Environnement et fertilité : le mode de vie des futurs parents peut – il avoir un impact sur leur fertilité et sur la santé de leurs enfants (et petits-enfants) ? La part du mâle

Auteurs

Pr Rachel LÉVY, Dr Charlotte DUPONT

Service Biologie de la reproduction - CECOS - Hôpital Tenon, Sorbonne Université, Paris

 

Le mode de vie des futurs parents au cours de la période périconceptionnelle suscite un intérêt croissant, et de nombreux questionnements. Le poids (obésité, mais également maigreur), la nutrition (déséquilibrée, mais aussi régimes alimentaires stricts), activité physique et sédentarité, sommeil, alcool, tabac, café mais aussi stress (traumatisme aigu et stress chronique du quotidien), sont autant de facteurs qui ont fait l’objet de publications récentes, et qui pourraient avoir un impact sur les gamètes (leur quantité, mais également leur qualité), sur les différentes étapes de la fécondation et le développement embryonnaire, in vivo mais également in vitro, puis sur la croissance fœtale « in utero », jusqu’à la naissance, voire jusqu’à la fin de la deuxième année.

Les bien nommés « 1 000 jours », qui correspondent ainsi aux 9 mois de vie in utero et aux 2 premières années de vie, constituent une des plus importantes périodes critiques d’exposition, selon l’hypothèse de la DOHaD de David Barker* ; à ces 1000 jours, vient s’ajouter tout naturellement la période de production et de maturation des gamètes femelle et mâle qui seront impliquées dans le processus de fécondation.

Si la santé de la femme et future mère a toujours été au cœur de nos préoccupations, le père s’invite dans le débat depuis les années 2010. Ainsi Adelheid Soubry (why we should study future fathers, Environnemental Epigenetics, avril 2018), s’étonne du manque d’intérêt pour le mâle, eu égard au nombre important de preuves scientifiques apportées par les modèles animaux, et aux récentes études chez l’homme. Il revisite le concept et introduit pour la première fois le terme de POHaD (Paternal Origins of Health and Disease), soulignant l’importance de porter attention au rôle du père, et de son exposome, perturbateurs endocriniens et mode de vie, et à son impact sur la qualité des spermatozoïdes (en particulier sur les marques épigénétiques portées et transmises) et sur la santé future de ses enfants.

Il parait ainsi légitime, voire urgent, de mieux évaluer ces modes de vie potentiellement modifiables en préconceptionnel, en s’adressant aux deux partenaires du couple, sans négliger le futur père.

Le sujet est d’actualité puisque deux numéros spéciaux y ont été consacrés récemment.

 

The Lancet (17 avril 2018) souligne l’importance de cette période préconceptionnelle et ses enjeux à travers une série de trois articles originaux. Comme le résume Judith Stephenson, les interventions en cours de grossesse, comme la supplémentation en micronutriments ou le contrôle de la prise de poids, s’avèrent plus ou moins efficaces sur le statut nutritionnel maternel, mais décevantes du point de vue de la santé de l’enfant. Très (trop) peu d’interventions concernent la période périconceptionnelle. Elle plaide pour une prise de conscience sociétale en faveur d’un engagement politique pour optimiser la santé de l’homme et de la femme avant la conception, période d’exposition, mais également d’opportunité, de la vie et tenter de juguler l’épidémie de maladies chroniques non transmissibles à laquelle nous assistons.

Quelques mois plus tard, Fertility and Sterility (Septembre 2018, Vol 110, Issue 4, p557-780) consacre un numéro spécial à l’impact de la nutrition sur la reproduction. L’obésité de la femme, mais aussi celle de l’homme, constitue à elle seule un facteur de risque d’infertilité. L’obésité masculine est ainsi associée à un risque accru d’altérations de tous les paramètres spermatiques, de la qualité nucléaire, voire du potentiel de membrane mitochondrial. Au-delà de l’obésité masculine, qu’en est-il de l’alimentation, des régimes alimentaires et des compléments alimentaires ? Salas Huetos nous propose une revue systématique de 35 études observationnelles sur le sujet (Dietary patterns, foods and nutrients in male fertility parameters and fecundability: a systematic review of observational studies, Human Reproduction Update, Nov 2017) et nous livre les aliments à éviter, comme les sodas ou la viande rouge, et ceux à privilégier, comme les céréales et les fruits et légumes. Le même auteur relève les acides gras oméga 3, le zinc, le sélénium et le coenzyme Q10 comme facteurs susceptibles d’améliorer la concentration, la numération, la mobilité spermatique (The Effect of Nutrients and Dietary Supplements on Sperm Quality Parameters: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Clinical Trials, Advances in Nutrition, 1 Nov 2018) ; toutefois, ces conclusions sont limitées par le faible nombre d’études (15) et de cas exploitables, leur grande hétérogénéité, ainsi que par l’absence d’études prospectives randomisées avec placebo. Mêmes limitations pour la Cochrane de Showell en 2014 et la récente méta-analyse de Majzoub en mars 2018, qui rapportent cependant des résultats significativement supérieurs en termes de naissances vivantes pour 4 études. Quant à la chirurgie bariatrique, son impact sur les paramètres spermatiques demeure controversé, de même que sur la réserve ovarienne.

En termes d’efficacité, une intervention la plus précoce possible serait alors souhaitable. L’abstention n’est pas une option : en effet, dans un modèle murin, un environnement post natal obésogène aggrave les altérations métaboliques et reproductives des fils nés de pères obèses. En revanche, dans le même modèle, la seule activité physique du père rendu obèse restaure chez le fils le fonctionnement des cellules beta du pancréas et normalise les microARN circulants. En l’absence d’intervention durant la période périconceptionnelle, il n’est cependant jamais trop tard pour agir. En effet, chez les fils nés de mères obèses, la seule activité physique améliore les fonctions testiculaires, la qualité des spermatozoïdes et la fertilité. Ce type d’étude d’impact d’une prévention ultra précoce est difficilement transposable à l’homme. Mais nous pouvons tenter d’améliorer la prise en charge des couples en AMP en intégrant l’évaluation de leur mode de vie. En la matière, la possibilité d’offrir un traitement personnalisé, « à la carte », prenant en compte différents polymorphismes génétiques, parait prometteuse. De même, la généralisation d’une consultation préconceptionnelle, enfin valorisée, pourrait permettre d’informer tous les couples en désir d’enfants des enjeux particuliers de cette période.

 

Deux chiffres à retenir

- 100 ans de développement, trois générations concernées : les grands parents, les parents, le fœtus et futur enfant.

- 1 000 jours : les 9 mois de vie in utéro et les deux premières années de vie

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* Developmental Origins of Health and Disease ; Origines Développementales de la Santé et des Maladies

 

 
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