qu’un taux accru de survie sans séquelles (17). Cette étude souligne toutefois certaines limites concernant le suivi de longues durée et le degré faible de certitude quant aux effets de la corticothérapie prénatale au long terme.

Ces données ne remettent pas en question la réduction de la mortalité et de la morbidité néonatale grave, grâce au traitement préventif. De manière générale les données disponibles montrent plus de bénéfices que de risques lorsque ce traitement est administré aux femmes présentant une menace d’accouchement prématuré élevée entre 24 SA et 34 SA + 6 jours (3)

 

Quand administrer le traitement ? 

 

Les données de la littérature suggèrent que la corticothérapie anténatale a un effet optimal dans la prévention de la prématurité, lorsque celle-ci est administrée 1 à 7 jours avant la naissance (NP2).

L’étude de Melamed et al., montre notamment un taux d’issues défavorables (mortalité néonatale, dysplasie broncho-pulmonaire, hémorragie intraventriculaire de grade 3–4, leucomalacie périventriculaire et rétinopathie de stade supérieur ou égal à 3) plus élevé lorsque la corticothérapie est administrée moins de 24 heures ou plus de 7 jours après l’accouchement. (18)

 

Selon plusieurs études, il est recommandé de renouveler la corticothérapie prénatale une seule fois si l’accouchement prématuré n’est pas survenu dans les 7 jours après le traitement initial et si un examen clinique ultérieur révèle une menace élevée d’accouchement prématuré dans les 7 jours à venir (1,19, 22,23).

 

Conclusion
Les données actuelles suggèrent de privilégier une cure unique à une cure multiple de corticoïdes en raison du pronostic neuro-développemental au long terme encore incertain à ce jour.

Les cures de corticoïdes au-delà de 34 SA et avant terme, ainsi que dans un contexte de césarienne avant travail à terme ne sont pas non plus recommandés pour les mêmes raisons.

Si une menace d’accouchement prématuré est faible, il est très probable que les méfaits des corticoïdes soient plus importants que les bénéfices (exemple : pas de contractions et col court, ou contractions mais longueur cervicale normale ou stable, période pré-terme …etc).
Les données de la littérature concernant la corticothérapie anténatale en dose unique sont globalement rassurantes, et semblent exclure tout trouble cognitivo-comportemental au long terme.

Par ailleurs, l’efficacité de la cure de corticoïdes est optimale lorsque la naissance se produit 1 à 7 jours après le début du traitement.

Les données que nous avons développées à propos des conséquences potentielles des corticoïdes ne remettent pas en cause le rapport bénéfices/risques largement en faveur d’une corticothérapie anténatale, lorsqu’une menace d’accouchement prématurée est sévère et/ou imminente entre 24 et 34 semaines d’aménorrhée.

Cependant, l’utilisation de ce médicament ne semble pas sans conséquence, ce qui rappelle au clinicien l’importance du diagnostic lors d’une menace d’accouchement prématuré.

La mise en place d’une cure de corticoïdes doit ainsi être discutée au cas par cas et de façon collégiale. Le degré de gravité de la menace d’accouchement prématuré ainsi que le degré de certitude de l’âge gestationnel doivent être estimés, afin que les mères concernées reçoivent des corticoïdes et que les traitements non nécessaires soient évités.

D’autres essais à plus grande échelle nécessitent d’être mis en place pour réévaluer les répercussions potentielles des corticoïdes sur l’enfant et l’adulte afin d’appuyer ou non les données actuelles de la littérature.

 

Bibliographie

  1. https://www.mcsprogram.org/wp-content/uploads/2016/03/WHO-PTB-Briefer-Fr.pdf
  2. http://www.cngof.fr/pratiques-cliniques/recommandations-pour-la-pratique-clinique/apercu
  3. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1701216318305668
  4. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0002937816303623
  5. https://pediatrics.aappublications.org/content/130/2/
  6. https://fn.bmj.com/content/98/3/F195
  7. https://www.bmj.com/content/336/7635/85
  8. https://www.tandfonline.com/doi/full/10.3109/14767058.2014.958461
  9. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25123162
  10. https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD003935.pub4/abstract
  11. https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD004454.pub3/abstract
  12. https://books.google.fr/
  13. https://pediatrics.aappublications.org/content/138/4/e20160947
  14. Roberts D. Antenatal corticosteroids for accelerating fetal lung maturation in women at risk of preterm birth (Review). 2006 [The Cochrane Library]
  15. Dalziel SR, Lim VK, Lambert A, et al. Antenatal exposure to betamethasone: psychological functioning and health related quality of life 31 years after inclusion in randomised controlled trial. BMJ 2005;331:665
  16. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26000510
  17. https://insights.ovid.com/crossref?an=00006250-201506000-00017
  18. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ppul.23711
  19. http://base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr/affichageDoc.php?specid=68791304&typedoc=N
  20. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0140673608619297
  21. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0002937809001033
  22. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0002937810000682