Grippe A/H1N1 pendant la grossesse en France : et si on faisait le point ?

Lecture critique de l’article : Dubar et al. French experience of 2009 A/A/H1N1v influenza in pregnant women. Plos One 2010; 5(10): e13112.

La pandémie de grippe A/H1N1 aura fait couler beaucoup d’encre et suscité de nombreux commentaires. Parce qu’elle a été annoncée comme particulièrement redoutable chez la femme enceinte, le CNGOF avait très rapidement édité des recommandations ayant permis de guider les médecins dans la prise en charge des cas survenant au cours d’une grossesse. À ce jour, l’efficacité des mesures mises en œuvre pour la gestion de cette pandémie reste discutée et un bilan objectif nécessaire.

Pendant la pandémie de grippe A/H1N1, l’Institut National de Veille Sanitaire (InVS) a recensé tous les cas, qu’ils soient confirmés par RT-PCR ou simplement suspectés sur des signes d’appel cliniques, survenus dans la population française. Ce recueil s’est achevé le 2 novembre 2009 ; la surveillance n’était maintenue que pour les cas les plus graves, c’est-à-dire ceux nécessitant une hospitalisation en unité de soins intensifs (USI). Si ce recueil a permis le monitorage de la pandémie sur le territoire français, parce que ce n’était pas son objectif, il n’a pas permis l’analyse du sous-groupe des femmes enceintes, à l’exception de celles ayant été hospitalisées en USI. Il ne permettait pas non plus l’analyse et la mise en évidence des facteurs de risque de sévérité au sein de cette population, aussi bien en terme de devenir maternel que néonatal. Afin de palier aux déficiences du recueil de données constitué par l’InVS, quatre associations médicales (CNGOF, SFAR, SRLF et SPILF) se sont groupées pour constituer un recueil national recensant tous les cas de grippe A/H1N1 survenus chez la femme enceinte pendant la pandémie sur le territoire français : la « base de données R3G ». Ainsi, du 1er août au 31 décembre 2009, les médecins français étaient invités à déclarer auprès de ce recueil national tous les cas de grippe A/H1N1 confirmés par RT-PCR survenus chez des femmes enceintes ou en post-partum. Etaient considérées comme étant dans la période du post-partum, touts les femmes dont les symptômes grippaux étaient apparus de 48 heures à 6 semaines après leur accouchement. Pour chaque cas, l’ensemble des données maternelles et du devenir maternel obstétrical et néonatal étaient renseignés. Ce sont les données de ces patientes qui sont présentées dans cet article.

Au total, 315 cas de grippe A/H1N1 survenus chez des femmes enceintes ont été recensés. Quatre patientes ont développé une grippe A/H1N1 malgré avoir été vaccinées. Elles avaient toutes été vaccinées moins de 10 jours avant l’apparition de leurs premiers symptômes grippaux. La large majorité des cas sont survenus sur la période allant de fin octobre 2009 à début décembre 2009. Au total, 164 (52 %) patientes ont été prises en charge en ambulatoire (formes mineures) ; 111 (35 %) ont été hospitalisées pour surveillance dans un service médical ou dans un service d’obstétrique (formes modérées) et 40 (13 %) ont été hospitalisées en USI (formes sévères). Parmi les 40 formes sévères, 10 (25 %) avaient accouché avant leur admission. La quasi-totalité (95 %) des hospitalisations en USI était motivée par une détresse respiratoire maternelle. Une dysfonction cardiaque a été observée chez 17 (43 %) d’entre elles. Il s’agissait quasi exclusivement d’atteintes associées à une détresse respiratoire ; seule une patente a présenté ou myocardite virale isolée. Une ventilation mécanique a été nécessaire dans 20 (50 %) cas pour un délai médian de 13 jours (min-max : 2-55 jours).

Les femmes ayant nécessité une hospitalisation étaient significativement plus à même d’être en fin de grossesse. Ainsi, 109 (66 %) patientes prises en charge en ambulatoire étaient au premier ou second trimestre de leur grossesse alors que 87 (78 %) patientes hospitalisées en service médical ou obstétrical et 27 (68 %) patientes hospitalisées en USI étaient au troisième trimestre de leur grossesse, respectivement (p<0,001). Si aucune co-morbidité n’était rapportée pour la plupart des formes mineures et modérées de la maladie, 71 et 73%, respectivement, plus de la moitié (58 %) des patientes présentant une forme sévère de la maladie avaient une co-morbidité (p<0,001). Sur l’ensemble des patientes, les co-morbidités les plus fréquentes étaient l’asthme (9 %) et l’obésité (12 %). Alors que la prévalence de l’obésité n’était pas significativement différente entre les trois groupes de patientes, les maladies respiratoires chroniques étaient significativement plus fréquentes parmi les patientes ayant nécessité une hospitalisation en USI : 20 (7,3 %) vs. 11 (27,5 %), respectivement (p<0,001). La totalité des patientes ayant présenté une forme sévère ont reçu un traitement antiviral par OSELTAMIVIR (Tamiflu®) seul ou associé à du ZANAMIVIR (Relenza®) dans deux cas. Néanmoins, le délai médian d’instauration de ce traitement était de plus de 48 heures (3 jours ; min-max : 0-18 jours) pour plus de la moitié (55 %) des patientes ayant été hospitalisées en USI alors que 88 % des patientes ayant présenté une forme mineure et 80 % des celles ayant fait une forme modérée avaient été traités dans les 48 heures suivant l’apparition des symptômes. En analyse multivariée, l’existence d’une co-morbidité apparaissait comme un facteur de risque indépendant de forme sévère nécessitant une hospitalisation en USI : Adjusted Odds Ratio (AOR) : 5,1 ; Intervalle de Confiance à 95 % (IC à 95 %) : 2,2-11,8. L’autre facteur de risque indépendant était le retard à l’instauration du traitement antiviral. Ce risque augmentait avec le délai d’instauration du traitement : AOR : 4,8 pour un traitement démarré 3 à 5 jours après l’apparition des premiers symptômes (IC à 95 % : 1,9-12,1) et AOR : 61,2 si le traitement est démarré plus de 5 jours après le début des symptomes (IC à 95 % : 14,4-261,3).

Par rapport aux autres, les femmes enceintes ayant présenté une forme sévère ont reçu une corticothérapie de maturation pulmonaire fœtale significativement plus fréquemment : 4 (1,5 %) vs. 10 (26 %), respectivement (p<0,001). Seules 8 patientes ont présenté une menace d’accouchement prématuré. Il s’agissait exclusivement de patientes présentant une forme modérée. Si les cas ayant fait indiquer un déclenchement du travail étaient particulièrement rares, une césarienne a été réalisée dans près de la moitié des patientes ayant été hospitalisées en USI : 1 (0,4 %) vs. 17 (44 %), respectivement (p<0,001). La quasi-totalité de ces césariennes a été réalisée pour hypoxémie ou aggravation de l’état clinique maternel. Treize (76,5 %) d’entre elles ont été réalisées avant 37 SA : 1 avant 29 SA, 4 entre 29 et 31 SA et 8 entre 32 et 36 SA. Sur les 17 césariennes, 13 ont été réalisées avant 37 SA : 1 avant 29 SA, 4 entre 29 et 31 SA et 8 entre 32 et 36 SA.

Au total, 3 patientes sont décédées, soit 0,95 % de l’ensemble des patientes recensées et 7,5 % de celles ayant présenté une forme sévère. Deux étaient au troisième trimestre de grossesse et une au second. Ces trois patientes avaient toutes une co-morbidité : une avait une obésite morbide (IMC = 31 kg/m2), une autre avait une microangiopathie thrombotique sévère et la dernière avait une sténose valvulaire mitrale associée à une insuffisance aortique.

Malgré sa qualité, la base de données R3G reste limitée par la possibilité d’un biais de recrutement essentiellement lié au risque d’une déclaration non exhaustive des cas. On peut aussi s’interroger sur la qualité du recueil des informations concernant les patientes ayant présenté une forme mineure et traitées en ambulatoire pour lesquelles un moins bon monitorage des symptômes et de l’évolution est probable. Enfin, même si les auteurs précisent que la morbidité néonatale était très faible, se résumant principalement aux quelques cas de naissance prématurée par césarienne pour aggravation de l’état respiratoire maternel, on ne peut que regretter que le devenir néonatal soit aussi peu détaillé. Néanmoins, cette série constitue à ce jour la plus importante série européenne de cas de grippe A/H1N1 chez la femme enceinte. La qualité du recueil des informations concernant ces patientes peut également être appuyée par le fait que, dans son recueil des cas de grippe A/H1N1 sur la même période, l’InVS a rapporté le même nombre de décès survenus chez des femmes enceintes, c’est-à-dire 3 cas. Quoi qu’il en soit, cette publication nous apporte des informations essentielles sur la grippe A/H1N1 chez la femme enceinte et donne aux cliniciens un recul nécessaire sur cette pandémie et la gestion de ces patientes. Ainsi, et en accord avec les résultats d’études précédentes ayant justifié la mise en place des recommandations du CNGOF, cette étude confirme que la grossesse est un facteur de risque de forme sévère de la grippe A/H1N1 et en particulier le troisième trimestre. Par contre, et à la différence des études précédemment réalisées dans d’autres pays, les femmes enceintes françaises n’étaient pas exposées à une surmortalité. Plusieurs explications peuvent être avancées. La première est que cette cohorte de patiente souffrait de moins de co-morbidité que celles d’autres études. En particulier, les cas d’obésité et d’asthme étaient beaucoup plus rares que dans les séries américaines et australiennes. Ces résultats montrent que la précocité d’instauration du traitement antiviral permet de prévenir la survenue de formes graves, il est donc probable que la précocité d’instauration du traitement antiviral chez les femmes enceintes, conformément aux recommandations du CNGOF, ait permis de réduire la mortalité liée à cette maladie et explique en partie ces résultats. Enfin, la facilité d’accès aux soins en France et la large adhésion du corps médical aux recommandations concernant la prise en charge de ces patientes peut finir d’expliquer cette faible mortalité.

En conclusion, en France, la pandémie grippale A/H1N1 chez la femme enceinte a entraîné, comme annoncé par les premières études, une surmorbidité maternelle se traduisant par une proportion non négligeable de cas nécessitant une hospitalisation en USI. Ceci concernait plus particulièrement les femmes au troisième trimestre de grossesse, celles pour lesquelles le traitement antiviral a tardé a être instauré ou celles présentant une co-morbidité. On ne peut que se féliciter que la mortalité des femmes enceintes française ait été inférieure à celle rapportée dans d’autres pays développés. Il est hautement probable que ce résultat soit la conséquence de l’application massive des recommandations du CNGOF. Celles-ci ont probablement permis de sauver la vie de quelques unes de nos patientes.

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