Maladies inflammatoires chroniques intestinales et grossesse

Introduction

La grossesse est une préoccupation majeure des patientes suivies pour maladie inflammatoire chronique intestinale (MICI). Les questions auxquelles les gastro-entérologues et le gynécologues doivent répondre sont multiples et concernent , entre autres, le risque de survenue d’une poussée au cours de la grossesse et son impact sur son bon déroulement , les risques induits par la prise de médicaments, le mode de délivrance , les risques de transmission de la maladie aux enfants , les possibilités d’allaitement  etc.
Une conséquence de ces interrogations multiples et du stress induite par l’incertitude des réponses est de repousser l’âge d’une première grossesse ou de repousser celui d’une seconde ou d’une troisième grossesse après une expérience plus ou moins heureuse. Des réponses adaptées et documentées sont susceptibles d’ aider ces patientes à réaliser leur projet dans les meilleures conditions, sans retard excessif et sans prise de risque inconsidéré pour les enfants.

Existe-t’il une diminution de la fertilité au cours des MICI ?

Hormis certaines situations particulières post-chirurgicales et en particulier les colo–protectomies avec anastomose iléo-anale réalisée par laparotomie, il est globalement admis que la fertilité des patientes atteintes de MICI en phase quiescence est comparable à celle de la population générale.
Cependant, il existe une diminution de la fécondité plutôt d’origine volontaire que l’origine organique en raison des craintes sur l’évolution de la grossesse chez les patientes atteintes de maladie de Crohn (MC).

Il n’est cependant pas totalement exclu que l’inflammation digestive puisse impacter la fertilité en diminuant les réserves ovariennes chez certaines patientes âgées.

De plus , il a été démontré récemment que le fréquence d’un délai de conception supérieur à un an était significativement plus élevée chez les patientes atteintes de MICI et, en particulier, chez les patientes atteintes de MC ayant été déjà opérées.
Il faut ajouter que l’âge moyen de la première maternité (28,5 ans en 2015) augmente régulièrement dans la population générale depuis trois décennies de façon parallèle à une baisse physiologique de la fertilité avec l’âge . Enfin, il semble que les techniques de procréation médicalement assistée et notamment de fécondation in vitro soient moins efficaces chez les patientes atteintes de rectocolite hémorragique (RCH) et chez les patientes atteintes de MC et ayant été opérées .

Concernant les traitements utilisés en pratique courante, il n’y a pas d’argument pour une diminution de la fertilité induite chez les femmes. Chez les hommes, la sulfasalazine pourrait induire une oligospermie réversible .

Quel est le risque de rechute en cas de grossesse ?

Le risque de rechute dépend de l’activité de la maladie au moment de la conception et du type de MICI.
Dans une étude de cohorte européenne, les patientes atteintes de MC en rémission au moment de la conception n’avaient pas d’augmentation du risque de rechute pendant la grossesse et en post- partum comparativement à une population similaire de femmes non enceintes.
Quatre-vingt pour cent d’entre elles étaient en rémission pendant toute leur grossesse.
A l’inverse, le risque de récidive chez les patientes suivies pour une RCH en rémission au moment de la conception étaient de 35 %, significativement plus élevé que le risque de rechute observé sur une durée similaire chez des patientes non enceintes.
Aucun facteur associé au risque élevé de rechute chez les femmes atteintes de RCH n’a été identifié dans cette étude.

Une maladie active au moment de la conception augmente le risque de rechute au cours de la grossesse.
Dans une méta-analyse ayant colligé 16 études correspondant à 590 patientes atteintes de MC et 1 130 de RCH, le risque relatif (RR) de maladie active pendant la grossesse était doublé comparativement à celui de patientes en rémission au moment de la conception quel que soit le type de MICI . Le risque d’avoir une RCH restant active pendant la grossesse était de 55 % comparativement à un risque de rechute de 29 % et cas de rémission initiale (P<0,001). Concernant le MC, le risque d’avoir une maladie restant active était de 46 % comparativement à un risque de rechute de 23 % en cas de rémission initiale (P=0,006).

Le risque de rechute de la maladie de Crohn en rémission n’est pas augmenté en cas de grossesse, alors que les femmes souffrant de rectocolite hémorragique ont un risque accru de rechute, aussi bien durant la grossesse qu’après l’accouchement.

Le risque de rechute ou de maladie chronique active est augmenté chez les patientes ayant une MICI non contrôlée à la conception.

 Quel est l’impact de l’activité de la maladie sur la grossesse ?

De nombreuses études confirment l’impact négatif de l’activité de la maladie sur le déroulement de la grossesse quel que soit le type de MICI.

Les risques de prématurité et de petit poids de naissance (< 2 500 g) étaient augmentés chez les patientes atteintes de MICI comparativement à la population générale et le risque de mort à la naissance était augmenté chez les patientes atteintes de MC.
De plus, les risques de prématurité et de faible poids de naissance sont d’autant plus élevés que la rechute de la maladie survient tard au cours de la grossesse.

Dans une étude récente australienne, l’augmentation du risque de prématurité et de faible poids de naissance avait été confirmée chez 1 960 patientes comparativement à 630 114 femmes non malades. Dans cette étude, il était également montré que le fait d’avoir une MICI était significativement associé à une augmentation du risque de césarienne programmée ou non, une plus longue durée d’hospitalisation , une fréquence augmentée d’admission en milieu obstétrical avant l’accouchement et une fréquence plus élevée d’admission en secteur gastro-entérologique après l’accouchement .
Le risque de thrombose veineuse profonde ajusté sur le mode d’accouchement n’était pas modifié par le fait d’avoir une MICI.

L’activité de la maladie augmente le risque de prématurité et de faible poids de naissance.

Quels sont les traitements utilisables en pratique ?

Traitements conventionnels

La plupart des traitements conventionnels sont utilisables pendant la grossesse avec un faible risque. Les données suivant les recommandations européennes sont résumées dans le tableau 3 .

5-amino-salicylés (5-ASA) et sulfasalazine

Les 5-ASA sont autorisés pendant la grossesse à une dose maximale de 2 g/J ;
Une dose supérieure nécessite, en théorie, une surveillance échographique rénale rapprochée du fait d’un risque théorique de malformation rénale. La sulfasalazine interférant avec l’absorption des folates, il est recommandé de donner une supplémentation à une dose plus élevée que chez les femmes non traitées par cette molécule.

Les 5-asa sont autorisés pendant la grossesse à la dose maximale de 2 g/J et la supplémentation en acide folique doit se faire à une dose plus élevée que prescrite habituellement.

Corticoïdes

 Tous les corticoïdes oraux ou topiques peuvent traverser la barrière placentaire mais sont dégrades rapidement par le placenta en métabolites moins actifs en particulier pour la prednisone, la prednisolone et la méthylprednisolone qui seront les formulations préférentiellement choisies chez la femme enceinte. Il existe un risque exceptionnel d’insuffisance surrénalienne à la naissance chez des patientes traitées à de fortes doses à la fin de leur grossesse. Le risque incertain d’hypertension, de diabète et de pré –éclampsie doit faire limiter leur utilisation lorsqu’une alternative est possible.

Le risque d’ hypertension artérielle, de diabète et de pré-éclampsie doit faire limiter l’utilisation des corticoïdes lorsqu’une alternative est possible.

 Thiopurines

L’azathioprine et son dérivé, la 6-mercaptopurine traversent la barrière placentaire et sont officiellement contre-indiqués au cours de la grossesse. Cependant, de nombreuses études ont confirmé le faible risque à poursuivre ces traitements pendant la grossesse.
En 2013, une méta-analyse de 9 études a évalué le risque fœtal chez des patientes atteintes de MICI ne recevant pas ce type de traitement.
Il existait un risque accru de malformation congénitale et de prématurité en comparaison à la population générale mais ces risques n’étaient pas différents comparativement à des patientes enceintes traitées par d’autres molécules pour une MICI, suggérant que c’est la maladie elle-même qui impacte le pronostic et non la prise de thiopurines

De nombreuses études ont confirmé le faible risque à poursuivre l’azathioprine et son dérivé, la 6-mercaptopurine, pendant la grossesse.

Un cas de lymphopénie sévère (moins de 300 lymphocytes T CD3+) a été décrit chez un nouveau-né dont la mère recevait de l’azathioprine pendant la grossesse. La lymphopénie a été rattachée à une double mutation homozygote 3A sur le gène codant la thiopurine S-methytransferase (TPMT), une mutation hétérozygote préexistant chez la mère.
Malgré ce risque exceptionnel soulevant la question de la recherche de mutation du gène codant la TPMT chez nos patients, le bénéfice à maintenir une maladie quiescente avec des thiopurines reste supérieur au risque induit par une récidive de la maladie en cas d’arrêt systématique.

Méthotrexate et thalidomide 

Ces deux drogues sont tératogènes et contre –indiquées pendant toute la durée de la grossesse.
En cas de grossesse sous méthotrexate, il faut envisager une interruption et en discuter avec l’équipe obstétricale en charge de la patiente.

Chez l’homme, on peut retenir que le méthotrexate peut entrainer une oligo ou azoospermie temporaire ou proposer une conservation des spermatozoïdes avant de débuter un traitement ; Il faut envisager le risque théorique mutagènes du méthotrexate et recommander l’utilisation d’une contraception pendant 3 mois suivant l’arrêt du traitement. En cas de grossesse débutée pendant le traitement, il faudra rassurer le couple et envisager une surveillance échographique de bonne qualité.

Anti –TNF –alpha

Les études de registre ou de cohorte confirment le passage transplacentaire des anti-TNF et n’ont pas montré de signal inquiétant chez le fœtus permettant leur utilisation quand la situation le nécessite .L’existence de taux résiduels élevés chez le nouveau –né nécessite de prévenir les parents et l’équipe médicale en charge des enfants exposés in utero pour repousser la date des vaccins vivants au –delà d’1an.
Pour minimiser les taux résiduels à la naissance, il a été suggéré d’interrompre, quand la situation clinique le permet, les anti-TNF avant la 24e semaine de grossesse, cependant, seule une interruption avant la 17eme semaine permet d’éviter le passage transplacentaire de la biothérapie.

Vedolizumab  et ustékinumab Anti L6 et anti-IL-12/23

Les données publiées concernant ces 2 biothérapies sont beaucoup moins nombreuses et ne permettent pas d’avoir une opinion définitive sur leur innocuité.

Les données de sécurité d’emploi de l’ustékinumab et du vedolizumab sont insuffisantes pour affirmer leur innocuité au cours de la grossesse.

Peut-on faire une endoscopie au cours de la grossesse ?

Malgré l’utilisation de marqueurs biologiques d’inflammation et notamment de la calprotectine fécale, il peut parfois être nécessaire de pratiquer une endoscopie au cours de la grossesse.
Les résultats d’une étude récente suggéraient que l’endoscopie base n’augmente pas le risque fœtal
. Dans une étude de cohorte en population générale, 3 052 grossesses au cours desquelles une endoscopie haute (n = 2 025) et/ou basse ‘n=1 109) a été pratiquée, ont été identifiées. En comparaison à la population générale, la réalisation d’une endoscopie était associée à un risque relatif (RR) élevé de prématurité : RR = 1,54 (IC 95% : 1,36-1,75) et de faible poids de naissance : RR = 1,30 (IC 95% : 1,07-1,57) indépendamment du trimestre de grossesse. La même analyse chez des patientes n’ayant pas de MICI, de maladie cœliaque ou de maladie du foie montrait que la pratique d’une endoscopie n’était pas associée à un sur-risque fœtal. Le pronostic fœtal n’était pas non plus impacté par l’endoscopie chez les patientes ayant eu plusieurs grossesses dont l’une avait nécessité la réalisation d’une endoscopie.

Ces données sont rassurantes mais confirment la nécessité de trouver des solutions alternatives à la réalisation des endoscopies au cours de la grossesse.

Quand faut-il proposer un accouchement par césarienne ?

Il s’agit avant tout d’une décision obstétricale. D’un point de vue gastro-entérologique, une césarienne est recommandée en cas de maladie périnéale et/ou rectale active. Le risque de développer ou de récidiver une atteinte périnéale n’est pas augmentée par un accouchement par voie basse.

L’existence d’une stomie ne contre- indique pas un accouchement par voie basse.

CONCLUSION

Les projets de grossesse de nos patients ne doivent pas être repoussés inutilement. Ils doivent être anticipés et discutés chez les adultes jeunes pour les amener à le concevoir lors d’une période de rémission. Il est primordial de discuter des traitements et de leur sécurité d’utilisation pour évaluer les bénéfices et les risques en tenant compte de leur avis.

Bibliographie

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