Exploration du creux axillaire dans le cancer du sein : limites et actualités

Le cancer du sein représente actuellement environ 48000 nouveaux cas par an en France (1). Cet accroissement d’incidence s’est accompagné d’une désescalade chirurgicale notamment axillaire. Ainsi, depuis le début des années 2000, la technique du ganglion sentinelle (GS) est devenue le standard dans la prise en charge chirurgicale axillaire du cancer du sein localisé en l’absence d’adénopathie métastatique à l’examen clinique (2). Cette technique qui a remplacé le curage axillaire (CA) a permis de réduire de façon significative la morbidité de la chirurgie axillaire (3) sans impact négatif sur la survie (4). En France, cette technique a longtemps été limitée aux tumeurs du sein de moins de 15-20 mm, et ce n’est que depuis 2011 que les indications se sont étendues aux lésions invasives uniques du sein T1-T2N0 après la publication des Recommandations pour la Pratique Clinique (RPC) de Nice-Saint-Paul de Vence (5). Après cette « révolution » chirurgicale axillaire pour les cancers du sein T1-T2N0, le maintien du CA complémentaire en cas de GS métastatique semblait indiscutable, en tout cas pendant encore de nombreuses années. Pourtant, depuis maintenant 3 ans suite à la publication tout d’abord des résultats de l’essai américain ACOSOG Z-0011 puis ceux des italiens (IBCSG 23-01), le CA a aussi été remis en cause en cas de GS métastatique non seulement en cas de micrométastases ou de cellules tumorales isolées (CTI) mais aussi en présence de macrométastases (6-7). Même si le bénéfice en termes de morbidité est évident en faveur de la technique du GS, il est légitime pourtant de s’interroger sur le risque potentiel encouru par les patientes ayant un GS métastatique ne bénéficiant pas de CA complémentaire. Ces deux essais prospectifs randomisés, discutables sur le plan méthodologique, n’ont pas montré de bénéfice au CA par rapport à l’abstention. Ces résultats confirment finalement ceux du de l’essai historique du NSABP-B04 évaluant l’effet supposé thérapeutique du CA. En effet, cet essai avait montré à la fin des années 70 que dans une population sans envahissement ganglionnaire clinique traitée par mastectomie sans traitement médical complémentaire (ni hormonothérapie ni chimiothérapie), malgré un taux d'envahissement axillaire de 40%, le taux observé de récidive axillaire (RA) des patientes traitées par mastectomie sans CA était de 7% à 25 ans contre 5% après mastectomie-CA et 1% après mastectomie suivie de radiothérapie axillaire, sans différence statistiquement significative, et surtout qu’il n’y avait pas d’impact négatif sur la survie globale (SG) et la survie sans récidive (SSR) à 10 ans et à 25 ans.

Par ailleurs, l’utilité de la connaissance complète du statut ganglionnaire axillaire par le CA  est également discutable depuis que l’impact du statut ganglionnaire sur la décision de traitement complémentaire est clairement moins évident aujourd’hui que par le passé depuis que les critères biologiques de la tumeur sont désormais pris en compte (8).

Depuis la publication de ces deux essais (ACOSOG et IBCSG), les sociétés savantes américaines (NCCN) et européennes (Saint-Gallen) recommandent de ne plus réaliser de CA complémentaire en cas de GS micrométastatique mais également macrométastatique en respectant les « critères d’inclusion » de l’ACOSOG Z0011 (traitement conservateur du sein, et une radiothérapie de l’ensemble du sein, et la prescription d’un traitement adjuvant [chimiothérapie et/ou hormonothérapie] et moins de 3 GS envahis quelque soit la taille de la métastase) (9,10). De plus, en 2014, les recommandations internationales sur les indications de la biopsie du GS ont également confirmé l’omission d’un CA complémentaire en cas de GS métastatique en respectant les critères d’inclusion de l’ACOSOG (11).

Finalement, les études publiées à ce jour qui comportent désormais un nombre important de patientes et un recul maintenant bien au-delà de 5 ans ne montrent pas d’impact négatif sur la survie ni d’augmentation significative du taux de récidive locale après abstention chirurgicale axillaire en cas de GS micrométastatique. Même si la méthodologie de l’ACOSOG Z0011 ayant conduit à modifier les pratiques de nombreuses équipes à travers le monde est discutable, il n’en reste pas moins vrai que le niveau de preuve scientifique actuel est bien supérieur à celui dont nous disposions en 2005 lorsque les recommandations françaises avaient validé le GS en routine comme option à la place du CA.

Cependant, même si la désescalade chirurgicale de l’aisselle est irréversible, il convient de rester prudent sur les conséquences inconnues d’une désescalade thérapeutique générale dans la prise en charge du cancer du sein.

 

Références

  1. Evolution de l’incidence et de la mortalité par cancer en France entre 1980 et 2012. InVS. http://www.invs.sante.fr/Espace-presse/Communiques-de-presse/2013/Evolu….
  2. Giuliano AE, Kirgan DM, Guenther JM, Morton D. Lymphatic mapping and sentinel lymphadenectomy for breast cancer. Ann Surg 1994;220:391-8.
  3. Verbelen H, Gebruers N, Eeckhout FM, Verlinden K, Tjalma W. Shoulder and arm morbidity in sentinel node-negative breast cancer patients: a systematic review. Breast CancerRes Treat 2014.
  4. Krag DN, Anderson SJ, Julian TB et al. Sentinel-lymph-node resection compared with conventional axillary-lymph-node dissection in clinically node-negative patients with breast cancer: overall survival findings from the NSABP B-32 randomized phase 3 trial. Lancet Oncol 2010;11: 927–33.
  5. Barranger E, Classe JM, Clough KB, Giard S, Houvenaeghel G, Nos C. Veille bibliographique et recommandation. Chirurgie du sein et axillaire. RPC Nice-Saint-Paul de Vence 2011. Oncologie 2011;13:727-54.
  6. Giuliano A, Hunt K, Ballman K et al. Axillary Dissection vs No Axillary Dissection in Women With Invasive Breast Cancer and Sentinel Node Metastasis: A Randomized Clinical Trial. JAMA 2011;305:569-75.
  7. Galimberti V, Cole BF, Zurrida S et al. International Breast Cancer Study Group Trial 23-01 investigators. Axillary dissection versus no axillary dissection in patients with sentinel-node micrometastases (IBCSG 23-01): a phase 3 randomised controlled trial.Lancet Oncol 2013;14:297-305.
  8. Goldhirsch A, Ingle JN, Gelber RD, Coates AS, Thürlimann B, Senn HJ; Panel members. Thresholds for therapies: highlights of the St Gallen International Expert Consensus on the primary therapy of early breast cancer 2009. Ann Oncol2009;20:1319-29.
  9. NCCN guidelines. [http://www.nccn.org/professionals/physician_gls/f_guidelines.asp#site].
  10. Goldhirsch A, Wood WC, Coates AS, Gelber RD, Thürlimann B, Senn HJ; Panel members. Strategies for subtypes--dealing with the diversity of breast cancer: highlights of the St. Gallen International Expert Consensus on the Primary Therapy of Early Breast Cancer 2011. Ann Oncol2011;22:1736-47.
  11. LymanGH, Temin S, Edge SB, et al. Sentinel lymph node biopsy for patients with early-stage breast cancer: american society of clinical oncology clinical practice guideline update. J Clin Oncol2014;32:1365-83.