Les bisphosphonates dans le traitement adjuvant des cancers du sein, une danse à trois temps

Deux pas en avant, un pas en arrière : c’est ce à quoi le feuilleton « bisphosphonates et traitement adjuvant des cancers du sein » nous habitue depuis plusieurs années et qui fait que la question n’est toujours pas tranchée.

Il y a pourtant un rationnel évident à ce traitement.

1/ Sur le plan théorique d’abord, il se fait l’écho de la règle établie en 1889 par Stephen Paget selon laquelle la métastase naissait d’une interaction favorable entre la graine et le terrain (« seed and soil theory ») [1]. Ainsi les mesures visant à rendre le « terrain » moins propice à cet essaimage étaient aussi utiles que celles visant à détruire les « graines ».

2/ Les données d’expérimentation pré-cliniques ont apporté la démonstration que  les bisphosphonates diminuaient les propriétés d’invasion, de migration, d’adhésion et de prolifération et augmentaient l’apoptose des cellules cancéreuses [2][3]. Elles peuvent également avoir un effet antitumoral synergiques avec les chimiothérapies[4] ou les hormonothérapies[5] et stimulaient la réponse immunitaire anti-tumorale[6].

A noter qu’il existe des différences fonctionnelles entre les différents types de bisphosphonales. Les molécules sans nitrogen (ex clodronate, clastoban®), n’auraient pas toutes les propriétés anti-tumorales que peuvent avoir les molécules avec nitrogen (pamidronate, aredia® ; acide zoledronique, zometa® ; ibadronate, bonviva®).

3/ Enfin, les données cliniques ont elles aussi montré la diminution du nombre de cellules tumorales disséminées dans la moelle osseuse [7] et un probable effet anti-tumoral en situation pré-opératoire[8].

Cette épopée se poursuit ainsi dans les pages du New England Journal and Medicine par un article de Coleman et al rapportant les résultats à 5 ans de l’essai AZURE portant sur 3360 patientes avec ou sans 5 ans d’acide zolédronique (Zometa®) en adjuvant [9]. Les critères d’inclusion concernaient des patientes traitées avec chimiothérapie préopératoire ou adjuvante, pour un cancer du sein avec atteinte ganglionnaire ou T3-T4. Une stratification, permettant une étude de sous-groupes, était faite en fonction des caractéristiques suivantes : nombre de ganglions axillaires atteints, stade clinique, statut des récepteurs à l’estradiol, type et séquence de la chimiothérapie, statut ménopausique, utilisation ou non de statines et centre.

Il n’y avait pas de différence significative entre les deux bras de traitement pour la survie sans récidive (77% dans les deux bras, p=0,79) qui était l’objectif principal de l’étude. La survie globale n’était pas non plus significativement différente (85.4% dans le bras avec acide zolédronique et 83.1% dans le bras contrôle, p=0,07). Ces résultats étaient vérifiés dans tous les sous-groupes pré-spécifiés mis à part celui des femmes ménopausées où l’acide zolédronique était associé à un bénéfice en termes de survie sans récidive invasive et de survie globale (survie globale à 5 ans de 85% dans le bras avec acide zolédronique vs. 79% dans le bras contrôle ; p = 0,04). En ce qui concernait les métastases osseuses il y avait même une différence significative avec un effet de l’acide zolédronique apparemment bénéfique chez les patientes ménopausées et délétère chez les patientes non ménopausées.

Les effets indésirables étaient équivalent hormis le taux d’ostéonécrose mandibulaire (1,1% dans le bras avec acide zolédronique vs 0% dans le bras contrôle, p<0,001).

La conclusion des auteurs est donc de ne pas recommander l’usage de l’acide zolédronique en situation adjuvante mais, comme le précisaient également Bedard, Body et Piccart-Gebhart [10],  de recourir « plutôt tôt que tard » aux bisphosphonates chez les patientes ménopausées, de façon physiologique ou induite, afin de les protéger de complications osseuses mais aussi, peut-être, d’une évolution tumorale. Il est en effet utile de rappeler que les études portant sur des patientes avec ménopause physiologique (ABCSG-12[11]) ou induite (Zo-fast[12]) témoignent également de l’effet protecteur de l’acide zolédronique sur la survie sans récidive.  Le feuilleton se poursuivra avec l’étude NSABP-B34 (avec ou sans acide clodronique pendant 3 ans) et, on peut l’espérer, une méta-analyse de ces diverses études randomisées.


[1] Paget S. The distribution of secondary growths in cancer of the breast. Lancet 1889;133:571–3

[2] Clezardin P. Bisphosphonates’ antitumor activity: an unravelled side of a multifaceted drug class. Bone 2011;48:71–9.

[3] Corso A, Ferretti E, Lunghi M, et al. Zoledronic acid down-regulates adhesion molecules of bone marrow stromal cells in multiple myeloma: a possible mechanism for its antitumor effect. Cancer 2005;104:118–25.

[4] Clyburn RD, Reid P, Evans CA, Lefley DV, Holen I. Increased anti-tumour effects of doxorubicin and zoledronic acid in prostate cancer cells in vitro: supporting the benefits of combination therapy. Cancer Chemother Pharmacol 2010;65:969–78

[5] Neville-Webbe HL, Coleman RE, Holen I. Combined effects of the bisphosphonate, zoledronic acid and the aromatase inhibitor letrozole on breast cancer cells in vitro: evidence of synergistic interaction. Br J Cancer 2010;102:1010–7.

[6] Sato K, Kimura S, Segawa H, et al. Cytotoxic effects of gammadelta T cells expanded ex vivo by a third generation bisphosphonate for cancer immunotherapy. Int J Cancer 2005;116:94–9

[7] Rack B, Jückstock J, Genss E, et al. Effect of zoledronate on persisting isolated tumour cells in patients with early breast cancer. Anticancer Res 2010;30:1807–13

[8] Coleman RE, Winter MC, Cameron D, et al. The effects of adding zoledronic acid to neoadjuvant chemotherapy on tumour response: exploratory evidence for direct anti-tumour activity in breast cancer. Br J Cancer 2010;102:1099-105.

[9] Coleman RE, Marshall H, Cameron D, Dodwell D, Burkinshaw R, Keane M, Gil M, Houston SJ, Grieve RJ, Barrett-Lee PJ, Ritchie D, Pugh J, Gaunt C, Rea U, Peterson J, Davies C, Hiley V, Gregory W, Bell R; AZURE Investigators. Breast-cancer adjuvant therapy with zoledronic acid. N Engl J Med. 2011 Oct 13;365(15):1396-405.

[10] Bedard PL, Body JJ, Piccart-Gebhart MJ. Sowing the soil for cure? Results of the ABCSG-12 trial open a new chapter in the evolving adjuvant bisphosphonate story in early breast cancer. J Clin Oncol. 2009 Sep 1;27(25):4043-6

[11] Gnant M, Mlineritsch B, Stoeger H, Luschin-Ebengreuth G, Heck D, Menzel C, Jakesz R, Seifert M, Hubalek M, Pristauz G, Bauernhofer T, Eidtmann H, Eiermann W, Steger G, Kwasny W, Dubsky P, Hochreiner G, Forsthuber EP, Fesl C, Greil R. on behalf of the Austrian Breast and Colorectal Cancer Study Group, Vienna, Austria. Adjuvant endocrine therapy plus zoledronic acid in premenopausal women with early-stage breast cancer: 62-month follow-up from the ABCSG-12 randomised trial.Lancet Oncol. 2011 Jul;12(7):631-641.

[12] Eidtmann H, de Boer R, Bundred N, Llombart-Cussac A, Davidson N, Neven P, von  Minckwitz G, Miller J, Schenk N, Coleman R. Efficacy of zoledronic acid in postmenopausal women with early breast cancer receiving adjuvant letrozole: 36-month results of the ZO-FAST Study. Ann Oncol. 2010 Nov;21(11):2188-94

 
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