Quelles modifications épigénétiques de l’ADN placentaire et du sang de cordon après transfert d’embryons congelés versus après transfert d’embryons frais ou grossesse naturelle ?

Do frozen embryo transfers modify the epigenetic control of imprinted genes and transposable elements in newborns compared with fresh embryo transfers and natural conception

Julie Barberet, Pharm.D.,a,b Gaelle Romain, Ph.D.,c,d Christine Binquet, M.D., Ph.D.,c,d Magali Guilleman,a,b
Celine Bruno, M.D., Ph.D.,a,b Perrine Ginod, M.D.,a,e Caroline Chapusot, Ph.D.,f C ecile Choux, M.D., Ph.D.,a,e
and Patricia Fauque, M.D., Ph.D.a,b Article In Press (fertillity and sterility, 2021)

Des études en grande population montrent que le transfert d’embryons congelés diminue le risque d’enfants ayant des petits poids et le risque de prématurité par rapport au transfert d’embryons frais (Shih W et col, 2008). Mais d’autres études montrent également que les singletons nés de transfert d’embryons congelés ont un risque plus élevé de macrosomie et de grandes tailles pour l’âge gestationnel à la naissance (Litzky JF et col, 2018).

Or les protocoles d’Assistance Médicale à la Procréation ont évolué depuis quelques années en privilégiant les transferts d’embryons congelés par rapport aux transferts d’embryons frais.

Il a également été mis en évidence que le développement embryonnaire et la croissance fœtale sont modifiés dès les premiers stades de la grossesse, que cette grossesse fasse suite à un transfert d’embryon frais ou congelé (Ginod P et col, 2018).

Dans un modèle animal, il a été démontré que les effets de la fécondation in vitro sur le développement placentaire étaient liés à des perturbations épigénétiques (DeWaal E et ol, 2015).

Des dysfonctionnements placentaires et leurs effets ultérieurs peuvent résulter d’une reprogrammation épigénétique, notamment des gènes soumis à empreinte et ayant un rôle sur le contrôle de la croissance placentaire (Choux C et col, 2015)

Il y a déjà eu plusieurs études qui ont montré une différence de méthylation de l’ADN des gènes soumis à empreinte dans le placenta et le sang de cordon entre les grossesses à la suite d’une AMP versus une grossesse spontanée (Katari S et col, 2009), mais aucune étude n’a été faite sur la comparaison entre grossesse à la suite d’un transfert d’embryon frais versus un transfert d’embryon congelé ; ce que s’est proposé de faire l’équipe de cette publication (Barberet J et col, 2021). L’équipe du CHU Dijon a également étudié l’impact du transfert d’embryon frais ou congelé sur la régulation par méthylation des éléments transposables du génome (comme LINE-1) qui joue également un rôle sur la fonction placentaire.

L’étude a porté sur 202 naissances de singletons :

  • Un groupe contrôle de 84 naissances après grossesse naturelle
  • Un groupe de 66 naissances de singletons après FIV/ICSI et transfert d’embryon frais
  • Un groupe de 52 naissances de singletons après FIV/ICSI et transfert d’embryon congelé

Les prélèvements sur le placenta et le sang de cordon étaient faits dans les 15 minutes suivant l’accouchement.

L’analyse du profil de méthylation des gènes soumis à empreinte (H19/IGF2, KNCQ10T1, et SNURF) ainsi que des éléments transposables (LINE-1 et HERV-FRD) s’est faite par pyroséquençage.

L’analyse du niveau de transcription de ces gènes s’est faite par réverse transcriptase PCR.

Après ajustement, les niveaux de méthylation de l’ADN placentaire des gènes H19/IGF2 étaient plus faibles dans le groupe de grossesses après transfert d’embryons frais versus le groupe de grossesses du groupe contrôle ou du groupe après transfert d’embryons congelés.

Le taux de méthylation de l’ADN pour l’élément transposable LINE-1 était également plus faible dans le groupe des grossesses après transfert d’embryons frais versus les deux autres groupes. Au niveau du sang de cordon, il n’est pas trouvé de différence des niveaux de méthylation entre les trois groupes.

Dans la discussion l’équipe souligne que le transfert d’embryons congelés a beaucoup augmenté en AMP avec des succès de taux de grossesses important et que la prématurité et le poids de naissance plus bas des enfants a diminué grâce à cette technique. Cela étant, plusieurs méta-analyse suggèrent que le transfert d’embryons congelés entraine des complications obstétricales comme l’hyper-tension et la pré-éclampsie, dont l’hypothèse pourrait être des modifications épigénétiques liées à la congélation.

L’équipe de Dijon montre au contraire que les modifications épigénétiques touchent surtout les grossesses survenant après transferts d’embryons frais versus transfert d’embryons congelés.

L’étude montre une régulation différente entre les populations avec une hypométhylation des gènes soumis à empreinte pour les grossesses issues de transferts d’embryons frais, versus une hyperméthylation pour les gènes soumis à empreinte des grossesses issues d’embryons congelés ou de grossesses naturelles. Ces modifications du profil de méthylation entrainent une modification d’expression des gènes touchés, avec par exemple une hyper-expression de H19 dans les cas de transferts d’embryons frais versus une transferts d’embryons congelés. Or il semble que H19 diminue le développement placentaire ce qui est corrélé avec les phénotypes placentaires retrouvés par cette équipe.

De la même façon, il est retrouvé une modification du profil de méthylation des éléments transposables avec une hypométhylation de LINE-1 ORF2 (et une diminution de son expression) suite à un transfert d’embryon frais versus un transfert d’embryon congelé. Or ORF2 joue un rôle important dans les fusions cellulaires du placenta.

Contrairement au placenta, aucune différence de ces profils de méthylation n’a été retrouvé dans le sang de cordon entre les grossesses venant d’embryons frais versus embryons congelés.

En parallèle de cette étude, l’équipe de Dijon montre également une augmentation de la déméthylation de KCNQ10Q1 avec l’augmentation de l’âge maternel, la régulation de l’expression de ce gène étant une cause du syndrome de Beckwith-Widemann.

Aucune différence de méthylation n’a été retrouvé entre la technique de FIV avec ou sans ICSI.
 

Au final, tout converge vers une cause de dérégulation du dialogue entre l’embryon et le placenta probablement induite par la stimulation ovarienne.

Une étude (Packowski M et col, 2015) a d’ailleurs comparé l’expression des gènes de l’endomètre entre des patientes hyperstimulées, versus des patientes non hyperstimulées, et a montré que la super-ovulation modifie l’expression de ces gènes.

Il est également à noter que ces modifications épigénétiques du placenta pourrait avoir des répercussions sur l’apparition de syndrome métabolique plus tard dans la vie (Rinaudo P et col, 2012).

COMMENTAIRE DE L'ARTICLE

Depuis plusieurs années, les équipes d’AMP ont modifié leurs protocoles en s’orientant de plus en plus vers des transferts d’embryons congelés qui montrent de meilleurs résultats en termes de taux de grossesse. Mais le taux de grossesse ne devant pas être le seul indicateur de qualité pour les couples que nous prenons en charge, nous devons aussi prendre en compte le risque d’une technique pour la santé des enfants. Les équipes d’AMP se sont posées des questions sur les risques liés à la congélation embryonnaire et le devenir des embryons et des enfants nés. Cette étude très intéressante et particulièrement bien menée montre que non seulement l’utilisation d’embryons congelés pour le transfert après AMP n’est pas délétère mais qu’au contraire elle diminue les risques épigénétiques sur la qualité du développement placentaire et l’évolution de la grossesse. Ces phénomènes de modifications épigénétiques étant probablement liés au protocole de stimulation ovarienne ; élément qui n’intervient pas en cas de cycle avec transfert d’embryon congelé.

Références

Shih W, Rushford DD, Bourne H, Garrett C, McBain JC, Healy DL, et al. Factors affecting low birthweight after assisted reproduction technology: difference between transfer of fresh and cryopreserved embryos suggests an adverse effect of oocyte collection. Hum Reprod 2008;23:1644–53
Litzky JF, Boulet SL, Esfandiari N, Zhang Y, Kissin DM, Theiler RN, et al. Effect of frozen/thawed embryo transfer on birthweight, macrosomia, and low birthweight rates in US singleton infants. Am J Obstet Gynecol 2018;218:433.e1–10.
Ginod P, Choux C, Barberet J, Rousseau T, Bruno C, Khallouk B, et al. Singleton fetal growth kinetics depend on the mode of conception. Fertil Steril 2018;110:1109–17.e2.
de Waal E, Vrooman LA, Fischer E, Ord T, Mainigi MA, Coutifaris C, et al. The cumulative effect of assisted reproduction procedures on placental development and epigenetic perturbations in a mouse model. Hum Mol Genet 2015;24:6975–85
Choux C, Carmignac V, Bruno C, Sagot P, Vaiman D, Fauque P. The placenta: phenotypic and epigenetic modifications induced by Assisted Reproductive Technologies throughout pregnancy. Clin Epigenetics 2015; 7:87.
Katari S, Turan N, Bibikova M, Erinle O, Chalian R, Foster M, et al. DNAmethylation and gene expression differences in children conceived in vitro or in vivo. Hum Mol Genet 2009;18:3769–78.
Paczkowski M, Schoolcraft WB, Krisher RL. Dysregulation of methylation and expression of imprinted genes in oocytes and reproductive tissues in mice of advanced maternal age. J Assist Reprod Genet 2015;32: 713–23.
Rinaudo P, Wang E. Fetal programming and metabolic syndrome. Annu Rev Physiol 2012;74:107–30

 
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