Le mode de vie influence-t-il la morphologie spermatique ?(1)

INTRODUCTION

L’institut national du Royaume Uni recommande aux cliniciens d’aviser les hommes infertiles sur les 5 facteurs de « risques » (potentiellement modifiables) qui peuvent altérer la qualité des spermatozoïdes : consommation excessive d’alcool, de tabac, le port de sous-vêtements serrés, un IMC (indice de masse corporelle) > à 29 et l’utilisation de drogues récréatives (stéroïdes anabolisants et cocaïne). Mais qu’en est-il de l’impact de ces facteurs de risque sur la morphologie des spermatozoïdes ?

L’évaluation de la morphologie spermatique (guide de l’OMS 2010) constitue une part importante dans le  bilan d’infertilité masculine. En effet, seuls les spermatozoïdes considérés comme « typiques» morphologiquement  sont susceptibles de traverser le mucus cervical (2), de se fixer puis de s’attacher à la zone pellucide de l’ovocyte (3), (4).

Une tératospermie peut également être associée à un taux plus élevé de fragmentation d’ADN, d’anomalies chromosomiques et d’aneuploïdies. La morphologie  spermatique peut être considérée comme un marqueur de la qualité de la spermatogénèse.

L’objectif de l’étude a donc été d’étudier l’influence du mode de vie sur la morphologie des spermatozoïdes.

 

MÉTHODE

Etude multicentrique cas-témoins (318/1652).
Les patients ont été recrutés dans 14 centres de fertilité à travers le Royaume Uni pendant une période de 37 mois à partir du 1er juin 1999.
Les critères d’inclusion de l’étude  sont :
Hommes âgés d’au moins 18 ans, en couple, infertiles depuis plus d’un an, sans spermogramme préalable.
La réalisation du spermogramme a été recommandée après 3 à 5 jours d’abstinence sexuelle. La morphologie spermatique a été déterminée par un analyseur d’image couplé à un ordinateur (CASA).
Les « cas » ont été définis par un nombre de formes typiques de spermatozoïdes strictement inférieurs à 4% sur la base de 200 spermatozoïdes évalués (recommandation OMS 2010).
Les facteurs de risques étudiés à l’aide d’un questionnaire médical ont été notamment : l’alcool, le tabac, l’usage de drogues récréatives, du cannabis…

 

RÉSULTATS 

Au départ, sur les 11680 hommes venus consultés pour infertilité, seuls 2249 ont été retenus pour l’étude.
Les caractéristiques « non modifiables » comme : l’âge, l’origine ethnique, la conception antérieure, les antécédents d’oreillons, une fièvre, l’âge de la partenaire sont étudiées.
Les caractéristiques « modifiables » comme l’IMC, le travail manuel, le port de boxer, l’usage, de tabac, de drogues récréatives, de cannabis, la saison pendant laquelle le spermogramme a été réalisé et le délai d’abstinence sont étudiés
Les odds ratio ont été calculés pour les 2 groupes (cas, témoins).
L’analyse a été effectuée, pour chaque facteur, de façon indépendante, puis dans un modèle unique avec tous les facteurs.

L’étude révèle que l’utilisation de cannabis semble influencer négativement la morphologie spermatique (OR=1.55).D’autre part, l’âge semble être un facteur déterminant. Le phénomène étant plus marqué pour les hommes avant 30 ans (OR=1.94, intervalle de confiance à 95%).
L’usage d’alcool et de cigarettes ne semble pas influencer la morphologie spermatique.

La tératospermie semble également être liée à la saison pendant laquelle le spermogramme a été réalisé. (OR=1.99, intervalle de confiance à 95%). En effet, lorsque le spermogramme a été réalisé durant l’été, le nombre de formes atypiques est supérieur aux autres périodes de l’année.

Aucune association significative n’a été observée entre la tératospermie et l’IMC, le type de sous-vêtement, la consommation d’alcool ou de tabac, ou encore, les antécédents d’oreillons.

 

DISCUSSION

Cette étude cas/témoins révèle que 2 facteurs, après ajustement, semblent être associés à une tératospermie augmentée :
- La saison (l’été plutôt que les autres périodes)
- La consommation de cannabis chez les hommes de moins de 30 ans.

D’autres études sur le cannabis et l’infertilité ont surtout porté sur l’impact négatif de la mobilité (5), suggérant le rôle important des cannabinoïdes (6).

En 2010, certains ont montré que les récepteurs cannabinoïdes des spermatides de souris peuvent influencer le remodelage de la chromatine, ce qui pourrait expliquer leur effet sur la morphologie des spermatozoïdes (7).
Pour ce qui est des saisons, les études semblent être contradictoires (8).
Dans l’étude américaine, aucun lien n’a été retrouvé entre obésité et tératospermie (9).

Les points faibles de l’étude :

Le manque d’exhaustivité de la population.
La sous-estimation probable de certains facteurs de « risques » liés au fait que les informations d’expositions n’ont été recueillies que par un questionnaire médical.

Les points forts de l’étude :

L’étude a été multicentrique.
Le questionnaire a été rempli avant d’avoir les résultats de l’analyse de sperme.
L’évaluation de la morphologie a été faite par ordinateur pour avoir une meilleure objectivité et reproductivité que par l’observation au microscope.

 

CONCLUSION

Le mode de vie n’a que peu d’impact sur la morphologie spermatique mais un conseil pratique pour les hommes qui tentent de concevoir est de limiter l’exposition au cannabis et ceux d’autant plus qu’ils sont jeunes.

 

BIBLIOGRAPHIE

1/ Pacey AA, Povey AC, Clyma JA, McNamee R, Moore HD, Baillie H, Cherry NM. Modifiable and non-modifiable risk factors for poor sperm morphology.Hum Reprod; 2014 ;29: 1629-1636.

2/ Suarez SS, Pacey AA. Sperm transport in the female reproductive tract. Hum Reprod Update 2006 ;12:23-37

3/ Menkveld R, Franken DR, Kruger TF, Oshninger S, Hodgen GD. Sperm selection capacity of the human zona pellucid. Mol Reprod Dev 1991 ; 30 : 346-352.

4/ Liu DY, Baker HW. Morpholgy ofspermatozoa bound to the zona pellucid of human oocytes that failed to fertilize in vitro.J Reprod Fertl 1992 ; 94:71-84

5/ Whan LB, West M, McClure N, Lewis SEM. The effects of Delta-9-Tetrahydrocannabinal, the primary psychoactive cannabinoid in marijuana, on human sperm function in vitro. Fertil Steril 2006 ; 85:653-660.

6/ Rossato M, Pagano C, Vettor R. The cannabinoid system and male reproductive functions. J Neuroendocrinol 2008 ; 20 (suppl. I):90-93

7/ Chioccarelli T, Cacciola G, Altucci L, Lewis SE, simon L, ricci G, Ledent C, Meccariello R, Fasano S, Pierantoni R et al. Cannabinoid receptor I influences chrimatin remodeling in mouse spermatids by affecting content of transition protein 2 mRNA and histone displacement. endocrinology 2010;151:5017-5029.

8/ Levitas E, Lunenfeld E, Weisz N, Friger M, Har-Vardi I. Seasonal variations of human sperm cells among 6455 semen samples : a plausible explanation of  a seasonal birth pattern. Am J Obstet Gynecol 2013 ; 208 : 406.el-6.

9/ Eisenberg ML, Kim S, Chen Z, sundaram R, Schisterman EF, Buck Louis GM. The relationship between male BMI and waist circumference on semen quality: data frome the LIFE study. Hum Reprod 2014 ; 29 : 193-200.

 
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