Suspicion de torsion annexielle : utilité d’un rapport d’expertise privé

Arrêt Cour d’appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 15 octobre 2024, n° 22/00771

Arrêt intéressant qui annule un précédent jugement ayant retenu, conformément aux conclusions d’un rapport d’expertise judiciaire, la responsabilité d’un chirurgien gynécologue intervenu en urgence de nuit et réalisé une coelioscopie ayant permis d’éliminer une suspicion de torsion annexielle.

La Cour d’appel de Bordeaux rappelle que le juge n’est pas tenu par les conclusions du rapport d’expertise judiciaire dont il lui appartient d’apprécier la pertinence à la fois interne et au regard de l’ensemble des éléments versés aux débats et par ailleurs qu’il n’est pas interdit au juge de fonder sa décision sur un rapport d’expertise privé soumis au contradictoire des parties dans le cadre des débats, à la condition que celui-ci soit corroboré par d’autres éléments :

« EXPOSÉ DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Conduite aux urgences de la clinique de … par le SAMU pour de violentes douleurs dans le bas ventre le 8 octobre 2018, Mme [G] était prise en charge, de nuit, par le docteur [U], médecin gynécologue exerçant en libéral au sein de ladite clinique.

Il était alors procédé à une échographie pelvienne qui faisait soupçonner au Dr [U] une torsion d’annexe au niveau de l’ovaire gauche. Une coelioscopie était réalisée le soir même par le Dr [U].

Cette coelioscopie exploratrice constatait des adhérences séquellaires aux précédentes interventions chirurgicales gynécologiques, notamment liées à une hystérectomie et une kystectomie ovarienne droite. Le diagnostic de torsion annexielle n’ayant toutefois pas été confirmé, il était mis fin à l’intervention sans qu’aucune intervention n’ait été réalisée sur l’ovaire gauche.

Le lendemain matin, un scanner était réalisé à la demande du Dr [U], lequel concluait à une masse de la région iliaque gauche de 6 cm de grand axe biloculée pouvant être d’origine annexielle, sans torsion, avec un syndrome obstructif sus-jacent.

En raison d’importantes douleurs abdominales et de vomissements intervenus dans la nuit du 9 au 10 octobre 2018, Mme [G] était opérée le 10 octobre au matin par le Dr [M], chirurgien digestif et par le Dr [J], chirurgien gynécologue. L’intervention, commencée sous la forme d’une coelioscopie exploratrice, était rapidement transformée en laparotomie devant les difficultés rencontrées dans la dissection du pelvis dans sa partie gauche ; Il était découvert une péritonite stercorale généralisée, ayant pour origine une perforation de l’iléon et était immédiatement procédé à un prélèvement bactériologique de l’épanchement stercoral péritonéal, ainsi qu’à une résection segmentaire unique de l’intestin grêle de 17 cm, suivi d’un rétablissement de continuité, outre une appendicectomie de principe et une ovariectomie gauche pour kyste hémorragique.

Imputant les conséquences de cette péritonite et de ses séquelles à l’intervention du 8 octobre 2018, réalisée par le Dr [U], Mme [G], par exploit en date du 28 janvier 2019, a fait assigner en référé expertise le Dr [U], ainsi que l’Association [X], exploitant la clinique privée de ….

Par ordonnance du 29 avril 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a ordonné une expertise judiciaire et désigné pour y procéder le Dr [W], chirurgien viscéral.

L’expert a déposé son rapport définitif le 15 décembre 2019, aux termes duquel il conclut à une relation de cause à effet entre la péritonite généralisée à l’origine des préjudices actuels de Mme [G] et une perforation punctiforme de l’iléon en relation directe avec l’intervention sous coelioscopie exploratrice pratiquée par le Dr [U] le 8 octobre 2018 qu’il impute à une triple faute du Dr [U] qu’il qualifie de manque de discernement et d’imprudence.

Il retient également une atelectasie pulmonaire bilatérale avec épanchement pleural droit en relation avec la chirurgie septique d’urgence pratiquée par le Dr [J] le 10 octobre suivant.

Par exploits délivrés les 4, 9 et 17 juin 2020, Mme [G] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, la Clinique, le Dr [U] et leur assureur, la société [E], aux fins d’indemnisation de ses préjudices de même qu’en qualité de tiers payeurs, la Caisse Locale Déléguée à la Sécurité Sociale des Indépendants.

Puis, par acte ultérieur délivré le 15 octobre 2020, Mme [G] a fait assigner la CPAM, venant aux droits de la Caisse déléguée ayant substitué l’ancien RSI.

Par jugement du 5 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

-   prononcé la révocation de l’ordonnance de clôture et prononcé la clôture des débats au jour de l’audience de plaidoiries, le 3 novembre 2021,
-    déclaré le docteur [U] responsable du préjudice de Mme [G] consécutif à l’accident médical survenu lors de l’intervention du 8 octobre 2018,
-   constaté que Mme [G] ne formule aucune demande contre l’association [X] exploitant la clinique de…,
-    fixé le préjudice subi par Mme [G], suite à ces faits, à la somme totale de 82 854,09 €, suivant le détail suivant :
-    condamné in solidum le Docteur [U] et la Société [E] à payer à Mme [G] la somme de 75 186,25 € au titre de l’indemnisation de son préjudice corporel, après déduction de la créance des tiers payeurs,
-    réservé le poste de préjudice dépenses de santé futures, indépendamment de toute aggravation,
-    déclaré le jugement commun à la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants,
-    rejeté la demande formée contre le Dr [U] au titre du manquement au devoir d’information,
-    condamné in solidum le docteur [U] et la Société [E] à payer 3000 € à Mme [G] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-    dit que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du jugement,
-    condamné in solidum le docteur [U] et la Société [E] aux dépens, qui comprendront ceux de l’instance ayant donné lieu à l’ordonnance de référé du 29 avril 2019 et ses frais d’exécution ainsi que le coût de l’expertise judiciaire,
-    dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit,
-    rejeté les autres demandes des parties.

Par déclaration électronique en date du 14 février 2022, le Dr [U] et son assureur, la société [E], ont relevé appel de ce jugement en ce qu’il a :

-   déclaré le docteur [U] responsable du préjudice de Mme [G] consécutif à l’accident médical survenu lors de l’intervention du 8 octobre 2018,
-    fixé le préjudice subi par Mme [G], suite à ces faits, à la somme totale de 82 854,09 €, suivant le détail figurant au dispositif du jugement,
-    condamné in solidum le Docteur [U] et la Société [E] à payer à Mme [G] la somme de 75 186,25 € au titre de l’indemnisation de son préjudice corporel, après déduction de la créance des tiers payeurs,
-   réservé le poste de préjudice dépenses de santé futures, indépendamment de toute aggravation,
-   condamné in solidum le docteur [U] et la Société [E] à payer 3000 € à Mme [G] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-   dit que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du jugement,
-  condamné in solidum le docteur [U] et la Société [E] aux dépens, qui comprendront ceux de l’instance ayant donné lieu à l’ordonnance de référé du 29 avril 2019 et ses frais d’exécution ainsi que le coût de l’expertise judiciaire,
-   rejeté les autres demandes des parties.

Le Dr [U] et la société [M], anciennement dénommée [E], dans leurs conclusions déposées le 14 août 2024, demandent à la cour de :

Réformer le jugement rendu le 5 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Bordeaux des chefs déférés.

Statuant à nouveau :

-    débouter Mme [G] ' ainsi que les tiers payeurs subrogés dans ses droits ' de l’ensemble de leurs demandes en ce qu’elles sont dirigées à l’encontre du Docteur [U] et de la société [M] anciennement dénommée [E],
-    à défaut, écarter la majeure partie des demandes présentées par Mme [G] en ce qu’elles reposent sur de prétendues fautes qui ne sont pas démontrées, correspondent à la réparation de prétendus préjudices ne constituant pas la conséquence des fautes susceptibles d’être retenues à l’encontre du Docteur [U], omettant de retenir que le préjudice subi ne peut s’analyser qu’en une perte de chance, correspondent à la réparation de préjudices qui ne sont pas démontrés dans leur existence ou sont évalués de manière excessive,
-    réduire en conséquence l’indemnisation accordée par le tribunal,
-    condamner Mme [G] à verser au Docteur [U] et à la société [M] anciennement dénommée [E] une indemnité de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre la prise en charge des entiers dépens.

Mme [G], dans ses dernières conclusions en date du 1er août 2022, demande à la cour de :

Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 5 janvier 2022, en ce qu’il a :

-    déclaré le Docteur [U] responsable du préjudice de Mme [G] consécutif à l’accident médical survenu lors de l’intervention du 08 octobre 2018 ;
-    fixé le préjudice de dépenses de santé actuelles subi par Mme [G] à la somme de 7.667,84 € correspondant au montant de la créance de la CPAM ;
-    fixé le préjudice d’incidences professionnelles subies par Mme [G] à la somme de 20.000 € ;
-    fixé le préjudice de déficit fonctionnel temporaire total et partiel subi par Mme [G] à la somme de 3.041,25 € ;
-    fixé le préjudice de déficit fonctionnel permanent subi par Mme [G] à la somme de 16.400 € ;
-    fixé le préjudice d’agrément subi par Mme [G] à la somme de 3.000€,
-    fixé le préjudice extrapatrimonial évolutif subi par Mme [G] à la somme de 10.000€ ;
-    déclaré le jugement commun à la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs
     indépendants ;
-    condamné in solidum le Docteur] [U] et la Société [E] à payer 3.000 € à Mme [G] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-    dit que les sommes allouées ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter du jugement,
-    condamné in solidum le Docteur [U] et la Société [E] aux dépens, qui comprendrons ceux de l’instance ayant donné lieu à l’ordonnance de référé du 29 avril 2019 et ses frais d’exécution ainsi que le coût de l’expertise judiciaire ;

Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 05 janvier 2022, en ce qu’il a :

-    fixé le préjudice subi par Mme [G], à la suite de ces faits, à la somme totale de 82.854,09 € ;
-    condamné in solidum le Docteur [U] et la Société [E] à payer à Mme [G] la somme de 75.186,25 € au titre de l’indemnisation de son préjudice corporel, après déduction de la créance des tiers payeurs,
-    réservé le poste de préjudice de dépenses de santé futures, indépendamment de toute aggravation,
-    rejeté la demande formée contre le Docteur [U] au titre du manquement au devoir d’information,

Et statuant à nouveau :
-    liquider les préjudices de Mme [G] comme suit :
     . Préjudice d’impréparation résultant du défaut de conseil et d’information : 5.000,00€
     . Dépenses de santé actuelles : 7.667,84 €
     . Préjudice professionnel temporaire : 124.889,00 €
     . Frais divers : 2.075,00€
     . Dépenses de santé futures : 15.000,00€
     . Incidence professionnelle : 20.000 €
     . Déficit fonctionnel temporaire total et partiel : 3.041,25 €
     . Souffrances endurées : 15.000,00€
     . Préjudice esthétique temporaire : 4.000,00€
     . Déficit fonctionnel permanent : 16.400,00€
     . Préjudice esthétique permanent : 2.000,00€
     . Préjudice d’agrément : 3.000,00€
     . Préjudice sexuel : 3.000 €
     . Préjudices extra-patrimoniaux évolutifs : 10.000,00€

Soit la somme totale de 231.073,09 €

-  condamner solidairement le Docteur [U] et [E] à payer à Mme [G] la somme de 223.405,25 euros après déduction faite de la créance des tiers payeurs, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir, sauf mémoire et à parfaire,
-  condamner solidairement le Docteur [U] et [E] à payer à Mme [G] la somme de 10.000,00€ sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
-  débouter l’Association [X], ainsi que [E] ès qualité d’assureur responsabilité civile professionnelle de cette dernière de ses demandes formulées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La CPAM n’a pas constitué avocat. Elle a été régulièrement assignée.

L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 3 septembre 2024.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 20 août 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la responsabilité du Dr [U] dans l’intervention du 8 octobre 2018 :

Après avoir rappelé que la responsabilité médicale du médecin ne peut être encourue que pour faute et qu’il pèse sur le médecin une obligation de moyen obligeant Mme [G], pour prospérer en ses demandes indemnitaires, à rapporter la preuve d’un préjudice en lien de causalité avec une faute du médecin, le tribunal a, suivant en cela les conclusions du rapport d’expertise médicale du Dr [W], retenu que le Dr [U] avait manqué à son obligation de moyen, tant au stade du diagnostic en s’abstenant d’exécuter préalablement à son intervention un scanner abdominal, que de l’intervention elle-même, puis enfin, pour n’avoir pas converti immédiatement la coelioscopie en laparotomie à l’origine d’une perforation de l’iléon gauche, elle-même à l’origine d’une péritonite ayant nécessité une seconde intervention en urgence et que les séquelles de cette péritonite dont souffre Mme [G] sont ainsi en relation directe avec l’intervention fautive du Dr [U].

Le Dr [U], ainsi qu’il le soutenait en première instance, conteste le rapport du Dr [W], chirurgien généraliste et viscéral, lui reprochant notamment d’avoir refusé de s’adjoindre un sapiteur gynécologue obstétricien, estimant qu’en présence d’un doute quant à l’origine ovarienne d’une lésion kystique plutôt que pelvienne, les recommandations pour la pratique clinique (RPC) publiées par le collège national des gynécologues et obstétriciens français de 2013, confirmant l’avis du Pr [B], gynécologue obstétricien, expert près les tribunaux, régulièrement versé aux débats, lui-même conforme à l’avis du Dr [O] [Z], son médecin conseil, ne posent l’indication d’un scanner qu’en l’absence de diagnostic clinique ou échographique.

Il observe que la coelioscopie réalisée de nuit, en urgence, sans laparo-conversion, face à une suspicion de torsion annexielle, était la solution qui s’imposait, notamment en l’absence de chirurgien digestif ou urologue présent, qu’elle a permis d’éliminer l’hypothèse d’une torsion d’annexe ce pour quoi elle était indiquée, alors qu’à l’issue de la coelioscopie exploratrice aucun élément ne permettait de conclure à une éventuelle complication.

Il estime dès lors que dans ce contexte d’urgence, contrairement aux conclusions du rapport d’expertise qui ne lie pas le juge et conformément au rapport d’expertise privé versé aux débats, corroborant la position de son médecin conseil et corroboré par de nombreux éléments de nature médicale, aucune faute ne peut lui être reprochée, ni dans le choix de recourir à la coelioscopie, ni dans sa non-conversion rapide en laparotomie.

Mme [G] demande au contraire la confirmation du jugement qui, conformément au rapport d’expertise, impute la réalisation de son préjudice à la maladresse et à un manque de prudence du Dr [U] dans le choix de l’intervention, dans sa réalisation et dans sa non conversion en une laparotomie, fautes qu’elle estime directement en relation avec son préjudice.

Il sera rappelé que le juge n’est pas tenu par les conclusions du rapport d’expertise judiciaire dont il lui appartient d’apprécier la pertinence à la fois interne et au regard de l’ensemble des éléments versés aux débats.

Il n’est par ailleurs pas interdit au juge de fonder sa décision sur un rapport d’expertise privé soumis au contradictoire des parties dans le cadre des débats, à la condition que celui-ci soit corroboré par d’autres éléments.

Il n’est pas contesté que l’obligation de moyen qui pèse sur le médecin lui impose de mettre en œuvre tout ce qui est en son possible au regard de l’état de son patient et des données actuelles de la science.

Quant à la réalisation d’un risque inhérent à une intervention, elle ne saurait constituer en soi une faute en l’absence de circonstances particulières qui la caractériseraient.

Dans ses conclusions, l’expert retient une triple faute du Dr [U], à savoir :

-  un manque de discernement pour ne pas avoir prescrit en peropératoire un scanner abdomino-pelvien avec injection en présence d’une patiente dont les antécédents chirurgicaux gynécologiques n’étaient pas connus avec précision, examen qui a finalement été prescrit en post-opératoire par le Dr [U].
-  une imprudence dans l’indication en urgence d’une intervention sans examen morphologique préalable chez une patiente préalablement hystérectomisée, qui souffrait depuis au moins 24 heures de douleurs pelviennes gauches progressivement croissantes, dont les antécédents chirurgicaux gynécologiques, qui n’étaient pas connus avec précision, l’exposaient plus qu’une autre à des complications peropératoires.
-  un manque de précaution du Dr [U] pour ne pas avoir converti précocement la coelioscopie en laparotomie, alors qu’il s’agissait d’une patiente dont les antécédents chirurgicaux gynécologiques l’explosaient plus qu’une autre à des complications peropératoires.

Le tribunal a eu raison de relever comme acquis que l’affection d’origine ayant justifié l’hospitalisation de Mme [G] le 8 octobre 2018 était finalement un kyste hémorragique de l’ovaire gauche, sans torsion, qui a été mis en évidence par un scanner post-opératoire effectué le lendemain et pour lequel l’expert ne s’exprime pas sur une notion d’urgence à le pratiquer de nuit.

Ceci étant dit, il est constant que le Dr [U] est intervenu en urgence en réalisant sur Mme [G] une coelioscopie, dans la nuit du 8 octobre 2018, alors qu’elle avait été conduite par le SAMU à la clinique d'[Localité 5] pour des douleurs pelviennes gauches aiguës résistantes aux anti-inflammatoires depuis 24 heures, ce après avoir réalisé une échographie pelvienne.

L’expert ne remet pas en cause la réalisation d’une échographie compte tenu du tableau clinique présenté par la patiente lors de son arrivée aux urgences de la clinique, mais il retient toutefois une première faute caractérisée par 'manque de discernement pour ne pas avoir prescrit en préopératoire de scanner abdominopelvien avec injection s’agissant d’une patiente dont les antécédents chirurgicaux gynécologiques n’étaient pas connus avec précision, examen qui a finalement été prescrit en post-opératoire', examen qui a permis de mettre évidence la présence d’un kyste ovarien hémorragique.

Il sera au préalable observé que la seconde faute qualifiée d’imprudence par l’expert 'dans l’indication en urgence d’une intervention sans examen morphologique préalable chez une patiente préalablement hystérectomisée, qui souffrait depuis au moins 24 heures de douleurs pelviennes gauches progressivement croissantes, dont les antécédents chirurgicaux gynécologiques, qui n’étaient pas connus avec précision, l’exposaient plus qu’une autre à des complications peropératoires’ ne diffère pas de la première qualifiée de manque de discernement, dès lors qu’elles remettent toutes deux en cause l’indication de la coelioscopie en regard de l’état de la patiente et de ses antécédents.

L’expert relève pour cela que le scanner réalisé en postopératoire qui a mis en évidence une hémorragie intrakystique de l’ovaire gauche a permis de confirmer rétrospectivement sa nécessité en peropératoire, dès lors que le scanner avec injection constitue l’indication pour détecter un kyste ovarien et que, prescrit en première intention, il aurait évité une intervention sous coelioscopie en urgence qui comportait un risque majoré au vu de ce qui précède.

Il conclut en effet (rapport page 19) qu’en première intention le diagnostic des complications des kystes de l’ovaire repose sur 'l’échographie pelvienne puis endovaginale et, s’il existe un doute sur la nature des complications, sur une imagerie en coupe par scanner pelvien ou IRM en urgence'.

Cependant, les 'recommandations pour la pratique clinique’ (RPC) publiée en 2013 par le collège national des gynécologues et obstétriciens français antérieurement à l’intervention (sa pièce 14-1 page 800) mentionnent l’échographie, puis l’IRM mais pas systématique, pour confirmer une hypothèse d’hémorragie intra-kystique, sans référence au scanner.

Mais surtout, l’expert retient expressément que l’échographie pelvienne réalisée par le Dr [U] a mis en évidence : 'image en fosse iliaque gauche hétérogène douloureuse non vascularisée, mesurant 37 par 29 mm :

Suspicion de gros ovaire gauche compatible avec torsion d’annexe’ (souligné par nous) et il est mentionné dans son rapport (page 19 in fine) que le diagnostic est 'compatible’ avec une torsion d’annexe même s’il n’était pas certain, de sorte qu’au regard du premier examen pratiqué (échographie pelvienne) après anamnèse et examen clinique de la patiente, l’hypothèse à confirmer ou éliminer en urgence était bien celle d’une torsion annexielle, mais en aucun cas d’un kyste hémorragique.

Ainsi l’expert ne conteste pas que l’indication en présence d’une hypothèse de torsion annexielle est le recours à la coelioscopie mais il observe que 'suspicion’ n’est pas 'certitude’ et qu’au regard des antécédents imprécis quant à l’histoire gynécologique de Mme [G], il y avait selon lui indication de confirmer le diagnostic en peropératoire par un scanner qui n’a été prescrit qu’en post-opératoire.

Cependant, dès lors qu’il n’est pas contesté qu’un diagnostic de suspicion de torsion annexielle pose une indication d’intervenir en urgence, cette nécessité est la même quels que soient par ailleurs les antécédents de la patiente et il n’existait aucune indication de différer l’examen par le recours à un scanner avec injection dont il n’est pas précisé s’il aurait pu être pratiqué rapidement, le recours à la coelioscopie prenant précisément tout son sens en cas de 'suspicion’ de torsion annexielle, dans une démarche de confirmation/infirmation du diagnostic.

C’est d’ailleurs également ce que conclut l’expertise privée du Pr [B], gynécologue obstétricien, dont le contradictoire est assuré dans le cadre des présents débats, corroborant la position du Dr [O] [Z], en conformité avec les 'recommandations pour la pratique clinique’ (RPC déjà citée), rappelant que le diagnostic de torsion annexielle est difficile en l’absence de symptômes cliniques et de signes d’imagerie spécifiques et qu’il est également difficile à éliminer. Cette publication indique 'qu’en cas suspicion de torsion annexielle (souligné par nous), une exploration chirurgicale coelioscopique est recommandée'. (pièce 14 -1 de l’appelante page 799)

De même, l’Encyclopédie Médico-Chirurgicale (EMC) fait, en matière d’algies pelviennes aiguës (APA) de la femme, de l’échographie le premier examen complémentaire après l’interrogatoire et l’examen clinique et, de la coelioscopie, l’examen de référence, face à une suspicion de torsion d’annexe (souligné par nous).

Elle précise que 'le diagnostic de certitude ne peut en être affirmé que de manière peropératoire (souligné par nous)' et que 'l’intervention chirurgicale est dans ces cas-là toujours diagnostique, puis thérapeutique dans un deuxième temps, et de préférence alors par laparoscopie’ (pièce n° 14-3 de l’appelante page 4, 6), confirmant ainsi la chronologie de la démarche empruntée par le Dr [U] : échographie pelvienne/coelioscopie opératoire diagnostique/ intervention thérapeutique par laparotomie dans un troisième temps si besoin, étant observé que la coelioscopie n’ayant pas confirmé l’hypothèse de départ, le Dr [U] s’est ici abstenu de pratiquer sur sa patiente une laparotomie, intervention plus lourde, elle-même non dénuée de risques. 

En définitive, il apparaît que l’expert lui-même ne remet pas en cause le fait que la coelioscopie est l’examen requis pour écarter l’hypothèse d’une torsion annexielle et il ne résulte pas expressément de son rapport que le scanner est préconisé dans une telle hypothèse mais dans celle d’un kyste ovarien qu’aucun élément n’avait cependant encore mis en évidence au moment de l’intervention sous coelioscopie, alors que le médecin urgentiste s’était au contraire trouvé confronté à un tableau évoquant une suspicion de torsion annexielle dans un cadre de médecine d’urgence.

Dès lors, les antécédents médicaux de la patiente et les incertitudes sur son passé gynécologique qui rendaient certes l’examen plus difficile et plus risqué, ne sont pas suffisants pour remettre en cause la démarche diagnostique du Dr [U].

Il est encore reproché au Dr [U] de n’avoir pas, dans un second temps, au regard des antécédents et de la morphologie de la patiente rendant l’examen plus difficile, converti rapidement la coelioscopie en laparotomie, l’expert retenant dans son rapport initial une intervention de deux heures.

Cependant, l’expert a pris en compte les observations contenues au dire n° 3 du conseil du Dr [U] quant au fait que l’acte en lui-même n’a pas duré 2 h mais 46 minutes, ainsi que l’observait le Pr [B] dans son rapport d’expertise privé du 21 avril 2022 (pièce n° 16 de l’appelante), confirmant en cela le timing de l’intervention (pièce n° 15) faisant état d’un début d’intervention à 21h38 et d’une fin d’intervention à 22h24, le temps afférent à l’anesthésie de 84 minutes ayant à tort été pris en compte. Il a cependant maintenu ses conclusions quant à la majoration du risque en regard d’un temps d’intervention anormalement long.

Il n’est pas contesté qu’à l’occasion de cette intervention, Mme [G] a subi une perforation de l’intestin qui a entraîné une péritonite, ce qui correspond à la réalisation d’un risque inhérent à la coelioscopie.

Il convient en outre de relever que le Dr [U] n’a pu, à l’occasion de cette coelioscopie, trouver la confirmation d’une torsion d’annexe, ce que la suite des investigations a effectivement confirmé, de sorte que l’intervention sous coelioscopie, dont l’avancée est décrite précisément dans le rapport d’intervention, a duré d’autant plus longtemps qu’il importait d’éliminer de manière certaine une suspicion. Il n’est pas contestable que la durée l’intervention majorait en soi le risque statistique afférent à l’acte lui-même rendu plus délicat par les antécédents médicaux de la patiente mais cela ne suffit pas à caractériser une faute qui aurait consisté pour le Dr [U] a ne pas procéder à une intervention plus lourde encore et plus mutilante que la coelioscopie, alors même qu’il n’avait pas trouvé à l’examen confirmation de la torsion annexielle qui l’aurait justifiée.

En effet, aucun élément ne permet de retenir qu’à la date du 8 octobre, un tel acte était nécessaire, l’EMC citée plus haut ne retenant une intervention thérapeutique sous la forme d’une laparotomie que dans un deuxième temps, après que l’intervention chirurgicale diagnostique (peropératoire) que constitue la coelioscopie a confirmé le diagnostic de torsion d’annexe, ce qui n’a précisément pas été le cas en l’espèce.

Ainsi n’est-il pas contesté que la laparotomie de conversion qui a été pratiquée le 10 octobre 2018, après que les médecins ont d’ailleurs de nouveau procédé dans un premier temps par voie de coelioscopie, ne trouve sa cause que dans la péritonite, elle-même conséquence de la perforation intestinale survenue au décours de l’intervention du 8 octobre mais en aucun cas dans les motifs de consultation du 8 octobre, de sorte qu’il demeure que les séquelles de perforations intestinales incontestablement lourdes dont souffre encore Mme [G] à ce jour ne sont toutefois que la conséquence de l’aléa afférent à une intervention sous coelioscopie qui était alors conforme aux préconisations de la science et à l’examen de la patiente en présence d’une suspicion de torsion annexielle et ce, quels qu’aient été par ailleurs les antécédents personnels de Mme [G].

Il apparaît en définitive que la démarche expertale consiste à invalider a posteriori, en possession de l’image du scanner avec injection effectué en postopératoire dès lors que l’examen sous coelioscopie n’avait pas confirmé l’existence d’une torsion annexielle, des investigations qui étaient alors conformes à l’examen clinique de la patiente et à l’image de l’échographie au moment où elles sont intervenues, dans le cadre d’une médecine d’urgence.

Il ne saurait en conséquence être reproché au Dr [U] aucun manquement à son obligation de moyen dans la prise en charge de Mme [G] le 8 octobre 2018, de sorte que le jugement entrepris est infirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité du Dr [U] et statué sur l’indemnisation des préjudices en résultant par le Dr [U] et son assureur, Mme [G] étant déboutée de ses demandes de ce chef.

Sur le manquement du Dr [U] à son obligation d’information préalable et le préjudice d’impréparation :

Le tribunal a écarté tout manquement du Dr [U] à son obligation d’information et de conseil, nonobstant l’absence de signature par Mme [G] du document produit par le Dr [U], intitulé 'informations préopératoires : chirurgie des ovaires (ablation kysteovarectomie), mentionnant le nom de Mme [G], et précisant les risques même exceptionnels, qui sont connus notamment pour le traitement par coelioscopie ainsi que par laparotomie, de ces deux types d’intervention, après avoir relevé qu’il était mentionné sur le document sa remise à Mme [G], le 8 octobre 2018, par le Dr [U], le tout confirmant les indications du Dr [U] lors de l’expertise selon lesquelles il avait averti oralement Mme [G] des risques inhérents et lui avait fait remettre la dite fiche d’information.

Il avait pertinemment ajouté que Mme [G] ne pouvait à la fois être indemnisée des conséquences de la complication qui s’est réalisée et de la perte de chance d’y échapper en regard d’un manquement du médecin à son obligation d’information, tout en observant que dans ce cas Mme [G] pouvait demander réparation du préjudice autonome d’impréparation résultant de ce défaut d’information, préjudice qu’il a néanmoins écarté dès lors qu’il écartait le défaut d’information.

Mme [G] conteste cette décision demandant la réformation du jugement qui a écarté le manquement du médecin à son devoir d’information et d’humanisme continuant de soutenir que n’ayant pas signé le document d’information, la preuve de l’exécution par le Dr [U] de son devoir d’information et du recueil de son consentement éclairé n’est pas établie.

Il convient d’observer liminairement que Mme [G] étant déboutée de ses demandes en réparation des préjudices résultant de l’intervention litigieuse par le présent arrêt, est recevable à former une demande d’indemnisation de la perte de chance d’éviter le dommage résultant du manquement du médecin à son obligation de conseil, sans encourir le grief de doublon, mais qu’elle ne demande de ce chef que la réformation du jugement qui l’a déboutée de sa demande d’indemnisation d’un préjudice d’impréparation.

Selon l’article 16-3 du code civil, le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement à tout acte médical sauf dans le cas où son état de santé rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir et l’article L 1111-2 du code de la santé publique consacre le droit du malade à l’information concernant son état de santé mais également quant aux différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui lui sont proposés, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles ainsi que sur les autres solutions possibles et les conséquences en cas de refus.

Mme [G] ne conteste pas davantage devant la cour qu’elle ne le faisait devant le tribunal que cette information lui a été donnée oralement et que la fiche d’information lui a été remise, continuant de soutenir qu’en l’absence de signature, la preuve de l’exécution de son devoir d’information et de son étendue par le Dr [U] ne serait pas établie.

Or, s’il appartient au praticien d’établir qu’il a donné à son patient les informations afférentes aux risques encourus du fait d’un traitement ou d’une intervention, cette preuve peut être rapportée par tout moyen de sorte qu’il y est satisfait, même en l’absence de signature du patient qui n’a valeur que probatoire, dès lors que ce même patient ne conteste pas avoir reçu une information orale de la part du médecin et s’être vu remettre une fiche d’information écrite et que de surcroît, les éléments sus-rappelés retenus par le tribunal auxquels s’ajoute la mention expresse de cette information au dossier médical de Mme [G] en ces termes 'info risques accident de trocart et plaie des organes de voisinages et annexectomie’ et ' traitement informations patient’ attestent dans ce contexte que l’information a précisément été donnée à Mme [G] quant aux risques inhérents à la coelioscopie.

Il est encore reproché au Dr [U] que l’information qui a été remise sur papier n’était pas circonstanciée comme ne mentionnant pas les antécédents médicaux de 2012 et 2015. Cependant, il est constant que ces antécédents étaient eux même très imprécis et pour partie inconnus, de sorte que dans un contexte d’urgence et de souffrance aiguë de Mme [G], l’information qui a été donnée des risques inhérents aux deux interventions, coelioscopie et laparotomie, apparaît une information adaptée.

 Mme [G] indique d’ailleurs que dans ce contexte de fortes douleurs le caractère éclairé de son consentement est lui-même discutable mais il est constant qu’en cas d’impossibilité pour un patient de donner un consentement éclairé, en présence d’une urgence, c’est au médecin qu’il incombe de prendre la décision.

Le Dr [U] justifie en conséquence avoir donné à Mme [G] une information peropératoire adaptée à la situation, telle qu’elle était connue de lui, dans un contexte d’urgence, portant notamment sur le risque de plaie des organes voisins tel qu’il s’est effectivement réalisé, constituant une préparation adaptée et suffisante de sa patiente au risque dont la réalisation est finalement déplorée.

Le jugement qui a débouté Mme [U] de ce chef de demande est en conséquence confirmé.

Au vu de l’issue du présent recours le jugement est infirmé en ce qu’il a statué sur les dépens de première instance et les frais irrépétibles y afférents.

Pour les mêmes motifs, Mme [G] supportera les entiers dépens de première instance et d’appel et sera équitablement condamnée à payer au Dr [U] et à la société [M], anciennement [E], la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté Mme [G] de ses demandes indemnitaire résultant d’un défaut d’information.

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Dit que le Docteur [U] n’a pas commis de faute engageant sa responsabilité dans le préjudice de Mme [G] consécutif à l’accident médical survenu lors de l’intervention du 08 octobre 2018.

En conséquence : 

Déboute Mme [G] de toutes ses demandes à l’encontre du Dr [U] et de son assureur, la société [M], anciennement [E].

Déclare le présent arrêt opposable à la CPAM de la Gironde.

Condamne Mme [G] à payer au Dr [U] et à son assureur, la société [M], anciennement [E], une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne Mme [G] aux entiers dépens de première instance et d’appel. »

Lorsque les faits le justifient, il ne faut pas hésiter à contester les conclusions d’un rapport d’expertise judiciaire, notamment en produisant un rapport d’expertise privé, que les parties pourront commenter/critiquer/développer pendant les débats judiciaires et dont la juridiction peut tenir compte pour écarter les conclusions du rapport d’expertise judiciaire.