Échecs répétés d’implantation embryonnaire : l’impasse ?

RECURRENT IMPLANTATION FAILURE IN IVF:
A CANADIEN FERTILITY AND ANDROLOGY SOCIETY CLINICAL PRACTICE GUIDELINE

Talys SHAULOW, Sony SIERRA, Camille SYLVESTRE
(RMBO Volume 41  Issue 5 2020)

Les auteurs rapportent les recommandations de la « Canadian Fertility and Andrology Society » (CFAS) émises dans le cadre des échecs répétés d’implantations embryonnaires (recurrent implantation failure  - RIF).
Les échecs répétés d’implantations embryonnaires réalisées dans le cadre des protocoles de fécondation in vitro (FIV) restent une des énigmes et problèmes les plus complexes posés aux cliniciens et biologistes de la reproduction chez des couples traités pour infertilité.

INTRODUCTION

Le succès d’une implantation requiert un blastocyste « compétent », un endomètre réceptif et un « dialogue synchrone » entre le tissu utérin maternel et le tissu embryonnaire.

Dans les RIF, qui est coupable ?
Comment définir les échecs répétés d’implantation embryonnaire ?
Les définitions des RIF restent très hétérogènes dans la bibliographie : il est classique de définir l’implantation par un diagnostic échographique de sac gestationnel intra-utérin ; néanmoins, dans certaines études, un test plasmatique de béta-HCG positif peut refléter l’initiation d’une implantation.
A partir de quel nombre peut-on parler d’échecs répétés ? Doit-on différencier l’échec d’implantation d’embryon au stade J2-J3 ou de blastocyste ?

La plupart des études évoquent des échecs répétés d’implantation après 2 ou 3 tentatives de transfert embryonnaire/blastocyste.
On peut exclure de la définition des RIF les cas de chirurgie utérine préalable à la FIV, comme les hydrosalpinx ou les lésions endo-utérines déformant la cavité utérine.
Les auteurs insistent également sur l’aspect psychologique et émotionnel, voire la fragilité des couples après des échecs répétés d’implantation embryonnaire.

La valeur de chaque test préconisé 

L’hystéroscopie permet d’évaluer la qualité de la cavité utérine ; c’est l’un des examens les plus réalisés pour les patientes ayant présenté des RIF.
L’hystéroscopie permet le diagnostic et le traitement de pathologies intra-utérines qui n’ont pas été décelées par l’échographie vaginale ou d’autres examens comme l’IRM ou l’hystérographie, tels que polypes, synéchies, fibromes.
Pour certains auteurs (NEGM 2012, REDO 2016), il est rare que l’hystéroscopie retrouve des anomalies lorsque les examens préalables tels que l’IRM ou l’écho-sonoscopie n’ont pas montré de lésion.
L’étude TROPHY est une analyse multicentrique randomisée permettant de bien juger des résultats de l’hystéroscopie chez des patientes ayant présenté des RIF.
L’hystéroscopie a été réalisée chez 350 patientes ayant eu 2 à 4 transferts embryonnaires sans succès / 352 contrôles sans hystéroscopie.
Des lésions ont été trouvées chez 24 % des patientes ayant subi une hystéroscopie préalable avec un pourcentage de lésions pouvant être traitées de seulement 4 %.
Les auteurs de cette étude randomisée ne retrouvent aucune différence significative en termes d’accouchement et de naissance d’enfants vivants, quel que soit le groupe.
Pour la CFAS, l’indication d’une hystéroscopie dans le cadre d’échecs répétés d’implantation n’est pas justifiée.

Bilan de thrombophilie
La recherche d’anomalie de coagulation chez les patientes présentant des RIF a été largement influencée par les résultats décelés sur les fausses couches spontanées à répétition puisqu’un mécanisme de complication de grossesse a été montré chez les porteurs d’anomalies de la coagulation ou de mutation telles que les mutations de facteur V de Leyden, de gène de prothrombine ou de mutation des gènes MTHFR.
Des équipes ont suggéré que les échecs d’implantation dans ces cas là pouvaient être dus à une réceptivité moindre des vaisseaux de la déciduale ou du chorion, avec en corollaire une réduction de « l’invasion trophoblastique » nécessaire à l’implantation embryonnaire.
Les auteurs notent néanmoins qu’il s’agissait souvent d’études présentant des cohortes faibles.
L’étude la plus importante publiée par STEINVIL en 2012 portait de façon rétrospective sur 594 patientes présentant en moyenne 7 échecs de FIV, ayant eu un bilan de coagulation.
La cohorte de contrôle était composée de 630 patientes.
Les auteurs de cette étude n’ont pas retrouvé de pathologie de thrombophilie associée avec des RIF, après avoir testé les protéines C, protéines S, les anticoagulants lipiques, les antiphospholipides ou les mutations de gène de prothrombine.
Ainsi, dans les recommandations, il n’est pas justifié de pratiquer de bilan de coagulation en l’absence d’évidence suffisante.

Aspect immunitaire
Les cellules déciduales de l’endomètre jouent un rôle crucial dans l’implantation embryonnaire et sont capables de réguler l’invasion trophoblastique et de moduler la réponse immunitaire maternelle au niveau utérin.
De nombreuses études (MATTEO 2013, LIANG 2015) ont montré le rôle des facteurs « pro-inflammatoires », tels que l’IFN gamma, les interleukines, pouvaient être augmentés, tandis que des facteurs tels que le TGF-béta-1 était diminué dans le sang périphérique de patientes présentant des échecs répétés d’implantation.
Les auteurs ne retrouvent pas d’étude démontrant un niveau de preuve suffisant de résultats concernant les recherches au niveau plasmatique.

NDLR : les études récentes menées par le groupe de recherche de Nathalie LEDEE portent sur l’analyse de la réceptivité immunitaire au niveau de l’endomètre, jugée par des biopsies en phase lutéale et montrant que des profils immunitaires, soit de suractivation des cellules natural killer, soit de moindre activation de ces cellules, pouvaient  être mis en cause et traités : une large étude randomisée est en cours, il s’agit du matricelab.

Analyse des caryotypes chez les couples

Dans la population présentant des RIF, les anomalies les plus fréquemment rencontrées sont des translocations de type robertsonien (anomalies retrouvées chez 3,2 % couples / 0,3 % des couples infertiles ayant présenté des grossesses évolutives).
L’étude de DE SUTTER (2012) a analysé les caryotypes de 317 femmes et 298 hommes ayant présenté 3 échecs d’implantation embryonnaire après ICSI.
Des anomalies chromosomiques ont été retrouvées chez 2,1 % des femmes et 1,7 % des hommes, ce qui est significativement plus élevé que chez des patientes présentant une fonction ovulatoire normale.
Les auteurs relèvent néanmoins que les données publiées représentent une cohorte relativement faible.
Recommandations : le niveau de preuve de l’intérêt de pratiquer un caryotype chez les couples ayant des RIF est faible.

Fragmentation du DNA spermatique

La fragmentation du DNA spermatique traduisant un « stress oxydatif au niveau des spermatozoïdes » a été incriminée dans le risque de fausses couches spontanées (SIMON et all. 2017) mais l’association avec des échecs répétés d’implantation n’a pas encore été prouvée.
Les recommandations de l’ASRM jugent utiles d’étudier la fragmentation du DNA spermatique avant une FIV dans les altérations modérées ou importantes du spermogramme (niveau de preuve suffisant).
D’autres études (COUGHLAN et coll. 2015) n’ont pas retrouvé ces résultats, mais il s’agissait d’études prospectives et de faibles cohortes.
 

Endométrite chronique chez les patientes avec RIF

Les auteurs n’ont pas retrouvé d’études randomisées concernant à la fois le diagnostic souvent imprécis d’endométrite et la valeur des traitements en cas de RIF.
L’absence de qualité des études (cohortes faibles, billets de recrutement…) donne un niveau de preuve insuffisant en ce qui concerne le « screening » pour les endométrites chroniques (NDLR : bien que ces examens soient fréquemment réalisés de façon empirique).

Evaluation de la fenêtre d’implantation dans les cas de RIF

La synchronisation entre la réceptivité de l’endomètre et l’implantation de l’embryon est un des éléments clé de la réussite de l’implantation embryonnaire.
En pratique, le transfert des blastocystes après FIV est réalisé au 5e jour après le recueil ovocytaire et après 5 à 6 jours de traitement de progestérone.
Plus que l’évaluation histologique, deux types de tests analysant la réceptivité de l’endomètre par une étude génomique spécifique semblent avoir apporté des réponses plus précises.
Ces tests sont le « win test » mis au point par l’équipe du Professeur S. HAMAMA (Université de MONTPELLIER) et le test ERA par l’équipe de recherche de l’Université de VALENCE.
A ce jour, les auteurs rapportent trois études rétrospectives et une étude prospective non randomisée et, de ce fait, il n’y a pas encore de niveaux de preuve suffisants.

NDLR : il apparait néanmoins, à travers de nombreux cas d’échecs répétés d’implantation embryonnaire, que l’étude de la fenêtre d’implantation embryonnaire par la génomique transcriptomique soit un sujet intéressant et d’avenir.

Diagnostic génétique pré-implantatoire d’aneuploïdie

Les études sont encore insuffisantes et les cohortes trop faibles pour valider l’utilisation du diagnostic pré-implantatoire d’aneuploïdie dans le cadre des échecs d’implantation embryonnaire.

La biopsie d’endomètre ou « scratching » endométrial ou « endometrial injury » a-t-elle un intérêt dans les échecs répétés d’implantation embryonnaire ?
Cette technique très propagée repose sur le principe que « l’agression de l’endomètre », réalisée dans le cycle précédant un protocole de FIV, peut entraîner une réponse immunitaire secondaire bénéfique au niveau de l’endomètre à l’implantation embryonnaire.
Plusieurs études dont celles de GNAINSKY (2015) et VITAGLIANO (2019) laissaient supposer que la réaction immunitaire causée par cette biopsie est favorisée par le « relargage » de facteurs favorables à l’implantation : cytokine, interleukine, facteurs de croissance, macrophages et cellules dendritiques.
Ces données sont largement controversées.
Deux études randomisées réalisées par OLESEN et LENSEN (2019) n’ont montré aucune différence dans les cas traités par biopsies d’endomètre et des coupes contrôle, en termes de grossesses et d’accouchements à terme.
De ce fait, le niveau de preuve est insuffisant pour estimer valable la pratique de « l’agression endométriale » dans les cycles précédant le transfert embryonnaire en cas de RIF.

Analyse des autres recommandations

Les autres thérapeutiques dans le cadre des RIF – traitement par aspirine, traitement par anticoagulants, immunothérapie – ont été étudiées par les auteurs.
Aucune de ces thérapeutiques n’a un niveau de preuve suffisant pour être utilisée dans le cas de RIF.

CONCLUSION

Les échecs répétés d’implantation embryonnaire après traitement de fécondation in vitro sont pour les couples source d’incompréhension, d’impact psychologique majeur, sans que les cliniciens ou biologistes de la reproduction puissent souvent y apporter une réponse.
La définition  même des RIF reste hétérogène. Il est donc difficile d’établir des recommandations où les prises en charge entreprises par de nombreux centres sont basées soit sur des études de faible cohorte, soit sur des études non randomisées.
Souvent pour des raisons d’ordre psychologique, les cliniciens sont amenés à proposer des investigations (hystéroscopie, biopsie d’endomètre, étude génétique…). Il en ressort souvent des désillusions.
Néanmoins, il est primordial de ne pas « abandonner à leur sort » les couples en situation d’échec.

Une analyse rétrospective récente menée par KOOT (2019) a montré un taux cumulé de grossesses à terme de près de 49 % lorsque les couples persévèrent dans leur demande et leur traitement, sur un délai de 9 mois après que leur parcours ait été « étiqueté » comme échec répété des implantations embryonnaires.

 
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