Faut-il proposer un dépistage systématique de l’hypothyroïdie en début de grossesse ?

Depuis des décennies, endocrinologues et obstétriciens débattent sur l’intérêt d’un dépistage systématique de l’hypothyroïdie en début de grossesse. En France, actuellement le dépistage est réservé aux patientes symptomatiques ou ayant des facteurs de risque.

Cette discussion a vu le jour après 2 publications en 1999 révélant le risque d’altérations du développement neurologique fœtal en cas d’hypothyroïdie asymptomatique durant la grossesse. Par la suite, d’autres études montraient qu’une hypothyroïdie subclinique (élévation isolée de la TSH) pouvait être à l’origine de complications de la grossesse avec notamment  augmentation des morts fœtales, accouchements prématurés... Le débat est loin d’être clos au regard des arguments en sa faveur et d’autres contre que nous allons détailler :

Arguments favorables à un dépistage systématique :

  • Les recommandations actuelles du dépistage incluent déjà un grand nombre de profil de patientes puisqu’il concerne les femmes : âgées de plus de 30 ans,  présentant des symptômes cliniques évocateurs d’hypothyroïdie,  ayant  des antécédents familiaux de pathologie thyroïdienne ou auto-immune,  ayant  une histoire d’infertilité, de fausse-couches, d’accouchement prématuré, de diabète de type I, de pathologie auto-immune, de goitre ou nodule thyroïdien. Il est également proposé en cas de notion d’anticorps antipéroxydase (ATPO), de chirurgie thyroïdienne ou d’irradiation cervicale.
     
  • Cette liste laisserait cependant échapper, selon les études, 20 à 70% d’hypothyroïdie subclinique.
     
  • Il s’agit d’une pathologie est assez fréquente (2ème désordre endocrinien pendant la grossesse) et une intervention thérapeutique aurait fait, pour certains, la preuve de son efficacité en termes d’amélioration du pronostic infantile.
     
  • Un calcul théorique montre qu’une réduction de 2/3 d’enfants dont le QI est inférieur à 85 suite au  traitement de l’hypothyroïdie de leur mère pourrait économiser 8,3 millions de dollars/femme dépistée.
     
  • La question du début du traitement reste essentielle  puisqu’il doit intervenir bien avant 14 semaines pour espérer interférer sur le développement cérébral de l’enfant.
     
  • Ce dépistage permettrait de diagnostiquer des hypothyroïdies franches asymptomatiques qui resteraient inaperçues avec d’importantes conséquences materno-fœtales,  concernant 1 femme pour 1000 aux Etats-Unis.
     
  • Le rôle du traitement par thyroxine de femmes présentant une TSH haute ou une hypothyroxinémie isolément reste débattu.

 

Arguments défavorables à un dépistage systématique :

  • Initier un dépistage systématique impose des critères stricts : prévalence de la pathologie suffisante pour le justifier dans la population générale,  preuves évidentes du rôle néfaste de cette pathologie et de l’efficacité d’une thérapeutique pour réduire significativement les risques associés, enfin bon rapport cout-efficacité.
     
  • La prévalence de l’hypothyroïdie patente (associant TSH élevée et hormones périphériques basses) est seulement de 1-3 pour 1000 grossesses, insuffisant donc pour justifier un dépistage systématique.
     
  • Cependant, si on y ajoute la population des femmes ayant TSH>2,5  ou des ATPO positifs, alors la prévalence atteindrait 5% : mais toutes ces femmes et leurs enfants encourent-elles les mêmes risques ?
     
  • Une large étude portant sur 22 000 femmes dépistées dont seulement la moitié avait été traité ne montrait pas de différence significative sur le QI des enfants évalué à l’âge de 3 ans.
     
  • Des données contradictoires existent dans la littérature concernant l’impact réel de l’hypothyroïdie subclinique sur les pathologies maternelles comme le taux d’accouchements prématurés, d’hématomes rétroplacentaires, de diabète gestationnel ou de macrosomie.

 

Au total :

La prévalence de femmes en « vraie » hypothyroïdie biologique non diagnostiquée, aux conséquences materno-fœtales prouvées, ne justifie pas à elle seule un dépistage systématique. L’impact de l’hypothyroïdie subclinique (TSH basse isolée ou hypothyroxinémie) sur les complications de la grossesse est à ce jour encore controversé mais un large essai actuellement en cours permettra probablement de répondre à cette question fondamentale permettant de légitimer ou non la mise en place d’un dépistage systématique.

 

Casey B, de Veciana M. Thyroid screening in pregnancy. Am J Obstet Gynecol. 2014;211:351-3.

 
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