Diagnostic prénatal en génétique, quel avenir ?

Au cours de la dernière décennie, la révolution biotechnologique représentée par le séquençage de nouvelle génération a rendu possible l’accès au génome humain de chaque individu en des temps records. Si techniquement cet outil est maitrisé par de nombreux laboratoires publics et privés, il subsiste une importante zone d’ombre dans l’interprétation des résultats, d’autant plus difficile que l’analyse est étendue et fine. En effet, il est aujourd’hui établi que le génome est extrêmement variable d’un individu à un autre et que la plupart des variations génétiques n’ont pas de signification pathologique. Ainsi, le nouveau challenge des généticiens consiste à identifier une ou plusieurs anomalies éventuellement délétères parmi un très grand nombre de variants.

Avec l’émergence de l’analyse chromosomique sur puce à ADN (ACPA), nous savons aujourd’hui que tous les individus présentent des pertes ou des gains de matériels chromosomiques. En 2005, Le Caignec et al (Le Caignec et al., 2005) ont démontré l’utilité de la réalisation de cette technique pour l’analyse des fœtus polymalformés à caryotype normal. En 2012, Shaffer et al (Shaffer et al., 2012) ont rapporté sur plus de 3500 fœtus analysés avec un caryotype normal, 5,3% de variations du nombre de copies de chromosome (CNV). En 2013, au cours d’une étude prospective où étaient réalisés de façon systématique le caryotype et l’ACPA en diagnostic prénatal, Wapner et al (Wapner et al., 2012) ont montré la présence de 2,5% (96/3822) d’anomalies non identifiées au caryotype (CNV pathogènes), avec des taux allant de 1,6% en cas de prélèvement pour un dépistage de la trisomie 21 à risque, à 6,0% en présence de SAE (Signe d’Appel Échographique). Parallèlement, plusieurs méta-analyses (Callaway et al., 2013; Hillman et al., 2013), confirmaient les données précédentes avec 10% d’anomalies chromosomiques surajoutées identifiées en cas de SAE en utilisant l’ACPA. En 2020, il est aujourd’hui admis par l’ensemble de la communauté médicale que la réalisation d’une ACPA devrait être proposée dès lors qu’un geste invasif est réalisé durant la grossesse. Dans le cas contraire, ceci pourrait être considéré comme une perte de chance pour les couples. Néanmoins, l’information sur la possibilité d’identifier un variant dont la signification sera inconnue doit être clairement faite au couple. Toutefois, le dernier texte de loi permet aux généticiens de ne pas signaler ces variants, dès lors qu’aucune modification de la prise en charge n’est envisagée.

Dès le début, les techniques de dépistage sur ADN trophoblastique ont intégré les trisomies 13, 18 et 21, ainsi que le diagnostic de sexe et des aneuploïdies des gonosomes . En France, à l’instar de très nombreux pays, le dépistage échographique est de très bonne qualité, toutes les trisomies 13 et 18 sont dépistées, et la plupart dès le 1er trimestre. L’implémentation de ces 2 trisomies ne présentent donc que peu ou pas d’intérêt. Pour le dépistage des aneuploïdies des gonosomes, une interruption médicale de la grossesse ne peut être envisagée que s’il existe des signes d’appel échographique, le pronostic étant lié à la présence des anomalies échographiques et non à la présence de l’aneuploïdie (Gruchy et al., 2014, 2016). Ainsi, ceci justifie que seule la trisomie 21 (les signes échographiques n’étant pas toujours présents) soit proposée au remboursement par la sécurité sociale, et ceci d’autant plus qu’il existe un fort taux de faux positif pour les trisomies 13, 18 et des gonosomes (Gil et al., 2017). Parallèlement à la mise en place de ce dépistage, la prise en charge a été modifiée pour les patientes. En effet, toutes patientes, avec un risque ≥ 1/1000 par le dépistage des marqueurs sériques, est désormais informée sur le test ADNlcT21. Seules les patientes pour lesquelles le risque est supérieur à 1/50 peuvent bénéficier d’un geste invasif en première intention si elle le désire, alors qu’auparavant il était proposé pour toutes les patientes ayant un risque supérieur à 1/250. Ce changement des pratiques est extrêmement bénéfique pour 2 populations de patientes : (1) celles ayant un risque entre 1/251 et 1/1000 pour lesquelles auparavant la prise en charge biologique s’arrêtait après le dépistage des marqueurs sériques; (2) les patientes ayant une grossesse multiple pour lesquelles il n’existe pas de dépistage sur marqueur sérique (Gil et al., 2019).

A l’inverse, l’impact de la modification de la prise en charge pour les patientes avec un risque compris entre 1/51 et 1/250 a-t-il été suffisamment évalué? Cette modification a été justifiée uniquement sur le risque de fausses couches secondaires à un geste invasif et estimé à 1% d’après la Haute Autorité de Santé. Or, il est admis aujourd’hui que ce risque est proche de 0,1% suite à une ponction de liquide amniotique. Par contre, une comparaison des résultats obtenus entre un test ADNlcT21 et un geste invasif n’a pas été réalisée. En effet, le test ADNlcT21 permet uniquement le dépistage de la trisomie 21, alors qu’un geste invasif permet la réalisation d’un caryotype et d’une ACPA avec un diagnostic de certitude de l’ensemble des anomalies chromosomiques. La question est donc de savoir si le recours au test ADNlcT21 pour les patientes ayant un risque entre 1/51 et 1/250, et certaines ayant un risque supérieur à 1/50, ne sera pas une perte de chance pour ces femmes due à l’absence de diagnostic d’autres anomalies chromosomiques. Les données de la littérature et de l’agence de la Biomédecine (ABM) sont très claires à ce sujet. Oui, il existe une perte de chance pour ces patientes car les données de l’ABM montrent depuis plusieurs années que 0,5% d’anomalies déséquilibrées autres que les aneuploïdies fréquentes sont identifiées dans ce groupe de patientes. Oui, il existe une perte de chances majorée si une ACPA n’est pas réalisée car si un caryotype est normal, dans environ 1,5% des cas un variant pathogènes peut être identifié.

Pour pallier à cette perte de chances, les sociétés commercialisant le test ADNlcT21 proposent dorénavant d’étendre le dépistage à un plus grand nombre de déséquilibres chromosomiques. Si cette solution parait dans un premier temps comme intéressante, elle ne prend pas en compte plusieurs données importantes pour la réalisation d’un dépistage : (1) le déséquilibre est-il fréquent dans la population générale ; (2) la pénétrance et l’expressivité du déséquilibre sont-elles constantes d’un patient à un autre ; (3) l’anomalie génétique est-elle identique chez tous les patients. Si pour la trisomie 21 l’ensemble des critères est respecté, comme pour les trisomies 13 et 18, ceci n’est absolument pas le cas pour les autres remaniements chromosomiques déséquilibrés. Pour la très grande majorité, la fréquence est extrêmement faible, et leur dépistage sera très probablement source de nombreux faux positifs à l’origine d’une augmentation du nombre de gestes invasifs, un paradoxe par rapport au cahier des charges initial… Seul le dépistage des anomalies de la région 22q11.2 (Syndrome de Di George) pourrait être envisagé étant donné leur fréquence dans la population générale. Mais l’intérêt de ce dépistage semble mince sachant que: (1) lorsqu’elle est identifiée en diagnostic prénatal la délétion est héritée de parents ne se sachant pas porteur de la délétion dans 13% des cas (Besseau-Ayasse et al., 2014) et la duplication dans 65% des cas (Dupont et al., 2015) ; (2) il n’existe pas d’homogénéité génétique, le dépistage d’emblée sera de fait impossible dans un grand nombre de cas. Ainsi, en prenant en compte les études déjà réalisées sur le dépistage de ces anomalies montrant plus de 75% de faux positifs et sur la faible fréquence des anomalies dans la population générale, l’ensemble des sociétés savantes s’accordent sur le fait qu’il ne faut pas dépister plus d’anomalies chromosomiques par le DPNI. Le challenge des prochains mois sera donc de ne pas proposer ce dépistage malgré la pression des couples suite au matraquage médiatique qui est réalisé par les sociétés commerciales qui fabriquent ou réalisent ces analyses sous prétexte d’une meilleure prise en charge qui n’a jamais été démontrée.

Au total, il est urgent de nous réapproprier, généticiens et gynécologues, l’évolution et l’implémentation des nouvelles techniques de diagnostic prénatal. Ceci est d’autant plus urgent que déjà, ces mêmes sociétés commerciales sont sur le point de pouvoir séquencer l’intégralité du génome fœtal à partir d’une simple prise de sang maternel, sans pour autant maitriser l’interprétation des variants identifiés. La recherche de toutes les anomalies génétiques en anténatal risque de nous conduire de façon inexorable sur un chemin que nous ne voulons pas emprunter. L’intérêt de l’individu à naitre doit primer sur l’intérêt commercial, à nous de faire en sorte que cela soit le cas… La maitrise des technologies et de leurs conséquences est un enjeu majeur des prochaines années. A nous d’y prendre garde, afin de ne pas laisser à des personnes sans compétence particulière ou à des médias, le contrôle de la politique anténatale en France.

Références
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Gruchy N, Vialard F, Blondeel E, Le Meur N, Joly-Hélas G, Chambon P, Till M, Herbaut-Graux M, Vigouroux-Castera A, Coussement A, et al. Pregnancy outcomes of prenatally diagnosed Turner syndrome: a French multicenter retrospective study including a series of 975 cases. Prenat Diagn 2014;34:1133–1138.
Hillman SC, McMullan DJ, Hall G, Togneri FS, James N, Maher EJ, Meller CH, Williams D, Wapner RJ, Maher ER, et al. Use of prenatal chromosomal microarray: prospective cohort study and systematic review and meta-analysis. Ultrasound Obstet Gynecol Off J Int Soc Ultrasound Obstet Gynecol 2013;41:610–620.
Le Caignec C, Boceno M, Saugier-Veber P, Jacquemont S, Joubert M, David A, Frebourg T, Rival JM. Detection of genomic imbalances by array based comparative genomic hybridisation in fetuses with multiple malformations. J Med Genet 2005;42:121–128.
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Wapner RJ, Martin CL, Levy B, Ballif BC, Eng CM, Zachary JM, Savage M, Platt LD, Saltzman D, Grobman WA, et al. Chromosomal microarray versus karyotyping for prenatal diagnosis. N Engl J Med 2012;367:2175–2184.

 

François Vialard1,2,3, Rodolphe Dard1,2,3, Bérénice Hervé1,2,3, Christelle Le Sciellour1, Valérie Serazin1,2,3

1 : Fédération de Génétique, CHI de Poissy St Germain en Laye

2 : UFR Simone Veil Santé, UVSQ, Montigny le bretonneux
3 : UMR-BREED, Université Paris Saclay

 
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