Chirurgie fautive d’un abcès vulvaire

Chirurgie fautive d’un abcès vulvaire

(arrêt du 15 février 2018)

 

   Une jeune fille de 17 ans se présente aux urgences d’une clinique parisienne pour une inflammation de la grande lèvre droite (bartholinite). L’urgentiste l’oriente pour « abcès compliqué de la zone pelvienne » vers un praticien libéral spécialisé en «chirurgie générale » qui l’opère le jour même en procédant à l’ablation totale de la grande lèvre. Les suites sont marquées par des douleurs et une gêne à uriner, outre la nécessité d’une chirurgie réparatrice.

   Action judiciaire de la patiente, qui obtient la condamnation du praticien en première instance, mais est déboutée de son action contre la clinique qu’elle poursuivait pour ne pas avoir contrôlé que le chirurgien opérateur était bien assuré au titre de sa responsabilité civile professionnelle dans sa spécialité.

 

   Sur ce sujet, l’arrêt rappelle :

 

« Le contrat d’hospitalisation et de soins met à la charge de l’établissement de santé l’obligation de mettre à la disposition du patient un personnel qualifié, personnel paramédical et médecins, en nombre suffisant, pouvant intervenir dans les délais imposés par son état. Il s’agit d’une obligation de moyen et la responsabilité de la clinique ne peut être engagée qu’en cas de faute.

« Le jugement déféré, après avoir relevé que le Docteur B. exerçait à titre libéral au sein de la clinique et avait souscrit une assurance responsabilité civile professionnelle auprès de la Matmut, […], a retenu qu’il ne pouvait être reproché à la clinique de n’avoir pas vérifié que les conditions contractuelles permettaient au praticien de satisfaire à son obligation légale personnelle d’assurance.

« Il n’est cependant pas contesté que le docteur B. était au moment des faits assuré auprès de la Matmut pour la seule activité de médecin généraliste et aucunement pour les actes de chirurgie, alors que pèse sur l’établissement de soins tant une obligation de contrôler les qualifications professionnelles des médecins qui exercent à titre libéral en son sein que de s’assurer qu’ils sont bien couverts au titre de leur contrat d’assurance responsabilité civile pour tous les actes qu’ils sont amenés à y accomplir. »

 

mais déboute la patiente parce qu’elle n’a pas « démontré que cette abstention fautive de la clinique est à l’origine d’un dommage ».

 

    Sur la qualité de l’intervention chirurgicale, l’arrêt se fonde sur le rapport d’expertise pour critiquer la défense du chirurgien :

 

« L’expert judiciaire, Mme S., indique que la patiente présentait tous les signes d’un abcès vulvaire vraisemblablement en rapport avec une bartholinite aigüe abcédée, surinfection de la glande de Bartholin par voie canalaire ascendante évoluant depuis cinq jours. Elle affirme que le traitement recommandé est l’incision permettant la mise à plat de l’abcès avec un prélèvement bactériologique et couverture antibiotique opératoire et qu’il n’est pas recommandé à la phase aigüe de pratiquer l’exérèse de la glande en raison des risques hémorragiques, infectieux et de séquelles douloureuses.

 

« A l’objection du docteur B., selon laquelle il pensait que, d’une part il s’agissait d’une forme grave compliquée avec gangrène et sphacèle, et que d’autre part une telle situation nécessitait une exérèse large pour éviter une récidive et un sepsis grave, l’expert a répondu que « Melle D. présentait un abcès avec les signes classiques, tuméfaction chaude-douloureuse-fluctuante (ici dure) ; ce diagnostic est confirmé par le compte rendu du centre de pathologie, à savoir une accumulation de polynucléaires, des tissus nécrotiques. Cet abcès sous toute vraisemblance présentait un début de fistulation spontanée à l’endroit le plus tendu. La taille de la tuméfaction et l’importance de la douleur ne permettent pas de poser le diagnostic de cellulite pelvipérinéale ou fasciite nécrosante ou gangrène, tous ces termes correspondant à une nécrose septique sans pus diffusant dans les tissus celluleux sous-cutanés et les loges pelvipérinéales. »

« L’expert relève que l’absence de mention dans le compte rendu opératoire de l’existence de tissus nécrotiques ou autres anomalies ainsi que l’observation post-opératoire du chirurgien : « opérée en urgence d’une bartholinite, exérèse complète en monobloc de la glande, peut sortir demain », ne font aucunement supposer qu’il s’agissait d’une forme gangreneuse, au demeurant tout à fait exceptionnelle et survenant sur des terrains particuliers, présentant ce caractère de gravité extrême nécessitant une surveillance rapprochée avec hospitalisation pour suivre l’évolution.

« L’expert précise que toutes les constances hémodynamiques retrouvées dans le dossier vont à l’encontre du diagnostic de forme gangreneuse.

 

« S’agissant du choix de l’incision pratiquée par le chirurgien emportant ainsi une grande partie de la lèvre droite, l’expert indique « Ce type d’incision n’est pas recommandé, d’une part, l’incision entre grande et petite lèvre peut être responsable de suintement en dehors du vestibule du vagin, gênant pour l’opérée. D’autre part, l’incision ne doit pas s’accompagner d’une exérèse cutanée. Ainsi cette large exérèse explique l’aspect modifié, inesthétique et douloureux de l’hémivulve droite retrouvée en post-opératoire. »

« L’expert précise que « la conduite chirurgicale devant un abcès constitué est l’incision drainage avec effondrement des logettes, prélèvement bactériologique et antibiothérapie per-opératoire. L’exérèse de la glande n’est pas recommandée pour un premier épisode de bartholinite. Toutefois, si l’exérèse glandulaire était réalisée, il n’était nullement justifié de pratiquer une exérèse cutanéo-graisseuse associée à l’exérèse glandulaire. »

 

« Il s’en déduit que le docteur B. a agi de façon non conforme aux données de la science à l’époque des faits, que son geste n’était pas justifié et son choix opératoire inapproprié.

« Le docteur B. produit vainement devant la cour deux articles en langue anglaise, non traduits, qui ne sont pas recevables devant les juridictions françaises.

 

« Le jugement déféré sera dans ces conditions confirmé en ce qu’il a retenu que le diagnostic d’abcès vulvaire en rapport avec une bartholinite aigüe abcédée diagnostic confirmé par l’examen anatomopathologique, était bien à l’origine du geste chirurgical du docteur B. et supposait un geste limité à une incision englobant au besoin l’orifice fistuleux, mais en aucun cas l’exérèse large pratiquée. Il sera également confirmé en ce qu’il a jugé que ce geste non indiqué, excessif car inadapté au cas clinique de la patiente, engage la responsabilité du docteur B., lequel doit indemniser celle-ci du préjudice en lien avec sa faute. »

 

   La Cour condamne le chirurgien à indemniser la patiente ainsi qu’il suit :

  • déficit fonctionnel temporaire : 2 357,50 €
  • souffrances endurées : 10 000 €
  • préjudice sexuel : 2 000 €
  • préjudice scolaire : 1 000 €
  • préjudice esthétique permanent : 1 000 €
  • frais judiciaires : 4 000 € et dépens comprenant les honoraire d’expertise.

 

(cf. Cour d’appel de Paris, Pôle 2, chambre 2, 15 février 2018, n° 16/14215)

 

 
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