En l’absence de contrôle virologique chez la mère, le risque de transmission du VIH par l’allaitement maternel est élevé.
Cependant en situation de suppression virale prolongée, le risque de transmission est très faible, sans pour autant pouvoir affirmer à ce jour que la notion de charge virale indétectable équivaut à intransmissible dans le cadre de l’allaitement au sein.
Nous connaissons les bienfaits de l’allaitement maternel. Le lait de la femme est adapté aux besoins nutritionnels de l’enfant et renforce son immunité. Il le protège de certaines maladies en réduisant les risques de développer des allergies, des maladies infectieuses, un surpoids ou un diabète. Pour la mère, allaiter réduit le risque de développer un cancer du sein ou un diabète de type 2. (1)(2)
L’ouverture à l’allaitement maternel chez les femmes vivant avec le VIH constitue un changement majeur des nouvelles recommandations émises cette année sous l’égide de l’ANRS MIE, du CNS et de la HAS.
Ainsi des indications de bonnes pratiques ont été publiées afin d’identifier les conditions requises pour envisager ou poursuivre un allaitement au sein et accompagner au mieux les mères dans leur choix de modalités d’allaitement (3) :
- Conditions recquises pour envisager l’allaitement au sein par une femme vivant avec le VIH
Les conditions optimales pour l’allaitement maternel sont (Grade B) :
− Traitement antirétroviral (ARV) débuté avant la conception ou au 1 er trimestre de grossesse.
− Historique de suivi régulier, d’observance optimale au traitement ARV et aux visites.
− Charge virale maternelle inférieure à 50 copies/mL de façon stable mensuellement à partir de la fin du 1er trimestre de la grossesse, soit 6 mois de contrôle virologique.
− Engagement de suivi renforcé pendant toute la durée de l’allaitement au sein.
− Capacité de l’équipe de réaliser l’accompagnement de la mère et de l’enfant.
Si l’un des critères n’est pas rempli, l’allaitement au sein est formellement déconseillé. (Grade A)
- Accompagner les mères pour le choix de leurs modalités d’allaitement
− Le sujet de l’allaitement doit être abordé systématiquement et précocement en consultation de suivi de grossesse. (AE)
− Il est conseillé d’impliquer le co-parent de l’enfant dans la discussion. Lorsque la patiente fait le choix du secret sur son statut virologique, le choix de l’allaitement ne modifie pas l’approche de l’équipe soignante. (AE)
− Après échange entre les équipes (obstétricale, d’infectiologie et pédiatrique), si tous les critères sont réunis pour le choix d’un allaitement maternel, cette option est à discuter avec la femme pendant la grossesse ; il s’agit d’une décision partagée.
− Il est recommandé de tracer la décision au cours d’une RCP autour de 36 SA. (AE) − L’allaitement au sein est fortement déconseillé lorsque les conditions maternelles ne sont pas optimales : début du traitement tardif après le premier trimestre, charge virale non contrôlée, ainsi qu’en cas de pathologie psychiatrique susceptible de compromettre la bonne compréhension et/ou la bonne application du suivi médical au cours de l'allaitement ou de difficultés de suivi.
En pratique, l’équipe médicale peut se retrouver dans la nécessité de définir une approche de réduction de risques individualisée si la mère décide d’allaiter au sein contre l’avis médical. (AE)
- Accompagnement en cas d’allaitement artificiel
Lorsqu’un allaitement artificiel est décidé (AE) :
− Proposer l’inhibition de la montée laiteuse par cabergoline (en l’absence de contre indication, HTA ou psychose).
− Apporter si besoin une aide pour l’achat de lait.
− Accompagner la femme, notamment pour répondre aux questions de l’entourage.
- Accompagnement en cas d’allaitement maternel
‒ Remettre à la mère avant sa sortie de maternité toutes les prescriptions et consignes pour le suivi pendant l’allaitement. (AE)
‒ Proposer à la mère d’utiliser le document d’information concernant la décision partagée d’allaitement au sein auprès de professionnels qu’elle ou l’enfant seraient amenés à consulter. (AE)
Lorsqu’une décision d’allaitement au sein a été prise, il est recommandé de mettre en place un protocole de suivi (modèle à adapter dans chaque centre). (AE) Remettre à la mère avant sa sortie de maternité les prescriptions et consignes :
La prescription de charge virale plasmatique mensuelle pendant la durée de l’allaitement maternel, avec les coordonnées de l’infectiologue et du pédiatre auxquels les résultats sont à envoyer.
‒ La précision du lieu (à l’hôpital ou en laboratoire de ville) où faire prélever les charges virales maternelles.
‒ Un document d’information sur l’allaitement au sein dans le contexte du VIH comprenant les conseils en cas de complications (qui pourra servir aussi auprès de professionnels qu’elle ou l’enfant seraient amenés à consulter).
‒ La prescription de tire-lait, de biberons, et lait de substitution en cas de nécessité de suspendre l’allaitement.
‒ Les coordonnées (téléphone, mail) des équipes de pédiatrie, maternité et médecine, pouvant être consultées.
‒ Les coordonnées de personnes ressources (consultant en lactation, sage-femme ou puéricultrice, associations) travaillant en lien avec l’équipe VIH périnatale.
‒ Les rendez-vous de suivi pour la mère et rendez-vous pour l’enfant (en évitant de faire mention du VIH sur ces documents afin qu’ils puissent être glissés dans le carnet de santé de l’enfant).
‒ Vérifier et actualiser tous les moyens de contact de la mère : téléphone, courriel et adresse.
- Quel risque pour le nourrisson lié au passage des antirétroviraux dans le lait ?
La diffusion des ARV dans le lait maternel est variable. Il n’y a pas à ce jour de données sur la toxicité potentielle des ARV chez l’enfant exposé par l’allaitement pour guider des recommandations de choix thérapeutique chez la mère, ou de surveillance particulière chez l’enfant.
Il n’est pas recommandé de réaliser des dosages en routine des concentrations des dans le lait maternel. (AE)
- Un traitement prophylactique est-il indiqué chez le nourrisson en cas d’allaitement au sein ?
− Il est proposé de poursuivre la prophylaxie ARV du nourrisson de mère vivant avec le VIH-1, dans la suite de la prophylaxie néonatale usuelle, pendant toute la durée de l’allaitement et jusqu’à 15 jours après son arrêt définitif.
− Cette décision doit être discutée en RCP et partagée avec la mère, et si possible le père/co-parent. Elle peut être ré-évaluée au cours de l'allaitement. (AE)
- Quel traitement prophylactique utiliser chez la mère en cas d’allaitement au sein ?
L’allaitement au sein ne modifie pas le choix des ARV chez la mère. (AE)
- Quel traitement prophylactique en cas d’allaitement au sein de mère vivant avec le VIH-1 ?
‒ La névirapine (NVP) est à utiliser en 1re intention chez l’enfant de mère vivant avec le VIH-1 (Grade A).
La posologie sera adaptée à l’âge :
- Avant 6 semaines : 1 ml (10 mg) x 1/j si poids <2,5kg ; 1,5 ml (15 mg) x 1/j si >2,5kg
- De 6 semaines à 6 mois : 2 ml (20 mg) x 1/j
- Dans les situations où l’allaitement dépasserait les 6 mois recommandés, la posologie proposée est : de 6 mois à 9 mois, 3 ml (30 mg) x 1/j ; et à partir de 9 mois, 4 ml (40 mg) x 1/j
‒ La lamivudine (3TC) peut être utilisée en alternative à la NVP (Grade B).
La posologie de 7,5 mg (0,75 ml) x 2/j si poids 2-4 kg, 25 mg (2,5 ml) x 2/j si poids 4-8 kg, et 50 mg (5 ml) x 2/j si poids > 8 kg
‒ Le choix du traitement prophylactique doit être discuté en RCP en cours de grossesse.
En cas d’antécédent de mutation de résistance du virus maternel aux INNTI (inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse), la 3TC est à privilégier (AE).
Un génotype de résistances sur ADN proviral est souhaitable pour des patientes ayant des antécédents de traitement par INNTI sans surveillance disponible (patientes traitées initialement en Afrique en particulier), ou si échec virologique ou interruption d’INNTI dans le passé, sans documentation préalable par un génotypage ARN sur plasma.
- Quel traitement prophylactique en cas d’allaitement au sein de mère vivant avec le VIH-2 ?
En cas d’allaitement au sein dans les conditions optimales par une mère vivant avec le VIH2 :
‒ Poursuivre le traitement ARV maternel ; s’il n’y a pas d’indication de traitement pour la femme, le traitement ARV maternel à visée prophylactique doit être poursuivi jusqu’au sevrage du nourrisson. (AE)
‒ Surveiller la virémie maternelle, l’allaitement et la PCR chez le nourrisson selon les mêmes règles qu’en cas d’infection par le VIH-1. (AE)
‒ Il n’est pas recommandé de prescrire chez le nourrisson un traitement prophylactique postnatal prolongé, du fait du risque faible de transmission du VIH-2 grâce au traitement ARV maternel. (AE)
- Limite de durée de l’allaitement au sein
− Il est recommandé de limiter la durée de l’allaitement au sein et de ne pas dépasser 6 mois. (AE)
− Si la mère choisit de prolonger l’allaitement maternel, le suivi doit être prolongé et la poursuite de la prophylaxie chez le nourrisson doit être discutée. (AE)
- Faut-il que l’allaitement maternel soit exclusif ?
Il n’est pas démontré que l’allaitement mixte soit un facteur de risque de transmission en cas d’allaitement au sein en situation optimale, mais il n’est pas non plus démontré qu’il n’y ait aucun risque. L’allaitement exclusif est conseillé dans les premiers mois, ce qui ne doit pas empêcher la prescription de compléments de lait maternisé si nécessaire, avec une diversification alimentaire à partir de six mois. (AE)
- Quelles sont les modalités de suivi de la mère en cas d’allaitement au sein ?
− En cas d’allaitement au sein, le suivi postnatal doit être renforcé avec des contrôles mensuels de la charge virale maternelle pendant la durée de l’allaitement. (AE)
− Il n’est pas recommandé de réaliser des mesures de la charge virale VIH dans le lait maternel. (AE)
− Dans les quelques cas d’allaitement au sein prolongé au-delà des 6 mois recommandés, chez des mères ayant une charge virale contrôlée de façon stable, un espacement du rythme des PCR maternelles pourra se discuter au cas par cas. (AE) − Une visite postnatale avec l’obstétricien est recommandée 1 mois ½ à 2 mois après l’accouchement, conformément au suivi usuel. (AE)
− Une consultation avec l’infectiologue est recommandée à 1 mois en cas d’allaitement puis au minimum tous les 3 mois pendant l’allaitement. (AE)
− Il est nécessaire d’évaluer la sécurité de l’allaitement au sein en contexte de VIH, ce qui est prévu dans un observatoire national (LACTAVIH), et/ou par l’inclusion dans la cohorte nationale VIROPREG.
- Quelles sont les modalités de suivi du nourrisson en cas d’allaitement au sein ?
− En cas d’allaitement, le suivi postnatal doit être renforcé avec un suivi de la PCR VIH (ARN plasmatique et ADN) de l’enfant à M1, M3, M6, puis tous les 3 mois tant que dure l’allaitement et jusqu’à 3 mois après le sevrage complet. (AE)
− Le groupe d’experts recommande un recueil dans une cohorte des données de suivi des mères et des enfants jusqu’à 3 mois après le sevrage complet. (AE)
- Conduites à tenir en cas de complications liées à l’allaitement
En cas de mastite ou d’abcès, il est recommandé de traiter la complication, de tirer le lait et de le jeter jusqu’à guérison. L’allaitement reste possible avec le sein non atteint. (AE)
− En cas de crevasses du mamelon, l’allaitement maternel peut-être poursuivi, au besoin en utilisant un tire-lait. (AE)
− En cas de candidose buccale chez le nourrisson, il est recommandé de la traiter mais l’allaitement maternel peut-être poursuivi. (AE)
- Conduites à tenir en cas d’échappement virologique chez la mère durant l’allaitement
− Suspendre l’allaitement maternel immédiatement en cas d’ascension de la charge virale plasmatique >50 copies/mL (>40 copies/ml pour VIH-2). (AE)
− Contrôler sans délai la charge virale chez la mère, éventuellement complétée d’un génotypage de résistance et de dosages plasmatiques des ARV, pour discuter de l’éventuelle reprise de l’allaitement maternel selon les résultats. (AE)
− Réaliser une mesure de charge virale (ARN et ADN) chez l'enfant sans attendre. (AE)
− En cas de rebond viral confirmé chez la mère pendant l’allaitement, outre l’arrêt de l’allaitement au sein, une prophylaxie post-exposition est recommandée chez l’enfant (Grade B). Elle correspond aux règles de la prophylaxie néonatale dans le cadre du VIH1 (pour VIH-2 voir 7.7) :
− Si la charge virale est <400 copies/mL : poursuite de la NVP seule.
− Si la charge virale est >400 copies/mL : poursuite de la NVP, à dose majorée pendant 2 semaines, associée à zidovudine (ZDV) + 3TC pendant 4 semaines.
En conclusion
Il est considéré comme raisonnable d’envisager un allaitement maternel pour une femme vivant avec le VIH, lorsque les conditions sont réunies pour limiter considérablement le risque de transmission à son enfant.
Entre autres lorsque la charge virale est indétectable chez la mère durant toute la grossesse et au moins 6 mois avant l’accouchement.
Il est indispensable d’informer les parents concernant les incertitudes et les mesures précises à prendre afin d’aboutir à une décision éclairée et partagée.
Références bibliographiques
- Allaitement maternel : les bénéfices pour la santé de l’enfant et de sa mère. Programme national nutrition santé. Février 2005.
- OMS. Allaitement maternel https://www.who.int/fr/health-topics/breastfeeding#tab=tab_1
- HAS. ANRS. CNS. Recommandation : Grossesse et VIH : désir d’enfant, soins de la femme enceinte et prévention de la transmission mère enfant. Avril 2024.