Nul ne l’ignore : l’industrie de l’esthétique est florissante et conquiert de plus en plus de territoires anatomiques. Depuis quelques années, l’offre a franchi la frontière des « parties intimes ». Il ne s’agit plus de corriger ce qui est donné à voir au plus grand nombre (visage, sein, abdomen) mais de redessiner des zones cachées, naturellement inaccessibles au regard : la vulve et le vagin. Les offres d’interventions esthétiques sur les parties intimes des femmes ne cessent de se diversifier (chirurgie des petites et grandes lèvres, du clitoris et du vagin, laser épilatoire, lipofilling, injection d’acide hyaluronique, dépigmentation, etc..). Dans cette constellation d’actes sensés accroître le bien-être des femmes, la labiaplastie est de loin l’intervention la plus pratiquée. Quelle est l’ampleur du phénomène ? Pourquoi un tel engouement ? Faut-il applaudir ou condamner ? Quelques éléments de réflexions.
Qu’est-ce qu’une labiaplastie ?
La labiaplastie désigne communément une réduction chirurgicale de la taille des petites lèvres (nymphoplastie de réduction) dans un but principalement esthétique. L’intervention, pratiquée sous anesthésie générale, ne présente pas de difficulté technique et dure en moyenne 45 minutes. Les complications sont rares (désunion, hémorragie, hématome, plus rarement infection).
Le coût de l’intervention varie selon les chirurgiens de quelques centaines d’euros à plusieurs milliers.
En France, la nymphoplastie de réduction est un acte pris en charge par la sécurité sociale (JMMA005 : 57.44 euros).
Combien de labiaplasties ?
Les données dont nous disposons sont parcellaires et certainement sous estimées car il s’agit d’un acte esthétique effectué principalement en pratique libérale
Selon les données de la Société Américaine de Chirurgie Plastique (American Society for Aesthetic Plastic Surgery), le nombre de labiaplasties effectuées aux USA a augmenté de 44% entre 2012 et 2013 et le pourcentage de chirurgiens proposant cette intervention est passé de 21 à 29 durant cette période. Selon la même source, 5070 labiaplasties ont été effectuées en 2013 aux USA.
Au Royaume Uni, le nombre de labiaplasties effectuées dans le cadre du NHS (National Health Service, système de santé publique) a quintuplé ces dix dernières années. Deux mille labiaplasties ont été pratiquées dans ce pays en 2010 et, entre 2008 et 2013, 266 ont concerné des filles de moins de 14 ans (source : Hospital Episode Statistique).
En France, en 2012, 3200 nymphoplasties de réduction ont été remboursées par la sécurité sociale et l’augmentation annuelle serait de 20%.
Pourquoi cet engouement ?
On peut en effet s’interroger sur les raisons pour lesquelles un nombre de croissant de femmes ou d’adolescentes qui ne présentent aucun trouble psychologique majeur se préoccupe de l’aspect de cette partie cachée de leur anatomie à laquelle leur regard (et celui d’autrui) n’a pas naturellement accès…Préoccupées au point de livrer leur intimité au bistouri du chirurgien. Plusieurs facteurs concourent à une insatisfaction qui va déterminer la demande esthétique.
Tout d’abord, l’accès facile à des images de vulve auxquelles il sera possible de se comparer. Selon une étude néerlandaise récente, 88% des garçons et 44% des filles, ont consulté du « matériel sexuellement explicite » principalement, sur des sites pornographiques. Ces sites donnent à voir des vulves dignes d’être exposées, des vulves « idéales », roses, sans poil et sans rien qui dépasse. Une vulve « propre », « nette », d’allure prépubère que l’on a volontiers comparée à celle d’une poupée Barbie. La raréfaction de la toison pubienne a précédé de plusieurs années l’engouement pour la labiaplastie et en a sans doute favorisé l’émergence. En effet, la vulve mise à nu par les épilations laisse voir désormais sa géographie, notamment la protrusion physiologique plus ou moins marquée des petites lèvres en dehors de la fente vulvaire.
Cette protrusion des petites lèvres renvoie, pour certaines femmes, aux attributs masculins (« ça pend entre les jambes ») tandis que d’autres les considèrent comme une « bavure », un excès de peau qui doit d’être gommé pour se conformer à l’ »idéal » exposé dans les revues pornographiques et promis sur les sites des cliniques de « chirurgie intime ». Ces derniers regorgent de photos avant-après qui nous montrent comment des sexes, naturellement tous différents, peuvent devenir sous l’effet du bistouri des sexes identiques conformes aux codes socio-culturels en vigueur. Ainsi, les femmes qui ne sont pas conformes aux photos « après » peuvent-elles se sentir « anormales » et, en conséquence, non désirables
Mais l’accès facile aux images ne saurait tout expliquer. Dans plusieurs de ses travaux sur les interventions esthétiques sur l’intime, Sara Piazza, nous montre que l’engouement pour ces vulves aseptisées entre en résonnance avec les représentations imaginaires collectives très anciennes du sexe féminin . La présence de reliefs vulvaires (clitoris, petites lèvres) peut semer le doute sur la féminité et une vulve qui donne à voir des « excès » de peau renvoie à d’autres excès, ceux d’un sexe féminin animal, avide, incapable de contrôler ses pulsions. Ainsi depuis le deuxième siècle avant JC, date où les premiers papyrus égyptiens mentionnaient des excisions vulvaires, des interventions sur la vulve ont été préconisées dans diverses cultures (grecques, africaines, européeennes) au prétexte d’embellir, de féminiser (en enlevant les protubérances suspectes) ou de contrôler d’éventuels débordements sexuels.
Quelques questionnements
Même si la liberté de disposer de son corps est un droit inaliénable et même si les femmes qui ont franchi le pas de la labiaplastie sont globalement satisfaites du résultat au point de la recommander à leur meilleure amie, on peut s’interroger sur le sens de ces demandes croissantes de labiaplasties, et tenter de les mettre en perspective.
Se conformer à la norme. Mais quelle norme ?
Les femmes qui demandent une labiaplastie trouvent leurs petites lèvres « trop grandes » « Trop grandes » par rapport à quoi ? Par rapport à avant ? L’anatomie vulvaire se modifie à la puberté, période durant laquelle la taille des petites lèvres augmente naturellement, « normalement ». « Trop grandes » par rapport aux autres ? Pour trouver des éléments de comparaison, les femmes ou les adolescentes, nous l’avons dit, consultent volontiers des sites pornographiques ou de chirurgie esthétique qui exhibent des vulves infantiles dépilées, roses, « nettes » probablement plus souvent sous l’effet du bistouri de photoshop que de celui du chirurgien. Mais cette vulve stéréotypée au look de Barbie, qui, de fait, devient la référence – voire, pour certaines, l’idéal à atteindre- ne reflète en rien la diversité naturelle de la vulve des femmes. Il est important que cela soit dit : la plupart des petites lèvres émergent NORMALEMENT de la fente vulvaire, plus ou moins, de façon symétrique ou non. C’est pour promouvoir ce message que, depuis quelques années, divers artistes ou bloggeurs se sont mobilisés pour montrer l’immense diversité anatomique de la vulve (Large Labia Project (blog) ; 101 Vagina (Philip Werner, Toni Childs, Ed. Taboo books ; Pussy portraits, de Frannie Adams, Ed Reuss). Ainsi ,Jamie McCartney, artiste britanique a effectué des moulages en plâtre de centaines de vulves de femmes volontaires (The Great Wall of the Vagina) pour véhiculer le message: «Toutes différentes, toutes normales ».
Labiaplastie : une mutilation ?
Définition d’une mutilaton sexuelle féminine selon l’OMS (2014) : «… interventions qui altèrent ou lèsent intentionnellement les organes génitaux externes de la femme pour des raisons non médicales ». Si l’on réfère à cette définition, la labiaplastie est bien une mutilation sexuelle. Au trois catégories connues de mutilations génitales (clitoridectomie, excision, infibulation) l’OMS ajoute une quatrième catégorie : « toutes les autres interventions néfastes au niveau des organes génitaux féminins à des fins non médicales, par exemple, piquer, percer, inciser, racler et cautériser les organes génitaux ». Le consentement de la femme n’est pas pris en compte dans ces définitions et c’est ce qui peut peut-être tracer la frontière entre chirurgie esthétique et mutilation. Néanmoins, cela donne à réfléchir…
Dans son mémoire de master en sociologie, Dina Bader nous montre que les mutilations génitales féminines ont le même fondement que les chirurgies esthétiques génitales pratiquées dans les pays dits développés : une mise en conformité des organes génitaux féminins à des normes sociales concernant l’esthétique et la sexualité.
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Connaissez-vous le gukuna ?
Le gukuna est une pratique rituelle encore en cours dans plusieurs pays d’Afrique (Rwanda Zimbabwe, Ouganda, Burundi, Tanzanie) également classée par l’OMS dans la catégorie des mutilations sexuelles. Il s’agit pour des jeunes filles pubères d’allonger leurs petites lèvres par des manœuvres d’étirement mutuel quotidien pour que leur longueur atteigne celle des deux premières phalanges du médius. Il s’agit d’un rite de préparation au mariage, gage de protection de l’entrée du vagin par les « rideaux » ainsi créés, d’épanouissement sexuel pour la femme et son partenaire, et de fécondité. Ainsi les réprésentations qui s’attachent à l’anatomie vulvaire, notamment celle des petites lèves varient grandement en fonction du contexte socio-culturel. La liberté de disposer de son corps et notamment de décider de modifier son anatomie intime n’est qu’un leurre tant nos choix sont conditionnés par des injonctions sociétales auxquelles les femmes réagiront diversement selon leur personnalité et leur histoire de vie.
En conclusion, citons avec Diane Ducret, un extrait d’un manuel érotique chinois (Classique des Méthodes Secrètes de la Fille de Candeur) datant de la dynastie Sui (581-618) : «… une fille propice au commerce sexuel doit avoir l’air doux » mais surtout « que les lèvres de sa vulve soient épaisses et de belle taille »…..
Références
Piazza Sara, « Images et normes du sexe féminin : un effet du contemporain ? ». Cliniques méditerranéennes, 2014/1 n° 89, p. 49-59.
Organisation Mondiale de la Santé, 2008. Eliminer les mutilations sexuelles féminines. Déclaration interinstitutionnelle
Bader, Dina (2011). «Excision et nymphoplastie: ça n’a rien à voir!» Des représentations sociales à la norme pénale. Mémoire de master en sociologie, Université de Genève. En ligne: http://unige.ch/sciences-societe/socio/files/3514/0533/5906/bader.pdf
Diane Ducret. Chair intime, Ed. Albin Michel ( 2014)