Risque thrombo-embolique en assistance médicale à la procréation (AMP)

Des thromboses veineuses et artérielles ont été rapportées au cours des fécondations in vitro (FIV) mais leur incidence est mal connue. En France, il a été signalé, dans le cadre du dispositif AMP vigilance de l’Agence de Biomédecine, 41 cas d’accident thrombo-embolique dans un contexte d’AMP entre février 2007 et juin 2013. Dans la littérature, on retrouve seulement une centaine de cas publiés.

Dans ce contexte l’ABM a mis en place en 2012 un comité de pilotage composé de 9 experts afin de rédiger des recommandations sur la prévention et la prise en charge des thromboses au cours de l’AMP. En l’absence d’étude dans le cadre spécifique de l’AMP, les recommandations reposent sur des opinions d’experts et ont été extrapolées à partir des recommandations disponibles pour la grossesse.

Thromboses en AMP
Au cours de la stimulation ovarienne il existe des modification de l’hémostase similaires à celles observées pendant la grossesse - augmentation des facteurs de la coagulation, diminution des inhibiteurs physiologiques de la coagulation, résistance à la protéine C activée-. Elles conduisent a un état d’hypercoagulabilité pouvant favoriser les thromboses veineuses.

Ces modifications vont persister après la fin de la stimulation ovarienne, sont plus prononcées en cas de syndrome d’hyperstimulation ovarienne (SHO) sévère, car globalement corrélées à l’œstradiolémie et persistent pendant 3 semaines à 6 semaines après le début du syndrome.

L’étude de cohorte nationale suédoise Rova, publiée en 2012, répertorie pendant 10 ans près d’un million d’accouchements, et nous éclaire sur l’augmentation du risque de maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV) en AMP :

  • En cas de grossesse post FIV, le risque de thrombose veineuse au 1 er trimestre de la grossesse est 10 fois plus important que pour une grossesse obtenue hors AMP (1,67/1000 vs 0,17/1000).
  • En cas de grossesse et SHO, ce risque est multiplié par 100 (16,8/1000 vs 0,2/1000).

En effet, en  cas d’SHO plusieurs phénomènes s’associent pour augmenter le risque thrombo-embolique : hyperestrogénie,  vasodilatation artérielle par l’intermédiaire du VEGF, hémoconcentration et activation de la coagulation.

Thromboses veineuses en AMP
L’analyse de la littérature a permis de rassembler 91 cas de MTEV après AMP, publiés jusqu’en 2011. Dans la majorité des cas, il s’agit de thromboses des veines jugulaires, sous-clavières ou axillaires (biais de publication probable). L’âge moyen des femmes est de 31,3 ± 4,2 ans [22-42], un syndrome d’hyperstimulation ovarienne est présent dans 77 % des cas. Une thrombophilie biologique a été détectée dans 34 % des cas où elle a été recherchée. Le délai de survenue varie de 2 jours après le transfert d’embryon à 22 semaines d’aménorrhée, et dans la grande majorité des cas la thrombose est survenue lorsque la FIV a été suivie de grossesse. Aucun cas de décès suite à un accident veineux lié à l’AMP n’a été rapporté dans la littérature.

Thromboses artérielles en AMP
Les seules données disponibles proviennent de la publication d’observations isolées. L’analyse de la littérature a permis de rassembler 46 cas de thromboses artérielles après AMP publiés jusqu’en 2011. Il s’agit essentiellement d’infarctus cérébraux , d’infarctus du myocarde et d’occlusion artérielle des membres . L’âge moyen des femmes est de 31,5 ans [21-41]. Un syndrome d’hyperstimulation ovarienne sévère est présent dans la majorité des cas. Les thromboses artérielles sont précoces, surviennent dans les 2 semaines suivant l’injection d’hCG ou le transfert d’embryon et sont contemporaines du SHO. Une grossesse est associée aux thromboses moins d’un cas sur deux. Les facteurs de risque cardiovasculaire sont rares. Trois patientes sont décédées

     Cas de thromboses veineuses et artérielles après AMP publiés jusqu’en 2011

 

Prévention des thromboses veineuses et artérielles en cas d’AMP

 

1-Identifier les femmes à risque de thrombose

L’identification des femmes à risque de thrombose, par la recherche de facteurs de risque (FR) cliniques et biologiques, pourrait permettre d’éviter certaines thromboses.

Sont considérés comme des FDR de thrombose veineuse : l’âge > 35 ans, l’obésité, le tabac, l’immobilisation (alitement, long voyage), un traitement par estrogènes, un ATCD personnel de MTEV, une thrombophilie acquise ou héréditaire, un ATCD familial de MTEV chez un apparenté au 1 er degré avant 50 ans.

Les FDR de thromboses artérielles regroupent les FDR cardiovasculaires, la migraine avec aura, un ATCD familial d’AVC ou IM chez un apparenté au 1 er degré avant 50 ans.

La recherche de thrombophilie biologique n’est pas recommandée en systématique avant AMP. L’ABM propose un algorithme.

Capture d’écran 2015-11-30 à 23.15.14.png

       Algorithme de recherche de thrombophilie biologique en vue d’une AMP

Quel bilan pour rechercher une thrombophilie ?
• Thrombophilie biologique héréditaire :
‒  dosages d’antithrombine , protéine C, protéine S
‒ recherche de la mutation FV Leiden et de la mutation G20210A du gène de la prothrombine (FII). 

• Thrombophilie acquise : syndrome des anti-phospholipides
‒ NFS, TP, TCA
‒ recherche ACG circulant lupique
‒ recherche des anticorps anticardiolipine et anti β2 GP1.

 

2-Eviter les SHO sévères

Avant l’AMP, il est important d’identifier les femmes à risque de syndrome d’hyperstimulation ovarienne sévère, ce dernier étant un FR de thrombose artérielle et veineuse. La prévention du SHO doit être faite à toutes les étapes du traitement. Plusieurs stratégies sont proposées avec une efficacité plus ou moins grande.

Avant le traitement : identifier les facteurs cliniques de risque de SHO 

 

    Facteurs de risque de SHO 

 

En cours de stimulation : privilégier les protocoles antagoniste plutôt qu’agoniste  (diminution du risque d’SHO de 40%), utiliser de la metformine , débuter pour des doses faibles de gonadotrophines (adaptées au CFA/AMH et au BMI), diminuer les doses de gonadotrophines voir coasting,  déclencher par agoniste de la GnRH (en protocole antagoniste), donner un agoniste dopaminergique pour réduire l’intensité de l’HSO

Après la ponction : ne pas utiliser d’hCG en soutien de la phase lutéale, freeze all, eSET

 

3-Instituer un traitement anticoagulant préventif chez les femmes à risque

En cas de facteurs de risque veineux ou artériels, une concertation pluridisciplinaire associant les spécialistes concernés (gynécologue-obstétricien, médecin vasculaire, interniste et/ou hématologue) est recommandée avant l’AMP afin de  déterminer la faisabilité et les modalités de la prise en charge. 

Les antécédents personnels de thrombose veineuse et les FR biologiques conditionnent la prévention par héparine de bas poids moléculaire (HBPM) et ses modalités. Des FR transitoires (prise d’estroprogestatifs pour la programmation de la stimulation, immobilisation, long voyage) sont aussi à prendre en compte.  L’ABM propose un schéma de prévention selon le niveau de risque.

En cas de risque modéré une anticoagulation à dose préventive sera débutée après la ponction ovarienne  et poursuivie pendant 3 semaines en l’absence de grossesse, 3 mois en cas de grossesse et 6 semaines en post partum.

En cas de risque élevé l’anticoagulation préventive sera a poursuive tout au long de la grossesse.

En cas de risque très élevé - Syndrome des antiphospholipides ou déficit en anti-thombine – une anticoagulation a dose curative est recommandée.

Chez les patientes ayant des antécédents personnels de thrombose artérielle (accident ischémique cérébral, infarctus du myocarde), l’AMP est fortement déconseillée.

En cas d’hyperstimulation ovarienne sévère les experts recommandent une anticoagulation par HBPM à dose préventive pendant toute la période du SHO associée à une compression veineuse.  Le traitement anticoagulant sera à poursuivre pendant 3 semaines en l’absence de grossesse et pendant 3 mois en cas de grossesse.

 

Références :
- Agence de Biomédecine, recommandations de bonne pratique – 15 juillet 2013
Thromboses artérielle et veineuses dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation : prévention et prise en charge. En savoir plus
- Venous thromboembolism in relation to in vitro fertilization: an approach to determining the incidence and increase in risk in successful cycles
K Rova, H Passmark, PG Lindqvist - Fertility and sterility, 2012

 
Les articles sont édités sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Les informations fournies sur www.gyneco-online.com sont destinées à améliorer, non à remplacer, la relation directe entre le patient (ou visiteur du site) et les professionnels de santé.