Évaluation des experts en obstétrique français devant les tribunaux : ce que tout obstetricien devrait savoir

Une fois n’est pas coutume, c’est un article que notre équipe vient de publier dans l’American Journal of Obstetrics and Gynecology que je vous commente ce mois-ci. Dans cette étude, nous avons évalué la reproductibilité intra et inter-observateur des experts français en gynécologie obstétrique lorsqu’ils analysent la prise en charge d’un accouchement ayant présenté des anomalies du rythme cardiaque fœtal (ARCF) pendant le travail. En pratique, cette étude s’est déroulée en deux phases. Dans un premier temps, nous avons inclus de manière prospective 30 accouchements de grossesses monofoetales à terme et ayant présenté des ARCF pendant le travail ayant duré au moins une heure et ce quel que soit le mode de naissance réalisé (voie basse ou césarienne). Parmi les 30 cas sélectionnés, 10 ont présenté une issue néonatale défavorable : 6 avaient un pH artériel ombilical à la naissance <7.00, 8 avaient un excès de base >12 et 4 avaient un score d’Apgar ≤3 à 5 minutes de vie. Une ventilation et/ou une intubation a été nécessaire pour 14 (46,7 %) nouveaux nés et 6 (20 %) ont été admis en réanimation. Ces dossiers ont ensuite été soumis à l’analyse d’experts  des tribunaux français en obstétrique. La totalité des 116 experts enregistrés près de la cours d’appel française et auprès du comité de conciliation et de compensation ont été contacté en vue de participer à cette étude. Au total, ce sont 22 (18,9 %) experts provenant de 20 centres français différents qui ont participé à notre étude. Tous ont eu à analyser chacun des 30 dossiers à deux reprises. La première analyse était réalisée en aveugle, c’est à dire sans aucune information sur l’issue néonatale. La seconde analyse était réalisée 3 mois plus tard, mais cette fois-ci, les experts étaient informés de l’issue néonatale. Un délai de 3 mois a été imposé entre les deux analyses et l’ordre dans lequel les dossiers étaient proposés était différent d’une analyse à l’autre. Pour chaque dossier et chaque analyse, les experts recevaient une copie à l’échelle de la totalité de l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal, du partogramme ainsi qu’une synthèse du dossier obstétrical.

Au total, ce sont 1320 analyses de dossiers obstétricaux qui ont été réalisées par les experts : 660 en aveugle et 660 en connaissance de l’état néonatal. Nos résultats montrent que, comparé à l’analyse en aveugle, les experts étaient significativement plus souvent d’accord avec la prise en charge obstétricale réalisée (p<0,001) et avec le mode de naissance choisi (p<0,001) lorsqu’ils étaient informés de l’issue néonatale.  La connaissance de l’issue néonatale diminuait également significativement la probabilité qu’ils concluent qu’une erreur avait été faite (p<0,001) ou d’établir un lien de causalité entre la prise en charge et la survenue d’une éventuelle infirmité motrice cérébrale (p=0,003). La concordance intra-observateur pour l’analyse des ARCF et de la prise en charge obstétricale était médiocre (kappa : 0,46-0,51 et 0,48-0,53, respectivement). La concordance inter-observateur pour l’analyse des ARCF était mauvaise et n’était pas significativement modifiée par la connaissance de l’issue néonatale (kappa : 0,11-0,18). Enfin,  la concordance inter-observateur pour la prise en charge obstétricale était également mauvaise (kappa : 0,08-0,19) mais était légèrement améliorée par la connaissance de l’issue néonatale (kappa : 0,15 to 0,32).

Alors que retenir de ces résultats ? Tout d’abord, que l’avis des experts n’est pas reproductible que ce soit pour l’analyse des ARCF, mais aussi pour la prise en charge obstétricale réalisée et des décisions prises. Mais surtout, que l’analyse d’un dossier va énormément différer d’un expert à l’autre, sans réelle reproductivité de leurs analyses. Ce dernier point est fondamental pour les obstétriciens, mais également pour les juges, les avocats, les experts eux mêmes et enfin également pour les patientes. Bien sur, on peut reprocher à cette étude de n’avoir utilisé que des dossiers sélectionnés à partir de la pratique obstétricale courante et de ne pas avoir utilisé de « vrais dossiers » pour lesquels une plainte a été déposée. On peut ainsi souligner que seuls les 10 dossiers avec une issue néonatale défavorable pourraient faire l’objet d’une plainte. Néanmoins, il est intéressant de souligner que les résultats n’étaient pas significativement différent pour ces 10 dossiers et pour les 20 pour lesquels les ARCF ne résultaient pas d’une issue néonatale défavorable.

En pratique, l’analyse rétrospective d’un dossier par un expert devant les tribunaux n’est pas ou très peu reproductible et reste un avis qui, s’il est informatif, est malheureusement trop subjectif pour permettre une décision impartiale. Il est important que les obstétriciens disposent de ces données pour pouvoir se défendre en cas de litige.

Pour en savoir plus

  1. Sabiani L, Le Dû R, Loundou A, d'Ercole C, Bretelle F, Boubli L, Carcopino X. Intra- and interobserver agreement among obstetric experts in court regarding the review of abnormal fetal heart rate tracings and obstetrical management. Am J Obstet Gynecol. 2015 ;S0002-9378(15)01014-5.

 

 
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