La baisse persistante de la natalité en France n’est plus une simple tendance statistique : elle devient un phénomène structurant qui interroge notre pratique clinique, notre organisation collective et, au-delà, la place que notre société accorde à la parentalité. Avec un indicateur conjoncturel de fécondité tombé à 1,59 enfant par femme en 2024, ; qui est son plus bas niveau depuis un siècle, la France entre dans une zone de vulnérabilité démographique inédite. Pour la communauté des gynécologues et obstétriciens, cette réalité n’est pas abstraite : elle se manifeste chaque jour dans nos consultations, nos maternités, nos centres d'AMP et nos services de néonatologie.
Le rapport de l’Académie nationale de médecine sur La natalité en France : mythes et réalités de la crise démographique ne lève aucune alarme sans fondement. Il révèle au contraire l’ampleur d’un paradoxe français : les femmes déclarent souhaiter en moyenne 2,27 enfants, mais n’en ont que 1,7. Autrement dit, notre société ne permet plus aux femmes et aux couples de réaliser leur projet familial. Et ce n’est pas le désir qui recule, mais la capacité collective à le rendre possible.
Nos disciplines sont directement confrontées à ce qui constitue aujourd’hui l’un des principaux verrous : le report des maternités.
L’âge moyen à la naissance est désormais de 31 ans. À 35 ans, un couple sur trois est déjà infertile ; à 40 ans, un sur deux. L’infertilité, qui toucherait 15 % des couples, est devenue un problème de santé publique important. L’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) demeure tardif, inégal, parfois décourageant. Les délais peuvent atteindre plusieurs années, en particulier pour les dons de gamètes. Quant à l’autoconservation ovocytaire, elle progresse mais reste limitée par l’offre publique et les contraintes d’âge. Derrière les statistiques, il y a donc des années perdues et des opportunités manquées. L’augmentation de l’âge maternel et le recours croissant à la PMA contribuent par ailleurs à augmenter le niveau de risque de ces grossesses.
La dégradation des indicateurs périnatals constitue un second signal d’alerte.
Le taux de mortalité infantile, qui atteint 4,1 ‰ en 2024, continue de se situer au-dessus de la moyenne européenne, en grande partie en raison d’une progression de la mortalité néonatale précoce. Ce taux reflète l’augmentation des risques maternels et périnatals mais également une carence organisationnelle responsable d’un défaut d’accès aux soins particulièrement marqué chez les femmes les plus vulnérables. Les services de néonatologie, en particulier les réanimations néonatales, fonctionnent à des seuils d’occupation trop élevés, conséquence directe d’un nombre insuffisant de lits dont les besoins correspondent au dernier réel plan de périnatalité il y a 30 ans ; mais aussi d’une pénurie persistante de professionnels qualifiés. Comme l’a souligné l’Académie dans son rapport 23-05, la priorité n’est pas d’entretenir une dispersion de petites maternités sans capacités pédiatriques, mais de garantir un accès sécurisé à des plateaux techniques de niveaux 2 et 3 suffisamment dotés, tout en maintenant une prise en charge de proximité pour le suivi pré- et postnatal. Cette réorganisation, fondée sur la mutualisation et la gradation des soins, vise précisément à sécuriser le parcours des femmes et des nouveau-nés, en assurant que chaque naissance à risque puisse bénéficier du plateau technique adapté.
À cela s’ajoute l’impact de plus en plus prégnant de l’éco-anxiété.
Dans les consultations de gynécologie comme en médecine générale ou en pédopsychiatrie, les jeunes femmes expriment de plus en plus une hésitation à devenir mères en invoquant la crise climatique, les crises géopolitiques ou l’incertitude sociale. Cette anxiété n’est ni marginale, ni anecdotique : elle touche particulièrement les 20–35 ans et influence désormais les intentions de fécondité. Nous devons reconnaître cette dimension psychologique et l’intégrer dans un accompagnement global.
La pratique gynécologique est au carrefour d’un autre enjeu majeur : l’égalité entre les femmes et les hommes dans la charge reproductive et parentale.
Le poids de la maternité reste largement asymétrique. La France présente l’un des taux de fécondité les plus faibles chez les femmes à revenu médian, celles précisément qui peinent à concilier vie professionnelle et vie familiale. Les politiques publiques n’ont pas compensé cette réalité : congé parental peu attractif, modes de garde saturés, aides complexes et souvent conditionnées aux ressources.
Pourtant, les solutions existent. L’Académie nationale de médecine propose des orientations claires, qui rejoignent les constats du terrain :
- un droit effectif à la garde d’enfants, condition essentielle pour sécuriser les projets de second enfant ;
- un congé de naissance mieux indemnisé, partagé et non transférable ;
- une politique ambitieuse de lutte contre l’infertilité, avec des bilans précoces et une amplification de l’offre de PMA ;
- un renforcement massif de la périnatalité, notamment des maternités de type 2 et 3 ;
- une simplification et revalorisation des aides aux familles.
Ces mesures ne relèvent pas d’un programme nataliste, mais d’un impératif de santé publique. Favoriser la natalité, c’est d’abord permettre aux femmes et aux hommes d’avoir les enfants qu’ils souhaitent, dans des conditions de sécurité, de dignité et d’équité.
La génération née entre 2000 et 2012 arrive en âge de procréer. Elle est plus nombreuse, plus instruite et plus exigeante quant à la qualité des conditions de vie, d’emploi, de logement et de santé. Elle porte un potentiel de redressement démographique réel. Mais elle ne prendra aucune décision sous contrainte : seuls des environnements stables, des parcours reproductifs sécurisés et des services de santé performants pourront lever les freins actuels.
En tant que gynécologues obstétriciens, nous sommes témoins et acteurs privilégiés de cette transition. Nous voyons chaque jour, dans nos pratiques, les aspirations, les hésitations et les obstacles des couples. Nous savons que la natalité ne se décrète pas : elle se construit. Elle exige un projet long, mature, transversal, capable de répondre à une jeunesse qui ne demande qu’une chose — pouvoir envisager l’avenir.
La crise de la natalité n’est pas une fatalité. C’est un appel à reconstruire la confiance. Et cette confiance commence, très concrètement, dans la qualité du soin que nous assurons, dans la robustesse de nos structures périnatales, dans la capacité du pays à faire de la parentalité non plus un risque, mais un choix serein
Références
Ville Y, Shenfield F, Spira A, Mandelbrot L, Hascoet JM et al. Rapport 25-11. La Natalité en France : Mythes et Réalités de la crise démographique Française. Bull Acad Natl Med. 2025. doi.org/10.1016/j.banm.2025.07.004
Ville Y, Rudigoz RC, Hascoët JM. Rapport 23-05. Planification d’une politique en matière de périnatalité en France. Bull Acad Natl Med. 2023. doi:10.1016/j.banm.2023.03.017
