Nouvelle loi de bioéthique : une loi innovante mais inapplicable ?

Quelles répercussions sur l’accès aux soins des patients suite à l’interdiction des pratiques nouvelles aux centres privés français ?

Docteur Silvia ALVAREZ
Participant au Collectif des Centres  Privés en AMP français,
au Groupe SARS COV 2 à l'ABM et au Comité de suivi de la Loi de Bioéthique

La révision de la loi de Bioéthique de 2021 et de la règlementation associée a été une occasion pour ouvrir un certain nombre de droits aux femmes. Selon le texte elle devra être révisée un an plus tard soit au cours de l'été 2022.    

L'Assistance Médicale à la Procréation (AMP ou PMA), par don de gamètes, via l'insémination intra-utérine (IIU), ou via la fécondation in-vitro (FIV), est autorisée depuis le
28 septembre 2021 aux couples de femmes et aux femmes non mariées ainsi que la « congélation sociétale » (congélation pour raisons non médicales) des ovocytes.

Cela étant, ces autorisations de don d'ovocytes, de don du sperme et de congélation des ovocytes pour raisons non médicales sont limités aux centres d’AMP publics et privés à but non lucratifs, mais interdites dans les centres privés libéraux. L’activité d’auto-conservation des gamètes pour raison non médicales pourrait être autorisée dans les centres privés d’une région, par dérogation, à condition qu’il n’y ait pas de centres publics autorisés pour cette activité dans cette même région.

L’exclusion permanente des centres privés libéraux de ces activités entraine :

  • une difficulté de l'accès aux soins des femmes non mariées, et des couples de femmes autorisés par cette nouvelle loi,
  • une absence de diminution du tourisme médical européen existant actuellement,
  • la continuité en France des activités d’inséminations intra-utérines pourtant non autorisées car réalisés avec des spermes de donneurs venant d’autres pays  comme le Danemark et la Norvège.

Ainsi, les possibilités d’accès à l’AMP, que les femmes homosexuelles et non mariées ont attendu depuis des années est difficile à concrétiser dans les faits malgré le vote de la Loi.

Les délais d’accès à la PMA pour ces femmes varient en fonction des Centres de 6-9 mois à 3 ans et rendent difficile la prise en charge de la majorité des femmes sur le territoire national.

La nécessité éventuelle d'un double don (don d'ovocytes et don de sperme) peut allonger encore plus ces délais.

En pratique moins de 30 Centres de dons de gamètes existent sur le territoire et en fonction du lieu de résidence, aucune des femmes n'aura accès dans les mêmes délais au premier rendez-vous.

En refusant l'ouverture des Centres d'AMP privés à la gestion des dons de gamètes et en interdisant l'import de gamètes pourtant donnés et recueillis dans des conditions semblables à celles réunies en France, le législateur a fait preuve de peu de discernement.

 On mesure aujourd'hui les conséquences directes de ces choix sur les délais d'attente. Les centres publics doivent faire face à une demande importante des femmes homosexuelles et non mariées, en pratique bien plus importante que ce qui était attendu ainsi qu’à des demandes très nombreuses de congélations des ovocytes pour des raisons non médicales. L’interdiction d’autorisation des centres privés libéraux pour ces activités est illogique puisque ces mêmes centres réalisent depuis des années des congélations de gamètes dans le cadre de l’AMP intra-conjugale et seraient donc en capacité de réaliser les actes autorisés par la nouvelle Loi de Bioéthique et ainsi de mieux répondre aux demandes des patientes.

De par ces délais, nombreuses seront ces femmes qui vont continuer à se rendre hors de France, notamment en Espagne ou en Belgique (dans des centres privés) pour avoir accès à un projet parental dans un délai raisonnable.

La plupart des femmes au-delà de 40 ans (voir de 38 ans) se voient refuser la prise en charge en France alors que la Loi autorise cette prise en charge jusqu’à 43 ans.

Ainsi l'interdiction des centres privés français participe à la continuité de ce tourisme médical vers des centres privés européens, d'autant plus choquant que la prise en charge du don dans ces centres privés est remboursée en partie par la France.

Le législateur a peur de la marchandisation de ces activités par les centres privés ? La réalité des pratiques des centres privés en France depuis 40 ans ne montre aucun dérapage. Les centres privés français remplissent les mêmes obligations de formations, de diplômes des professionnels et de contrôles des activités que les centres publics. Ils participent aux mêmes sociétés savantes, aux mêmes instances de l’Agence de la Biomédecine et réalisent plus de la moitié des tentatives d’AMP intraconjugales en France.

Ainsi l'interdiction de pratique des centres privés français par le législateur pour les activités de dons de gamètes et de congélation des ovocytes pour raisons non médicales est contraire à liberté d'exercice et constitue une action discriminante à la fois pour les professionnels mais surtout pour les patientes dans leur accès aux soins.

L'avis du conseil d'État et du Conseil National de l’Ordre des Médecins serait nécessaire afin de confirmer la validité juridique de l'exclusion par le législateur dans la nouvelle Loi de Bioéthique des centres privés libéraux en AMP pour les activités de dons et de congélation des ovocytes.

Nous pensons également que les associations des patientes devraient participer à manifester leurs difficultés d’accès à ces soins sur le terrain, et qu’une action conjointe avec les professionnels de l'AMP permettrait de sortir de cette situation et rendre la Loi de Bioéthique réellement applicable.

 

 
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