Ganglion sentinelle et cancer de l’endomètre

Introduction

            Le cancer de l’endomètre est le cancer gynécologique le plus fréquent avec en France en 2005, près de 6000 nouveaux cas étaient observés (1). Le pronostic global est favorable principalement liée à un diagnostic précoce dans plus de 70% des cas et à la prédominance du type histologique endométrioïde (type I), le pronostic reste plus réservé pour les patientes ayant un cancer de type 2 (cellules claires, papillaires séreux ou carcinosarcomes) (2-4).

            Parmi les facteurs pronostiques, l’envahissement myométrial est un facteur indépendant retrouvé par la plupart des publications avec comme seuil péjoratif un envahissement du myomètre supérieur à 50% pris en compte dans la classification de la Fédération Internationale de Gynécologie Obstétrique (FIGO) en 2009 (5-9). L’envahissement ganglionnaire constitue également un facteur pronostique mais le bénéfice d’une évaluation systématique du statut ganglionnaire par une lymphadénectomie a été remis en cause pour les patientes ayant un stade précoce. Ainsi les recommandations de l’Institut National du Cancer (INCa) (10) en 2010 proposaient, pour les patientes à risque élevé (stade IB grade 3 de type 1 histologique, ou les stades IA-B de type 2 histologique), une lymphadénectomie pelvienne et lombo-aortique. Pour les patientes à risque bas (stade IA grade 1-2 de type 1 histologique) et pour les patientes à risque intermédiaire (stade IA grade 3 de type 1 histologique et de stade IB grade 1-2 de type 1 histologique) l’INCa ne recommandait pas de lymphadénectomie. Pourtant dans les groupes à risque bas ou intermédiaire, certaines patientes ont un envahissement ganglionnaire et pourraient bénéficier d’une thérapeutique adjuvante. De ce fait, il existe un risque principalement de sous traitement si l’indication de traitement adjuvant est fondé sur des critères reposant exclusivement sur l’analyse de la pièce d’hystérectomie.
 

Evaluation du statut ganglionnaire dans le cancer de l’endomètre de stades précoces.

            Il existe une relation entre l’envahissement myométrial et le risque de métastases ganglionnaires (5-8). De ce fait, il semble logique de prendre en compte le stade présumé du cancer de l’endomètre apprécié par l’IRM comme critère pour recommander une évaluation ganglionnaire. Cependant, dans un quart des patientes, il existe une discordance entre le stade présumé à l’IRM et les résultats histologiques. Dans ce contexte pourrait se discuter l’apport de l’examen histologique en extemporané pour rattraper l’imprécision de l’IRM préopératoire. Cependant, Frumovitz et coll (11) soulignaient la persistance de discordances atteignant 27% des cas entre l’évaluation préopératoire, tant concernant l’histologie (type histologique et grade) que l’infiltration myométriale appréciée par l’IRM, et les données de l’examen histologique en extemporané et en histologie définitive. Dans une méta-analyse comparant les différents outils pour évaluer le statut ganglionnaire dans le cancer de l’endomètre, Selman et coll (12) rapportaient que le taux de vraissemblance positif et négatif pour le scanner, l’IRM et la procédure du ganglion sentinelle étaient de 3,8 (intervalle de confiance (IC) :2-7,3) et 0,62 (IC :0,45-0,86), 26,7 (IC :10,67,6)  et 0,29 (IC :0,17-0,49), et 18,9 (IC :6,7-53,2) et 0,22 (IC :0,1-0,48), respectivement. Ces résultats soulignaient la pertinence de la procédure du ganglion sentinelle.

Rôle du ganglion sentinelle

Dans l’étude multicentrique française senti-endo (13) évaluant le ganglion sentinelle (GS) dans le cancer de l’endomètre de stades précoces, le taux de détectionpar hémi-pelvis droit et gauche étaient de 77% (IC 95%: 69% à 83%) et 76% (IC 95%: 68% à 83%), respectivement. Aucun GS n’a été détecté chez 14 des 125 patientes. Le taux de détection par patiente était de 89% (IC 95%: 82% à 93%). Des GS lombo-aortique ont été détectés chez cinq patients (4,5%) qui avaient toutes une détection pelvienne associée. Le nombre médian de GS détectés et prélevés par hémipelvis droit et gauche étaient de 1 (0 à 6) et 1 (0 à 5), respectivement. Le nombre médian de GS détectés et prélevés au niveau lomboaortique était de 2. Parmi les patientes avec au moins 1 GS détecté au niveau pelvien, la détection était unilatérale dans 34 cas (31%) et bilatérale dans 77 cas (69%).

Des métastases ganglionnairespelviennes ont été observées chez 20/125 patientes (16%). Parmi les 111 patientes ayant au moins 1 GS détecté, 19 avaient des métastases ganglionnaires (17%). Considérant l'objectif principal du protocole (hémipelvis droit et gauche comme unité), aucun cas de faux négatifs n’a été observé; la sensibilité et la VPN était de 100%. Considérant l'objectif secondaire (VPN par patiente), 3 patientes avaient des GS négatifs avec au définitif des métastases ganglionnaires correspondant à trois cas de faux négatifs. Les ganglions métastatiques ont été identifiés sur le curage pelvien controlatérale (sans détection de GS) chez deux patientes et dans le curage lombo-aortique chez une patiente.

Parmi les16 patientes avec GS positif à l'histologie définitive, les ganglions non sentinelles (GNS) étaient négatifs dans 14 cas (88%) et métastatiques dans 2 cas (12%). A l’histologie définitive, 8/16 patientes (50%) avec un GS positif avaient des macrométastases diagnostiquées par coloration standard dans 7 cas et par IHC dans un cas. Parmi les huit patientes restantes (50%), 7 (44%) avaient des micrométastases et une (6%) des cellules tumorales isolées toutes diagnostiquées par IHC. Aucune des 8 patientes avec des micrométastases ou des cellules tumorales isolées au niveau du GS pelvien n’avait de GNS positifs. Par conséquent, l'IHC a permis de détecter des métastases qui n'avaient pas été diagnostiquées par l’histologie conventionnelle chez 9 des 111 (8%) patientes avec une détection et 9 des 19 (47%) patientes avec des métastases ganglionnaires.

Parmi les 125 patientes incluses dans le protocole, le grade tumoral était disponible à l'histologie préopératoire dans 82 cas (66%). Parmi les 38 patientes avec des tumeurs de grade 1, 11 (29%) avaient un grade 2 ou 3 à l'histologie définitive. Parmi les 107 patientes ayant un cancer de l'endomètre de type 1, 8 (7%) avaient un type 2 à l’histologie définitive.

Le grade tumoral postopératoire n'était pas disponible pour 4 patientes. Par conséquent, le nombre de patientes à risque faible, intermédiaire ou élevé était de 57, 33 et 16, respectivement. Parmi les 57 patientes à risque faible, 6 (11%) avaient des métastases ganglionnaires au niveau des GS et tous les GNS étaient négatifs à l'histologie définitive. Parmi les 33 patientes à risque intermédiaire, 5 (15%) avaient des métastases ganglionnaires au niveau des GS pelviens et tous les GNS étaient négatifs à l'histologie définitive. Pour les cancers de l'endomètre de type 1, la VPN par patiente était de 100% (IC 95%, 95% à 100%). Parmi les 16 patientes à haut risque, 8 (50%) avaient des métastases ganglionnaires. Cinq d'entre elles avaient des GS positifs (71%), et trois avaient des ganglions métastatiques dans l’hémipelvis sans détection. Parmi les 3 patientes ayant un cancer de type 1 (stade IB, grade 3), 2 avaient des métastases ganglionnaires au niveau des GS pelviens avec des GNS métastatiques dans la région pelvienne (1 cas) et la région lombo-aortique (1 cas). Les trois patientes correspondant aux faux négatifs avaient un cancer de l’endomètre de type 2 avec une invasion de plus de 50% du myomètre.

            Si l’on se réfère aux deux essais randomisés et à la méta-analyse colligeant ces deux essais (14-16), il semble que la réalisation d’une lymphadénectomie systématique pelvienne ne se justifie pas du fait de l’absence d’impact sur la survie sans récidive et la survie globale. Cependant, comme le prouve l’étude senti-endo (13), un nombre non négligeable de patientes à risque bas ou intermédiaire présentaient des métastases et donc auraient été sous traitées. Si la valeur pronostique des micrométastases reste un sujet de débat malgré des données prouvant une relation entre le risque de récidive et leur présence, il convient de souligner que 8/16 patientes (50%) avec un GS positif avaient des macrométastases dont la valeur pronostique est indiscutable (17). Enfin, il convient de souligner la contribution de l’ultrastadification associant des coupes séries et l’analyse en IHC permettant de détecter 47% des patientes métastatiques. Les résultats de senti-endo sont tout à fait en accord avec les revues de la littérature sur la procédure du GS dans le cancer de l’endomètre (18,19). De plus, dans senti-endo, deux patientes ayant une micrométastase découverte sur le GS en pelvien ont bénéficié d’un curage lombo-aortique permettant d’identifier des métastases en sous rénal.

Les limites de la procédure du GS doivent être soulignées. Parmi celles-ci, le site d’injection du radiocolloïde et du bleu patenté est constamment discuté (20). En effet, l’injection cervicale ne représenterait pas le drainage lymphatique de la tumeur mais plutôt celui de l’organe. Cependant dans une méta-analyse colligeant 26 séries de cancer de l’endomètre avec procédure du GS, Kang et coll (19) retrouvaient un taux de détection de 78% et une sensibilité de 93%. De plus, ces auteurs prouvaient que l’utilisation de la voie cervicale était associée à une augmentation du taux de détection comparé à la voie hystéroscopique ou la voie sous-séreuse et que la voie sous-séreuse était associée à une diminution de la sensibilité (19).

La morbidité propre de la procédure du GS comparée à la lymphadénectomie reste inconnue. Dans l’essai senti-endo aucune complication peropératoire n’a été rapportée liée à la procédure du GS (13). De même aucune laparoconversion n’a été attribuée à la procédure du GS. Cependant, il n’est pas possible d’exclure que la dissection liée à la détection des GS puisse retentir sur la formation de lymphocèle ou de lymphoedème. L’essai senti-endo ne permettra pas de répondre à cette question et seule une étude prospective comparant l’absence de lymphadénectomie à la procédure du GS permettra d’y répondre.

Les résultats de senti-endo montrent clairement que le GS n’est pas relevant pour les cancers de type 2 histologique et par analogie pour les cancers de type 1 de stade IB grade 3. Cependant, le nombre de patientes présentant un cancer endométrioïde stade IB grade 3 était trop faible pour conclure définitivement pour ce sous groupe de patientes.

En conclusion, les résultats de senti-endo soulignent clairement la contribution de la procédure du GS pour appréhender le statut ganglionnaire chez les patientes ayant un cancer de l’endomètre à risque faible ou intermédiaire. Ces résultats doivent contribuer à redéfinir les recommandations de l’INCa.

Remerciements à ceux qui ont participés à l’étude senti-endo.

Professeur Gil Dubernard, Professeur Fabrice Lécuru, Docteur Denis Heitz,

Professeur Patrice Mathevet, Professeur Henri Marret, Professeur Denis Querleu, Professeur François Golfier, Docteur Eric Leblanc et Professeur Roman Rouzier.

Références

  1. Belot A, Grosclaude P, Bossard N, Jougla E, Benhamou E, Delafosse P, Guizard AV, Molinié F, Danzon A, Bara S, Bouvier AM, Trétarre B, Binder-Foucard F, Colonna M, Daubisse L, Hédelin G, Launoy G, Le Stang N, Maynadié M, Monnereau A, Troussard X, Faivre J, Collignon A, Janoray I, Arveux P, Buemi A, Raverdy N, Schvartz C, Bovet M, Chérié-Challine L, Estève J, Remontet L, Velten M.Cancer incidence and mortality in France over the period 1980-2005. Rev Epidemiol Sante Publique. 2008; 56(3):159-75.
  2. Réseau Francim. Survie des patients atteints des cancers en France. Etude des registres de cancers de réseau Francim.Springer-Verlag ed. 2007
  3. Launoy G. Epidemiology of cancers in France. Rev Prat 2010;60(2):178-82
  4. Horner MJ, Ries LAG, Krapcho M, Neyman N, Aminou R, Howland N, Altekruse SF, Feuer EJ, Huang L, Mariotto A, Miller BA, Lewis DR, Eisner MP, Stinchcomb DG, Edwards BK (eds). SEER Cancer Statistics Review, 1975-2006, National Cancer Institute. Bethesda, MD, http://seer.cancer.gov/csr/1975_2006/, based on November 2008 SEER data submission, posted to the SEER web site 2009.
  5. Gil-Moreno A, Díaz-Feijoo B, Morchón S, Xercavins J.Analysis of survival after laparoscopic-assisted vaginal hysterectomy compared with the conventional abdominal approach for early-stage endometrialcarcinoma: a review of the literature.J Minim Invasive Gynecol. 2006;13(1):26-35.
  6. Gemer O, Arie AB, Levy T, Gdalevich M, Lorian M, Barak F, Anteby E, Lavie O.Lymphvascular space involvement compromises the survival of patients with stage I endometrial cancer: results of a multicenter study. Eur J Surg Oncol. 2007;33(5):644-7.
  7. Arndt-Mierckel H, Martin A, Briese V, Fietkau R, Gerber B, Reimer T. Transection of vaginal cuff is an independent prognostic factor in stage I endometrial cancer. Eur J Surg Onco 2008;34 (2):241-6
  8. Maggi R, Lissoni A, Spina F, Melpignano M, Zola P, Favalli G, Colombo A, Fossati R. Adjuvant chemotherapy vs radiotherapy in high-risk endometrial carcinoma: results of a randomised trial. Br J Cancer. 2006;95(3):266-71.
  9. Pecorelli S.  Int J Gynaecol Obstet. 2009 May;105(2):103-4. No abstract available. Erratum in: Int J Gynaecol Obstet. 2010;108(2):176.
  10. Recommandations professionnelles: cancer de l’endomètre. Institut National du Cancer. www.e-cancer.fr
  11. Frumovitz M, Singh DK, Meyer L, Smith DH, Wertheim I, Resnik E, Bodurka DC.Predictors of final histology in patients with endometrial cancer.Gynecol Oncol. 2004; 95(3):463-8.
  12. Selman TJ, Mann CH, Zamora J, Khan KS. A systematic review of tests for lymph node status in primary endometrial cancer. BMC Womens Health. 2008 5;8-17.
  13. Ballester M, Dubernard G, Lécuru F, Heitz D, Mathevet P, Marret H, Querleu D, Golfier F, Leblanc E, Rouzier R, Daraï E. Detection rate and diagnostic accuracy of sentinel-node biopsy in early stage endometrial cancer: a prospective multicentre study (SENTI-ENDO).Lancet Oncol. 2011;12(5):469-76.
  14. Benedetti Panici P, Basile S, Maneschi F, Alberto Lissoni A, Signorelli M, Scambia G, Angioli R, Tateo S, Mangili G, Katsaros D, Garozzo G, Campagnutta E, Donadello N, Greggi S, Melpignano M, Raspagliesi F, Ragni N, Cormio G, Grassi R, Franchi M, Giannarelli D, Fossati R, Torri V, Amoroso M, Crocè C, Mangioni C.Systematic pelvic lymphadenectomy vs. no lymphadenectomy in early-stage endometrial carcinoma: randomized clinical trial. J Natl Cancer Inst. 2008;100(23):1707-16.
  15. ASTEC study group, Kitchener H, Swart AM, Qian Q, Amos C, Parmar MK.Lancet. 2009 Jan 10;373(9658):125-36. Epub 2008 Dec 16. Erratum in: Lancet. 2009 May 23;373(9677):1764Efficacy of systematic pelvic lymphadenectomy in endometrial cancer (MRC ASTEC trial): a randomised study.
  16. May K, Bryant A, Dickinson HO, Kehoe S, Morrison J.Lymphadenectomyfor the management of endometrial cancer.Cochrane Database Syst Rev. 2010 Jan 20;(1):CD007585.
  17. Yabushita H, Shimazu M, Yamada H, Sawaguchi K, Noguchi M, Nakanishi M, Kawai M.  Occult lymph node metastases detected by cytokeratin immunohistochemistry predict recurrence in node-negative endometrial cancer.Gynecol Oncol. 2001;80(2):139-44.
  18. Bézu C, Coutant C, Ballester M, Feron JG, Rouzier R, Uzan S, Daraï E. Ultrastaging of lymph node in uterine cancers. J Exp Clin Cancer Res. 2010;29:5.
  19. Kang S, Yoo HJ, Hwang JH, Lim MC, Seo SS, Park SY.Sentinel lymph node biopsy in endometrial cancer: Meta-analysis of 26 studies.Gynecol Oncol. 2011;123(3):522-7.
  20. elpech Y, Coutant C, Darai E, Barranger E. Sentinel lymph node evaluation in endometrial cancer and the importance of micrometastases. Surg Oncol. 2008;17(3):237-45.