Pénuries de gynécologues-obstétriciens : comment préparer l’avenir ?

Les difficultés démographiques sont majeures depuis plus de 20 ans pour notre profession. Postes vacants, listes de garde incomplètes nécessitant un recours parfois majeur à l’intérim, renoncement à une partie de l’offre de soin faute de bras sont malheureusement légion.

La périnatalité est un sujet régulièrement exploité par la presse grand public et quelques responsables politiques : absence de gynécologues (médicaux) dans certains départements, fermetures provisoires ou définitives de maternités, violences obstétricales. Ces sujets sont évidemment majeurs. Mais au-delà de leur traitement sur un mode le plus souvent superficiel et clientéliste, les problèmes structurels ne sont jamais réellement abordés.

Quelles sont les causes des difficultés démographiques actuelles ? Quelles sont les perspectives à court ou moyen terme ?

Malgré la très importante augmentation du nombre d’internes en gynécologie-obstétrique entre 2000 (moins de 100 par an) et 2010 (plus de 200 par an, avec une stagnation relative depuis), et un nombre d’inscrits à l’ordre de médecine en augmentation régulière depuis 2012, de nombreux postes restent vacants sur le territoire. Une enquête réalisée en 2020 par la commission démographie du Collège National (CNGOF) et du Collège des enseignants (CEGO) a montré que presque 80 % des maternités de type 1 et 47 % des maternités de type 2 étaient en tension démographique (postes vacants, nombre de praticiens insuffisants pour remplir une liste de garde et recours à l’intérim régulier). Rapporté au nombre de naissances annuelles, ce sont 91 % des maternités réalisant moins de 1000 naissances et 48 % de celles en réalisant entre 1000 et 2000 qui sont en tension.

En revanche, seules 4 % des maternités de type 3 et 8 % des maternités réalisant plus de 2000 naissances rencontrent des difficultés.

Cette enquête a également permis d’observer une absence d’effet géographique : les tensions sont bien liées aux structures (essentiellement à leur taille – nombre de naissances) et il n’existe pas de différence notable entre des régions présentant une attractivité démographique forte, telle que la Nouvelle-Aquitaine, ou au contraire faible telle que le Grand-Est par exemple.

Faut-il alors former beaucoup plus d’internes pour combler les manques, essentiellement observés dans les structures de moins de 2000 naissances ?

L’hypothèse, assez technocratique, selon laquelle augmenter le nombre de gynécologues obstétriciens conduira mécaniquement à des installations là où sont les difficultés, dans les plus petites structures, une fois qu’il n’y aura plus de place dans les plus grandes, porte le nom de « ruissellement ». Elle est hors-sol pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, nous arrivons aux limites de nos capacités de formations. Questionnés par le CEGO, les coordonnateurs de DES ont estimé qu’il n’était pas aujourd’hui possible de dépasser un maximum de 250 à 270 internes par an environ. Les contraintes sont le nombre d’universitaires sur le territoire et le manque de structures à même d’accueillir les internes pour des stages formateurs (impliquant un niveau minimal d’activité et…une équipe stable et au complet pour les encadrer). Il s’agirait d’une augmentation certes significative et certainement nécessaire, cependant essentiellement répartie sur les quelques plus grandes villes universitaires métropolitaines, mais sans effet à court terme et bien en-deçà du nombre de praticiens déjà manquant à l’appel.

Ensuite et surtout, cette approche intellectuelle reposant sur la plus basique mécanique des fluides ne prend absolument pas en considération les souhaits des jeunes professionnels !

Les nouvelles générations de gynécologues-obstétriciens, en très grande majorité des femmes (90 % de la promotion 2021), n’acceptent plus les conditions de travail qui étaient la règle par le passé. Ces éléments ont été détaillés dans un article publié dans la Revue de Santé Publique en 2018 (Évaluation des critères de choix du futur lieu d’exercice chez les internes lorrains de gynécologie. 2018/6, 833-43).

Cette enquête a montré le rejet global par les plus jeunes d’un exercice exclusif et isolé au sein des petites structures. 

- Tout d’abord pour des raisons de sécurité périnatale : ils sont très majoritaires à n’envisager une pratique de l’obstétrique qu’en étant de garde sur place, et non d’astreinte, avec un pédiatre et un anesthésiste, donc dans des maternités aujourd’hui au minimum de type 2 et de plus de 1500 naissances.

- Ensuite pour des raisons de qualité de vie au travail : ils refusent pour la plupart d’assurer plus de 4 à 5 gardes par mois, ce qui n’est compatible qu’avec une activité au sein d’une équipe étoffée d’au moins 7 praticiens.

- Enfin, pour des raisons personnelles : la plupart des structures de moins de 1000 naissances, les plus en difficulté d’un point de vue démographique, sont situées hors des métropoles qui sont le cadre de vie majoritairement plébiscité par les plus jeunes…

Au-delà des projections d’avenir mises en avant dans cette enquête, la réalité des pratiques ne fait que confirmer ces éléments. Dans une thèse soutenue en août 2020 à Rouen portant sur le devenir de femmes gynécologues-obstétriciennes diplômées en moyenne depuis 17 ans, il est montré que presque 50 % d’entre elles ont déjà abandonné l’activité obstétricale en garde et travaillent moins de 4 jours par semaine.

Les nouvelles générations de gynéco-obstétricien(ne)s, ne feront donc pas plus de 4 à 5 gardes par mois (et non des astreintes) et une part importante arrêtera purement et simplement de participer à la permanence des soins dès la mi carrière. 

Il apparaît dès lors indispensable et très urgent de repenser l’organisation des soins et l’attractivité de notre spécialité, en particulier la permanence des soins en obstétrique.

Plusieurs axes de travail devraient être prioritaires :

- pilotage territorial de la démographie : il n’existe aucun suivi organisé de la démographie effective au sein des maternités (nombre de médecins permanents, équivalents temps pleins, recours à l’intérim…), ce qui en soit pose profondément question quant à la qualité du pilotage de notre système de santé.

- abandon de la stratégie du « ruissellement » : les plus jeunes ne s’installent pas à titre exclusif dans les petites structures, et les internes disent clairement qu’ils ne le feront pas. En l’absence de postes dans les plus grandes maternités, ils renoncent tout simplement à participer à la permanence des soins. A titre d’exemple, sur 20 maternités en Lorraine pour environ 20000 naissances par an, seules 5 assurent plus de 1200 naissances. Ces 5 maternités ne connaissent pas ou que peu de difficultés de recrutement, alors que presque aucun gynécologue-obstétricien titulaire d’un DES national ne s’est installé au sein des 15 autres…et ce depuis 20 ans....

- repenser l’offre de soin pour les femmes éloignées des grosses structures. La désaffection des plus jeunes pour les petites structures n’est en rien irresponsable vis-à-vis de la population. La Lorraine, à nouveau, compte presque autant de maternités que la Finlande, avec un nombre de naissance trois fois moindre et une superficie 15 fois plus réduite. Il n’est tout simplement pas raisonnable de penser et laisser croire à la population que toutes ces maternités pourront et devraient rester en activité… Il est cependant aisé d’affirmer qu’un nombre élevé de maternités n’est en rien indispensable à la qualité des soins en périnatalité : la Finlande, à nouveau, est habituellement classée parmi les premiers pays au monde pour la sécurité des soins pour les mères et les enfants, là où la France pointe près de la 30ème place du même classement. Nos voisins européens nous montrent qu’il est possible de répondre aux attentes des jeunes gynéco-obstétriciens, en faisant fonctionner moins de structures, donc plus grandes, offrant des gardes sur place et une sécurité renforcée. Un important travail pédagogique sera bien sûr nécessaire, la fermeture d’une maternité restant vécue comme traumatisante pour les élus et la population concernée…Ces évolutions ne sont en rien incompatibles avec un suivi gynécologique et obstétrical de proximité et de qualité, la réalisation de consultations territoriales n’étant pas un obstacle.

- renforcer l’attractivité. Cette question rejoint en partie la précédente, l’attractivité passant par une restructuration majeure du système de soin. Mais il faut également savoir parler argent ! Une garde de 12 heures rémunérée 250 Euro avant impôts n’est pas attractive. Évaluer la juste rémunération d’une garde n’est pas simple, mais il est évident que la valorisation actuelle ne permet pas de garder les gynéco-obstétriciens motivés sur le long terme… Cette rémunération n’est pas à la hauteur de notre niveau de compétence (qui nécessite 12 ans de formation), de la pénibilité des gardes, de la charge de stress inhérente aux complications obstétricales (notre profession est l’une des plus exposée aux risques de burn-out) et du risque médico-légal (là-aussi un des plus élevés parmi les professions médicales, avec des tarifs assuranciels qui en témoignent). La rémunération de la permanence des soins doit être fortement revalorisée. A minima, il devrait être plus avantageux d’assurer une garde qu’une journée de consultations à heures ouvrables…or c’est exactement l’inverse aujourd’hui ! 

Les déficits démographiques actuels sont préoccupants pour la population. L’analyse des inégalités territoriales et des souhaits des plus jeunes montre qu’une réorganisation du système de soin et un renforcement de l’attractivité sont nécessaire, l’augmentation du nombre de gynécologues obstétriciens ne suffira pas.

 

 
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