Grossesse gémellaire arrêtée et dépistage prénatal : Quand faut-il faire le DPNI ?

La prise en charge des grossesses en France chez les patientes dans le cadre du dépistage de la trisomie 21 n’a cessé d’évoluer ces dernières années, en particulier avec l’arrivée de l’analyse de l’ADNlc (anciennement DPNI) y compris en 1ere intention dans le cadre des grossesses gémellaires.

Cependant à ce jour, aucune recommandation ne permet d’évoquer le cas particulier d’une grossesse gémellaire (ou multiple) dont l’un des fœtus est arrêté, soit par un arrêt spontané de la grossesse (jumeau évanescent ou vanishing twin), soit par une interruption sélective de grossesse (ISG).

Cet article a pour objectif de faire le point sur la conduite à tenir dans ce contexte particulier selon les recommandations officielles mais aussi des sociétés savantes.
 

1. Rappel sur les Aspects législatifs : organisation actuelle du dépistage prénatal de la T21 en France

L’Arrêté du 23 juin 2009 fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatal avec utilisation des marqueurs sériques maternels (MSM) de la trisomie 21 décrit la possibilité de faire soit les dépistages du 1er (T1) et 2ème trimestre (T2) séquentiel intégré, soit T2 seul si non réalisés. Cette stratégie est également possible pour les grossesses gémellaires.

Mais un nouvel arrêté est apparu le 14 Décembre 2018 modifiant l’Arrêté du 23 juin 2009: disparition du dépistage T2 séquentiel intégré et apparition du dépistage par analyse de l’ADNflc en 2de intention en cas de MSM compris entre 1/51 et 1/1000 ou en 1ère intention selon certaines indications dont les grossesse multiples.
IMAGE

 

2. Conduite à tenir dans le cadre des grossesses multiples dont l’un des fœtus est arrêté : Discussion

A ce jour, il n’y a aucun texte de loi précisant la conduite à tenir.  Doit-on considérer la grossesse comme mono-foetale? Si oui, dans quels délais à partir de l’arrêt des battements du cœur (BDC) ou du fœticide doit-on réaliser les MSM?

Quelle stratégie de dépistage adopter : MSM ou ADNflc ? Et faut-il distinguer le cas d’un arrêt de développement de la grossesse différemment selon s’il s’agit d’un jumeau évanescent ou d’une ISG?

Voici les questions auxquelles nous allons tenter d’apporter des éléments de réponses.
 

2.1 Place des MSM dans le contexte d’une grossesse gémellaire dont l’un des fœtus est arrêté

Deux premières études ont été publiées sur les résultats des dosages des MSM T1 dans un contexte de vanishing twin (jumeau evanescent) (Chasen et al,2006 ; Gjerris et al, 2009 ). Leur conclusion est que lorsque le vanishing twin intervient avant 9 SA, la grossesse doit être considérée comme monofoetale et donc la stratégie est d’utiliser les MSM T1. Si l’arrêt est après 9 SA, il ne faut pas utiliser les MSM T1 mais uniquement le suivi échographique (recommandations dans le contexte législatif de l’époque).

Cependant, une nouvelle étude est apparue en 2010, réalisée par l’équipe de Spencer et collaborateurs (Spencer et al, 2010, Prenat Diagn) : en cas de présence d’un sac gestationnel vide ou d’un œuf clair, la grossesse doit être considérée comme monofoetale donc dosage des MSM T1. Mais s’il s’agit d’un jumeau évanescent, la  ½ vie de la PAPP-A étant longue, il existe un risque de Faux Positif (FP) donc il ne faut pas faire de MSM T1 et aucune notion de délai d’arrêt du fœtus n’est précisée (pas de notion du nombre de semaines contrairement aux publications précédentes).

Une étude complémentaire est apparue en 2014, publiée par Huang et collaborateurs (Huang et al, Prenat Diagn, 2014), démontre que l’élévation de la PAPP A dans un contexte de jumeau évanescent avec LCC mesurée est moins importante que citée dans les études précédentes. De plus, ils n’observent aucune variation de la PAPP A si le prélèvement sanguin est effectué 28 jours APRES la perte fœtale. En revanche, il existe très peu de données sur l’impact des MSM T2 mais leur utilisation serait possible selon cette équipe.

​​​​​​​2.2 Place de l’analyse ADNflc dans le contexte d’une grossesse gémellaire dont l’un des fœtus est arrêté

La première publication sur le sujet a été faite par l’équipe de Curnow en 2015 (Curnow et al, J Obst Gynecol, 2015) et décrit la persistance d’ADNflc jusque 8 semaines après l’arrêt d’un des fœtus. La stratégie était alors de proposer une analyse ADNflc au moins 8 semaines après l’identification de l’arrêt des bruits du cœur chez le fœtus. Mais en 2018, Hochstenbach et collaborateurs démontrèrent sur une étude rétrospective que l’ADNflc persistait au-delà de 8 semaines après l’arrêt des BDC. (Hochstenbach et al, the Authors, 2018). Ces résultats ont été confirmés par une nouvelle étude réalisée en 2018 par l’équipe de Niles et collaborateurs, démontrant que les jumeaux évanescents contribuent à 42,1% des FP (faux positifs) en ADNflc et décrivant un cas de FP 15 semaines après l’arrêt des BDC dans le cadre d’un vanishing twin.

Une étude récente de 2021 portant sur l’analyse sur 5 Grossesses bichoriales biamniotiques avec ISG (Chen et al,Prenat Diagn, 2021) montre une moyenne de persistance de détection de l’ADNflc du fœtus interrompu à 9,5 semaines dont deux cas de détection au-delà de 15 semaines post-fœticide. Ainsi en cas d’ISG, l’ADNflc du fœtus arrêté persisterait même au-delà de 16 semaines après arrêt des BDC.
 

3. Conclusion

Il ne semble pas y avoir de différence selon le mode d’arrêt des BDC du fœtus (ISG vs jumeau évanescent) pour la notion de persistance d’ADN fœtal dans le sang maternel. Selon les recommandations de l’ABA, société savante du dépistage de la T21 par les MSM, il faut privilégier les MSM T2 SAUF s’il s’agit d’un œuf clair et donc faire des MSM T1 dans ce contexte. 
Les différentes études ont montré que l’ADNflc pouvait persister au-delà de 15 semaines après l’arrêt des BDC chez le fœtus. 
L’équipe de Chen recommande de faire un DPNI le plus tardif possible en raison du risque de FP mais sans délai précisé (recommandations Chen et al, 2021). 
Niles et al. recommandent de prévenir les prescripteurs sur le risque augmenté de faux-positif dans ce contexte. 
Cependant, à ce jour, il n’existe aucune stratégie nationale mise en place: la conduite à tenir est variable selon les laboratoires. Certains acceptent de réaliser un DPNI d’emblée sur les grossesses gémellaires dont l’un des fœtus est arrêté sans délai par rapport à la date d’arrêt des BDC. D’autres préfèrent attendre un délai d’au moins 8 semaines après le diagnostic afin de minimiser les faux positifs bien que l’ADNflc puisse persister plus tardivement.
Afin que la meilleure prise en charge pour la patiente soit assurée, il faut que les informations sur la grossesse soient transmises de façon la plus complète possible, ce qui n’est pas toujours le cas et engendre des difficultés dans les laboratoires pour l’interprétation et la stratégie de dépistage à adopter. La plupart du temps ces grossesses sont considérées comme gémellaire afin de leur permettre une prise en charge d’une analyse par ADNflc.
Il faudra attendre d’autres études complémentaires comparant les résultats de FP en ADNflc selon le délai de réalisation de l’analyse dans ce contexte afin de voir s’il vaut mieux privilégier les MSM T2 ou l’ADNflc dans ce contexte

Références bibliographiques

- Chasen S et al, 2006. Does a vanishing twin affect first trimester biochemistry in Down Syndrome risk assesment? Am J Obst Gynecol 195:236-239
- Gjerris AC et al, 2009. The effect of a « vanishing twin »on biochemical and ultrasoundfirst trimester screening markers for Down’s syndrome in pregnancies conceived by assisted reproductive technology.Hum Reprod 24:55-62
- Spencer et al, 2010. First trimester aneuplidy screening in the presence of a vanishing twin: implications for maternal serum markers. Prenat Diagn 2010; 30: 235-240
- Huang et al, 2014, First and second trimester maternal serum markers in pregnancies with a vanishing twin. Prenat Diagn 2014; 34,1-7
- Hochstenbach et al, 2018. Discordant NIPT result in a viable trisomy-21 pregnancy due to prolonged contribution to cfDNA by a demised trisomy-14 cotwin. The Authors, 2018.
- Niles et al, 2018. Prolonged duration of persistent cell-free fetal DNA from vanishing twin. Ultrasound Obstet Gynecol 2018; 52: 544-549
- Chen et al, 2021. Temporal persistence of residual fetal cell-free DNA from a deceased cotwin after selective reduction in dichorionic diamniotic twin pregnancies. Prenat Diagn 2021,Jan 13.

 

 
Les articles sont édités sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Les informations fournies sur www.gyneco-online.com sont destinées à améliorer, non à remplacer, la relation directe entre le patient (ou visiteur du site) et les professionnels de santé.