Les signatures « transcriptomiques » dans le cancer du sein en situation adjuvante en pratique : questions et tentatives de réponses

Sandrine RICHARD1,2, Joseph GLIGOROV1,2

  1. Centre expert de sénologie, APHP Tenon, Paris, France
  2. Institut Universitaire de Cancérologie, UPMC, Sorbonne Université, Paris, France 

1 - Qu'est-ce qu'une signature transcriptomique ?

Le transcriptome est l'ensemble des ARNs issus de la transcription du génome. L'analyse transcriptomique peut caractériser le transcriptome entier ou partiel, d'un tissu particulier, d'un type cellulaire, ou comparer les transcriptomes entre différentes conditions expérimentales ou cliniques. L’analyse d’une partie prédéfinie du transcriptome d’un cancer correspond à une « signature transcriptomique » qui est associée à une information d’intérêt permettant de mieux caractériser ce cancer, afin de mieux le traiter. Les signatures transcriptomiques sont donc des outils d’aide à la décision basé sur une analyse de transcrits de gènes sélectionnés au sein de la tumeur. Ces signatures n’ont en théorie un intérêt dans la prise en charge adjuvante des cancers du sein que si d’une part nous sommes dans une situation « inconfortable » en ce qui concerne la caractérisation du risque de rechute de la maladie (caractérisation pronostique) et/ou d’autre part nous avons une difficulté à évaluer l’impact potentiel des traitements visant à réduire ce risque (caractérisation prédictive). A ce jour, plusieurs signatures transcriptomiques sont commercialisées (mais non remboursées) en France comme outil d’aide à la décision en situation adjuvante. Il s’agit des tests Mammaprint® (Agendia), Oncotype Dx® (Genomic Health), Prosigna® (nanoString), Endopredict® (Myriad Genetics), MapQuant Dx® (Qiagen), Breast Cancer Index® (Bio Theranostics). Les tests Mammaprint®, Oncotype Dx®, MapQuant Dx® (Qiagen) et Breast Cancer Index® sont des tests centralisés, alors que les autres sont des tests réalisables dans les services à condition d’avoir un kit et une machine dédiée.

2 - Les signatures transcriptomiques dans le cancer du sein adjuvant : pourquoi ?

En situation adjuvante, une partie des patientes opérées d’un cancer du sein non métastatique est guérie après la chirurgie. Le principal facteur pronostic est le stade de la maladie et en particulier l’atteinte ganglionnaire : Seul 30% des cancers du sein pN+ ne rechuterons pas après un traitement locorégional, et ce taux s’élève à 50% en cas de maladie pN0 (1-3). Les paramètres anatomopathologiques complémentaires permettant d’évaluer le pronostic sont essentiellement la taille tumorale, le grade SBR, et le statut des récepteurs hormonaux (RH) et HER2. Ces deux derniers sont non seulement des facteurs pronostiques, mais également des facteurs prédictifs. Le statut RH est un facteur de bon pronostic et prédictif de bénéfice des traitements antihormonaux mais sans information claire sur sa durée au-delà de 5 ans, alors que le statut HER2 est un facteur de mauvais pronostic et prédictif de bénéfice des traitements antiHER2 et de chimiothérapie. Dans l’activité de RCP, en prenant en compte ses paramètres, la discussion principale en ce qui concerne la stratégie adjuvante complémentaire porte donc sur d’une part l’intérêt d’une chimiothérapie adjuvante dans la population RH positive, et l’intérêt d’un traitement antihormonal au-delà de 5 ans dans cette même population. Des outils complémentaires d’aide à la décision comme l’évaluation de la prolifération par le compte de mitoses ou le Ki67, posent des problèmes de reproductibilité et ne peuvent donc plus clairement évaluer l’impact absolu d’une chimiothérapie adjuvante, notamment dans la population RH positive (4). Enfin, des nomogrammes d’aide à l’évaluation de l’impact de la chimiothérapie comme NewAdjuvant.com, predict.nhs.uk ou Nottingham Prognostic Index®permettent une estimation de l’impact de la chimiothérapie en situation adjuvante, mais basée sur les résultats de différents essais et proches des conclusions de l’EBCTCG évaluant cet impact comme fluctuant entre 2,5% et 15% environ en bénéfice absolu en fonction du risque initial estimé de rechute et divisé en 3 groupes (bas, intermédiaire ou élevé) (1-3).

3 - Les signatures transcriptomiques en situation adjuvante : pour qui ?

Il découle donc des constatations précédentes que la population cible pour laquelle nous avons une incertitude sur le traitement adjuvant optimal (avec les moyens thérapeutiques actuels) est la population RH positive. Au sein de cette population, la population pN0 est celle pour laquelle la question de l’intérêt de la chimiothérapie adjuvante demeure la plus importante, et la population pN+ est celle pour laquelle la prolongation au-delà de 5 ans du traitement antihormonal est également cruciale. Cette population RH positive, est définie comme la population cible sur les données récentes de conférences de consensus européennes et nord-américaines (5,6). Elle représente aujourd’hui la population la plus fréquente (plus de ¾ des cancers du sein nouvellement diagnostiqués) (7). Toutefois, au sein de la cette population, toutes les patientes n’ont probablement pas besoin d’avoir de tests transcriptomiques. Par exemple, une femme âgée de moins de 65 ans, porteuse d’une lésion RH+, pT1bN0 SBR1 et HER2 négative n’a probablement pas besoin de test comme une lésion RH+, pT3 SBR3 et HER2 négative. La première n’est pas candidate à une chimiothérapie et la seconde difficilement à une désescalade sans chimiothérapie sauf si elle le demande…L’un des enjeux de santé publique est la détermination de la population cible RH positive pour ces tests, car l’apport du dépistage amène également de plus en plus de diagnostiques de cancers RH positifs pN0.

4 - Les signatures transcriptomiques : comment ?

À ce jour, après proposition du médecin tout patient peut en théorie demander la réalisation d’un test transcriptomique. Toutefois, ces tests (de 2000 à 3000 euros environ), ne sont pas remboursés en routine car non intégrés à la nomenclature des actes de biologie médicale. L’intérêt initial avait été retenu comme limité par les premiers rapports de l’INCa (7), mais des accords concluent entre certaines équipes médicales et certaines ARS rendaient l’utilisation de ces tests dans certaines conditions comme possibles. Dans un souci de clarification scientifique, une autosaisine de la HAS soutenue par l’INCa a conduit à l’inscription de l’évaluation de ces signatures l’ensemble des SEM du marché dans le cancer précoce du sein au programme de travail 2016 en vue de la prise en charge par l’Assurance maladie, le cas échéant. A noter que depuis cette période, ces signatures peuvent être prises en charge à titre dérogatoire (exception faite du Breast Cancer Index®) dans le cadre du Référentiels des actes innovants hors nomenclature (RIHN).

Toutefois, cette prise en charge ne doit pas faire perdre de vue l’intérêt de la participation de patients dans des études prospectives d’évaluation de l’intérêt de ces tests et en particulier dans la population pN+ pour le seul essai prospectif spécifique à visée prédictive qu’est RxPONDER, et surtout, que la décision de demander un test dans le cadre du RIHN ne doit se faire qu’après une validation de la demande en réunion de concertation pluridisciplinaire, en précisant quelle serait la décision de traitement sans le résultat de ce test et enfin en participant à une évaluation de l’intérêt du résultat de ce test en colligeant l’impact décisionnel et idéalement le devenir évolutif de la patiente.

5 - Les signatures transcriptomiques : toutes semblables ?

Ce dernier point est le plus discuté et le plus discutable. Si le choix d’un anticorps pour la détermination du statut des RH en IHC est laissé légitimement à l’appréciation de l’anatomopathologiste, il n’existe pas aujourd’hui d’équivalence stricte d’information entre les différentes signatures transcriptomiques pour différentes raisons, car d’une part elles n’évaluent pas le même transcriptome, et d’autre part elles n’ont pas été validées de la même manière. Cette notion est importante et ne fait que souligner l’importance d’une réflexion de groupe de l’ensemble des acteurs de RCP sur le choix d’une signature dans une situation définie.

Toutes les signatures ont évalué la caractérisation pronostique de la tumeur à partir de données rétrospectives (5,6). Toutefois, cette évaluation rétrospective n’a pas été réalisée toujours à partir de données d’études prospectives et lorsque c’était le cas, il ne s’agissait pas toujours d’études randomisées posant la question de l’intérêt de la chimiothérapie, et donc pouvant donner rétrospectivement, à partir de données d’études prospectives anciennes un intérêt prédictif de l’intérêt de la chimiothérapie. Si diverses recommandations reconnaissent un impact pronostique à 4 de ces signatures (Mammaprint ®, Oncotype Dx®, Prosigna® et Endopredict®) (5,6) le niveau de preuve n’est pas le même, mais dépend manifestement de la méthodologie utilisée et de l’interprétation des études faites par les experts… En ce qui concerne l’intérêt prédictif d’intérêt de la chimiothérapie, il semble que Prosigna® et Oncotype Dx® soient considérées comme avec un niveau de preuve plus élevé (5). Seule deux signatures ont posé la question dans le cadre d’une étude prospective de l’intérêt de la chimiothérapie sur la décision de chimiothérapie et son impact sur la survie, il s’agit des signatures Mammaprint ® et Oncotype Dx® (8,9). Les résultats globaux de l’étude avec Mammaprint® ont été publiés et l’impact prédictif de cette signature est discutable (5), quant aux résultats de l’étude avec Oncotype Dx®, les premiers résultats ont validé l’impact pronostique de la population de bon pronostique (9), intégrant cette signature dans la nouvelle classification AJCC du cancer du sein pour la population pN0 (10).

Enfin, ces signatures ont été comparées entre elles, soit sur des données rétrospectives en excluant les patientes traitées par chimiothérapie (11), soit sur des données prospectives ne retrouvant que 1/3 de concordance (12) et démontrant clairement la difficulté d’interchangeabilité de ces signatures dans la pratique quotidienne avec ces données.

En ce qui concerne l’évaluation du risque de récidive après 5 ans de traitement antihormonal, toutes les signatures ont potentiellement un intérêt quant à l’évaluation pronostique, mais pas sur l’impact prédictif du choix de traitement antihormonal ni sa durée (5,6).

6 - Que faire en pratique ?

Nous l’avons vu, il y a une place pour ces tests, et ils permettent d’accompagner la décision stratégique. Toutefois plusieurs précautions sont nécessaires avant de demander un test :

  • S’assurer du caractère non métastatique, RH positif et HER2 négatif du cancer.
  • Ne prendre une décision qu’en réunion de concertation pluridisciplinaire.
  • S’assurer que la patiente a compris l’incertitude de décision avant le test et qu’elle soit d’accord pour le demander et suivre ses recommandations, (pas d’intérêt du test si la patiente refuse systématiquement ou souhaite à tout prix une chimiothérapie)
  • Choisir le test prescrit en fonction de la question posée (pronostic de la maladie ou prédiction d’intérêt de la chimiothérapie)
  • Colliger les données de la prise en charge
  • Privilégier l’inclusion dans les essais cliniques pertinents
  • Les prescrire hors essais dans le cadre du RIHN.

__________________Références

  1. Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group (EBCTCG). Effects of chemotherapy and hormonal therapy for early breast cancer on recurrence and 15-year survival: an overview of the randomised trials. Lancet. 2005; 365(9472): 1687-717.
  2. Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group (EBCTCG). Comparisons between different polychemotherapy regimens for early breast cancer: meta-analyses of long-term outcome among 100,000 women in 123 randomised trials. Lancet. 2012; 379(9814): 432-44.
  3. Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group (EBCTCG). Aromatase inhibitors versus tamoxifen in early breast cancer: patient-level meta-analysis of the randomised trials. Lancet. 2015; 386(10001): 1341-52.
  4. Focke CM, van Diest PJ, Decker T. St Gallen 2015 subtyping of luminal breast cancers: impact of different Ki67-based proliferation assessment methods. Breast Cancer Res Treat. 2016; 159(2): 257-63.
  5. Harris LN, Ismaila N, McShane LM, et al. Use of Biomarkers to Guide Decisions on Adjuvant Systemic Therapy for Women With Early-Stage Invasive Breast Cancer: American Society of Clinical Oncology Clinical Practice Guideline. J Clin Oncol. 2016; 34(10): 1134-50.
  6. Duffy MJ, Harbeck N, Nap M, et al. Clinical use of biomarkers in breast cancer: Updated guidelines from the European Group on Tumor Markers (EGTM). Eur J Cancer. 2017; 75: 284-298.
  7. http://www.e-cancer.fr
  8. Cardoso F, van't Veer LJ, Bogaerts J, et al. 70-Gene Signature as an Aid to Treatment Decisions in Early-Stage Breast Cancer. N Engl J Med. 2016; 375(8): 717-29.
  9. Sparano JA, Gray RJ, Makower DF, et al. Prospective Validation of a 21-Gene Expression Assay in Breast Cancer. N Engl J Med. 2015; 373(21): 2005-14.
  10. Giuliano AE, Connolly JL, Edge SB, et al. Breast Cancer-Major changes in the American Joint Committee on Cancer eighth edition cancer staging manual. CA Cancer J Clin. 2017: epub.
  11. Buus R, Sestak I, Kronenwett R, et al. Comparison of EndoPredict and EPclin With Oncotype DX Recurrence Score for Prediction of Risk of Distant Recurrence After Endocrine Therapy. J Natl Cancer Inst. 2016; 108 (11): epub.
  12. Bartlett JM, Bayani J, Marshall A, et al. Comparing Breast Cancer Multiparameter Tests in the OPTIMA Prelim Trial: No Test Is More Equal Than the Others. J Natl Cancer Inst. 2016; 108(9): epub.