Il est classiquement admis que le phénomène physiologique de la ménopause, à savoir l’arrêt de l’activité ovarienne avec pour conséquence, la fin de la période de reproduction et l’installation d’une carence estrogénique, ne concerne que l’espèce humaine. Ce phénomène a également été décrit chez quelques mammifères marins, essentiellement les orques et les globicéphales ainsi que le narval et le béluga (1). La survie de ces femelles au-delà de la période de reproduction résulterait d’un phénomène de sélection des individus les plus robustes, indispensable pour guider et éduquer les plus jeunes de ces animaux vivant pour la plupart en communauté et connu sous le vocable d’effet « grand-mère ».
Très récemment, un article de la revue Science publié en octobre 2023 (2), suivi de plusieurs éditoriaux dans les revues Science (3) et Cell (4) remettent en cause cette assertion d’un phénomène uniquement propre à l’espèce humaine et interrogent sur la ménopause d’un point de vue de l’évolution. Cet article rapporte en effet que la ménopause a été observée dans la communauté Ngogo de chimpanzés (Pan troglodytes) vivant à l’état sauvage dans le parc national Kibale en Ouganda. Parmi les 185 chimpanzés femelles qui ont été suivies sur une période de 21 ans, plusieurs d’entre elles ont vécu ou vivent encore largement après l’âge de 50 ans (âge de fin de la fertilité de cette espèce). Il est estimé que certaines d’entre elles passeraient plus de 20% de leur vie en période de post-reproduction, ce qui les rapprocherait de l’espèce humaine. La ménopause chez ces femelles chimpanzés Ngogo était confirmée à la fois par le fait qu’aucune naissance n’a été observée après l’âge de 50 ans (la fertilité diminuant dès l’âge de 30 ans) et sur la base de dosages hormonaux réalisés sur des prélèvements urinaires de 66 femelles âgées de 14 à 67 ans. Les auteurs rapportent dès l’âge de 40 ans, une évolution hormonale comparable à celle de l’espèce humaine avec augmentation des gonadotrophines FSH et LH et un effondrement de l’estradiol, de l’estrone et de pregnanediol.
L’observation de ce phénomène semble la résultante de la disparition dans ce parc des léopards, prédateurs naturels des chimpanzés, ce qui a permis d’améliorer leur espérance de vie alors que dans la plupart des communautés de primates vivant à l’état sauvage, seuls quelques très rares individus survivent après 50 ans. Également, les sources de nourriture notamment en fruits sont abondantes et stables dans ce parc et avec une consommation beaucoup plus importante de viande que dans les autres communautés de singes vivants dans des zones proches du parc. De manière intéressante, l’effet « grand-mère » ne semble pas être un facteur explicatif dans la mesure où les femelles âgées ne vivent pas avec leur descendance, les jeunes femelles chimpanzés quittant rapidement leur communauté d’origine. Il est donc possible que l’observation de la ménopause chez ces chimpanzés soit plus une conséquence temporaire de conditions écologiques exceptionnellement favorables tel que cela a pu être parfois observé chez des singes vivant en captivité dans un environnement « protecteur » (5). Dans cette hypothèse, la ménopause resterait avant tout un trait génétique propre à l’espèce humaine. Les auteurs soulignent cependant la possibilité que ce trait génétique ait été partagé par d’autres espèces proches de l’espèce humaine au cours de l’évolution. Il est actuellement acquis que les chimpanzés sont plus étroitement proches de l’humain que des gorilles ce qui signifie que nous partageons avec eux un ancêtre commun exclusif. Et si la ménopause n’avait pas jusqu’à présent pu être observée dans cette espèce, cela serait en raison de l’impact négatif de l’homme au travers notamment des épidémies virales auxquelles les chimpanzés sont particulièrement sensibles. Cela étayerait alors l’hypothèse d’un phénomène apparu beaucoup plus précocement dans l’évolution des hominidés (Homo erectus), il y a environ 1,8 millions d’année, plutôt que liée à l’émergence hors d’Afrique d’Homo sapiens, il y a environ 50 000 ans. Nous n’avons pas actuellement suffisamment de données concernant la fertilité et la survie des singes bonobos (Pan paniscus) qui comme les chimpanzés sont génétiquement les plus proches de l’espèce humaine pour confirmer l’hypothèse d’un trait génétique qui ne serait pas uniquement l’apanage de l’humain. Pour autant passionnant qu’ils soient, ces travaux ne permettent pas d’étayer la finalité physiologique du phénomène de la ménopause. L’hypothèse d’un effet « grand-mère » n’existe pas chez les chimpanzés et a été largement remise en cause chez l’humain. L’hypothèse Darwiniste d’une sénescence plus précoce des gamètes que des cellules somatiques serait, en limitant le risque de mutations liées au vieillissement, de préserver la survie de l’espèce au cours du temps. La durée de la vie post-reproductive ne serait alors que le reflet de l’augmentation de l’espérance de vie liée aux conditions socio-économiques (5). Autant de questions qui restent encore sans réponse et qui justifient la poursuite des recherches dans le domaine de la ménopause.
Références :
- Ellis S et al. Analyses of ovarian activity reveal repeated evolution of post-reproductive lifespans in toothed whales. Scientific Reports 2018, 8:12833
- Wood BM et al. Demographic and hormonal evidence for menopause in wild chimpanzees. Science 2023, 382, eadd5473
- Cant M. Menopause in chimpanzees. Signs of menopause in wild chimpanzees provide insights into human evolution. Science 2023, 382:366-9
- Winkler I et al. Do mammals have menopause? Cell 2023, 186:4729-33
- Levitis DA et al. A measure for describing and comparing post-reproductive lifespan as a population trait. Methods Ecol Evol 2011, 2:446-53